Depuis plusieurs années, les cryptomonnaies font l’actualité.
Développées pour soutenir une idée novatrice, se passer de la tutelle des états-nations, représentée par leur(s) monnaie(s) officielle(s), le succès des cryptomonnaies a ensuite été renforcé par la crise financière des subprimes et la méfiance en découlant envers les acteurs financiers traditionnels. La plus illustre des cryptos, j’ai nommé le Bitcoin, est née, suite à la publication du « livre blanc » du Bitcoin le 1er novembre 2008 par « Satoshi Nakamoto ».
Nous comprenons que le nombre de Bitcoin émis (« minés ») sera au total de 21 millions au maximum ; au cours le plus récent cela représente une capitalisation de plus de 730 milliards de CHF. Il y aurait également plus de 110 millions d’ETH en circulation, ce qui fait plus de 240 milliards de CHF.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et il est évident que nul ne peut ignorer les cryptomonnaies aujourd’hui.
Principales Caractéristiques
Je propose quelques explications juridiques afin que vous compreniez les principales caractéristiques des cryptos.
Une référence juridique suisse notable pour la classification des cryptos n’est, étonnamment, pas une loi voire une ordonnance, mais une base légale plus légère, soit une Directive de notre régulateur financier, la FINMA (l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers), intitulé Guide pratique sur les ICO. Dans celui-ci, la FINMA distingue trois types de jetons :
Les jetons de paiement sont assimilables à des « cryptomonnaies » pures, sans être liés à d’autres fonctionnalités ni projets. Dans certains cas, les jetons ne peuvent développer la fonctionnalité nécessaire et leur acceptation comme moyen de paiement qu’au fil du temps. La FINMA considère ceux-ci comme n’étant pas des valeurs mobilières au sens de la LSFIN ;
les jetons d’utilité sont des jetons qui doivent donner accès à un usage ou service numérique ; alternativement
les jetons d’investissement représentent des parts dans des « actifs réels », des entreprises, des revenus ou un droit à des dividendes ou des intérêts. Ainsi, sous l’angle de sa fonction économique, le jeton doit être considéré en droit suisse comme une action, une obligation ou un instrument financier dérivé, soit un instrument financier au sens de la LSFIN, par exemple
Les jetons de paiement sont, dirais-je, les plus connus ; en effet, le plus célèbre d’entre eux, le Bitcoin, est selon le consensus un jeton de paiement. Ainsi, celui-ci n’est pas en instrument financier et les obligations de comportement et d’information de dite LSFIN, ainsi que l’obligation d’obtenir une licence étatique (cf. LEFIN), ne s’appliquent en principe pas.
Critiques habituelles
Comme souvent s’agissant d’un phénomène d’innovation ou de technologie « disruptive », les critiques sont nombreuses. Par principe, cela n’a rien d’étonnant. C’est un réflexe normal de la majorité des utilisateurs/consommateurs de conserver leurs habitudes. A cet égard, l’Innovation Curve de Rogers indique que les innovateurs sont seulement 2,5% de la population et que les précurseurs (early adopters) sont 13.5%.
Une critique habituelle est que les cryptos permettent des escroqueries de grande échelle (par exemple, cette contribution: https://www.letemps.ch/economie/sulfureuse-tentation-cryptomonnaies ). Ce récent article se réfère en effet aux arnaques « pump and dump », soit soutenir ou gonfler le cours d’une crypto, puis vendre en masse lorsque suffisamment de personnes auront investi, au risque de laisser les « pigeons » sur le carreau avec une perte importante.
Une autre accusation est que les cryptos ne sont pas transparentes et risquent d’être utilisées pour faciliter le blanchiment. Par exemple, une dépêche de cette même publication, datant de l’été dernier, indique la saisie record actuelle de cryptomonnaie du Royaume-Uni, d’une valeur de GBP 180m (environ CHF 220m).
Enfin, dans un autre registre, celui de la politique monétaire des états, l’un des fondateurs de l’Ether, Vitalik Buterin, indique que la nouvelle loi salvadorienne obligeant les entreprises à accepter le Bitcoin va clairement à l’encontre des idéaux de liberté qui animent la communauté des cryptos : https://www.numerama.com/tech/746441-contraire-aux-ideaux-de-la-sphere-crypto-le-createur-de-lether-critique-la-loi-bitcoin-du-salvador.html. Le FMI exhorte même Le Salvador à abandonner le Bitcoin comme monnaie ayant cours légal, au motif que cela entrainerait d’important risques de stabilité financière : https://www.ft.com/content/fbf9aef0-453f-4e61-bd83-ff2b2bc92221.
Ancrage juridique actuel en Suisse
Ayant constaté que les cryptos pourraient faciliter des transferts de valeurs potentiellement anonymes, voire à but illicite, la FINMA a rapidement clarifié que la proposition de prestations de conservation et de services de paiement en monnaies virtuelles (custody wallet) et l’exploitation de plates-formes de négociation permettant l’achat et la vente de monnaies virtuelles constituent des activités soumises notamment à la loi sur le blanchiment d’argent (LBA). Les personnes qui comptent offrir ce genre de services doivent ainsi, avant le début de leur activité, s’affilier à un organisme d’autorégulation. Ceci offre des garanties similaires à l’activité des autres intermédiaires financiers suisses.
Techniquement toutefois, le risque d’anonymat est faible. En effet, une fois la première démarche effectuée, soit l’identité du détenteur/détentrice d’un wallet donné déterminée sans ambiguïté, par exemple en fournissant une capture d’écran prouvant que le wallet est effectivement lié à l’adresse email du détenteur, toute la chaîne de transactions est en principe publique et immuable.
Par ailleurs, avec l’entrée en force de la Loi DLT, adoptée par la Suisse spécifiquement pour encourager les activités touchant à la crypto et conserver son avantage comparatif, la loi sur les poursuites et faillites (LP) a été modifiée. En effet, l’article 242a alinéas 1 et 2 LP prévoit que l’administration de la faillite rend une décision sur la restitution des cryptoactifs dont le failli (soit le crypto-broker) a le pouvoir de disposer à l’ouverture de la faillite et qui sont revendiqués par un tiers (soit le client final). Une telle revendication est fondée lorsque le failli s’est engagé à tenir ces cryptos en tout temps à la disposition du tiers, et que ceux-ci lui sont attribués individuellement ou sont attribués à une communauté, la part lui revenant étant clairement déterminée. Ceci va normalement supprimer l’insécurité juridique qui aurait pu découler de faillites de crypto-brokers.
Enfin, au niveau de l’obligation d’obtenir une licence réglementaire FINMA (de façon assez semblable aux banques), la loi DLT a conduit à la modification de la loi sur les banques et indirectement à celle de l’ordonnance sur les banques. Désormais, à certaines conditions, telles qu’acceptation des dépôts du public ou rémunération d’investissement (généralement appelée « opérations d’intérêts ») une Fintech pourrait devoir obtenir une licence FINMA fintech, voire une licence bancaire dans certains cas plus extrêmes (par le jeu notamment des articles 1b et 16 al. 1bis LB, ainsi que 5a et 6 OB).
Evolution
Au vu de ce qui précède, de nombreuses critiques habituelles et un peu routinières contre les cryptos ne résistent pas à la contre-critique.
On l’a vu, une fois l’identification initiale du détenteur effectuée, toute la chaîne subséquente de transactions est publique et ne peut pas être altérée, ce qui n’est en revanche pas garanti par les transferts bancaires.
Des dispositions juridiques très modernes et strictes encadrent la sécurité des cryptos lors d’éventuelles faillites, et, bien évidemment, en amont, lors de la surveillance étatique de la majorité des activités des fintech en Suisse.
Évidemment, d’aucuns ajouteront encore que les cryptomonnaies ne sont adossées ou garanties par aucun état, ce qui en augmente le risque. Cela serait éventuellement vrai dans une conception classique. Mais, d’une part, l’extrême intervention des états via leurs banques centrales sur la politique monétaire ou l’achat d’actifs en cas de crise et, d’autre part, des sanctions ou boycotts parfois peu clairs ou logiques sur certaines monnaies ou transactions étatiques, rendent les monnaies étatiques - autrefois plus sûres, peut-être désormais plus dangereuses que les cryptos, qui dépendent uniquement de l’offre et la demande et, partant, de la confiance de la communauté concernée dans ce(s) moyen(s) de paiement.
Force est de constater que le Bitcoin s’inscrit irrévocablement dans la durée et comme quelque chose d’officiel. Effectivement, des : - pays en voie de développement, - entreprise automobile novatrice (sous certaines réserves), - canton et municipalité suisses tels que Zoug et Zermatt, l’ont tous adopté comme moyen de paiement reconnu.
L’une des critiques qui reste en suspens toutefois concerne en revanche la consommation énergétique du Bitcoin. Cela sera-t-il pris en compte par les utilisateurs et le grand public et, si oui, quels en seront les solutions ?
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Finance – Cryptomonnaies au XXIe siècle, Quo Vadis ?
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