
Vingt-cinq décembre. Un moment de pause et de bilan. C’est aussi celui, ou jamais, de parler d’«Un Noël avec Winston» de Corinne Desarzens, sorti il y a déjà quelques mois par La Baconnière. Ce court récit résume une vie débordante ayant déjà fourni matière à trente-sept tomes de mémoires. Une somme de souvenirs rédigée avec l’aide de petites mains afin de renflouer les caisses d’un ancien premier ministre toujours à sec. Né dans une famille ducale qui possédait avec Blenheim un véritable palais dans l’Oxforshire, Winston Churchill faisait partie des cadets sans le sou. Ses parents, des gens exécrables et donc aimés, ne s’étaient en plus jamais souciés de lui…
«Noël appelle la consolation, suscite un besoin de gras.
Il s’est énormément publié sur Churchill depuis sa disparition. Mort en 1965 à 91 ans, le politicien possède une stature «plus grande que la vie», comme disent volontiers les Anglo-saxons qui adorent par ailleurs les biographies. Une bibliothèque entière pourrait se voir remplie d’ouvrages abordant Churchill par tous les bouts, afin d’en dire du bien ou au contraire du mal. Le dîner de Noël offre cependant un angle neuf, même s’il s’agit d’un rituel aussi ancien que la messe de minuit. Il permet en plus à Corinne, par ailleurs excellente cuisinière, de nourrir son texte de senteurs et de saveurs. Le tout avec un féroce appétit de mots parlant à nos sens. Le traité d’Histoire fait pour un instant place au livre de recettes. «Noël appelle la consolation, suscite un besoin de gras. Une soupe? De panais, de beurre et d’estragon, d’ail et de vermouth. Et l’odeur, déjà. Au moins à partir du poisson. Du saumon alors, tel quel ou harnaché de façon festive…»

Mais Noël reste un répit. Une respiration entre deux besoins d’activités frénétiques. Du moins pour Churchill, que Corinne Desarzens ne va pas observer par le petit bout de la lorgnette mais en le ramenant à son humanité. Bien sûr, dans ce livre faisant fi de la chronologie, il y aura les faits de guerre. Pour cet ancien militaire, elle fait du reste partie des activités humaines normales. Il l’aura faite sur tous les fronts, depuis l’Afrique du Sud de ses débuts. L’auteure (je ne suis pas sûr que Corinne apprécie cette féminisation) va donc nous raconter 1939-1945, en commençant par l’invasion de la Norvège par les nazis. Mais le conflit ne se verra pas cartographié par ses soins. Le lecteur restera à ras de terre, avec les rapports enfin sereins de Winston avec Richard Pike Pim. Dans ce second, cet assistant, le premier ministre en charge d’une catastrophe à gérer a trouvé son fils adoptif. Le vrai, Randolph, le décevait comme du reste ses filles. Winston avait beau détenir le pouvoir, «et donc tous les pouvoirs», il lui manquait celui de modifier les siens. Restait Clementine, l’épouse adorée. Subsiste de leur relation, souvent lointaine, mille sept cents lettres.
«Winston démembre la volaille avec une science sûre. S’il renonce à cuire un œuf dur, il sait détacher les muscles sans les déchirer et faire pivoter les articulations exactement là où il faut.»
La plupart des non-événements rapportés par Corinne Desarzens était connue. Ces menus faits (ou ces menus de fêtes) figurent dans les gros livres que la Vaudoise a consulté après s’être laissé fasciner par le monumental ouvrage d’Andrew Roberts, paru en français chez Perrin en 2020. Mille trois cents pages bien tassées. Son ordre des priorités ne se révèle cependant pas le même. Corinne ne peint pas de fresques gigantesques. Il s’agit d’une pointilliste. Pour elle, le petit détail parle vrai. «Il jouait du banjo à Noël», apprend ainsi son lecteur. Voilà qui a tout pour bouleverser l’image empesée qu’il pourrait avoir de cette icône de l’histoire britannique. Il en va de même avec ses mœurs de table. «Winston démembre la volaille avec une science sûre. S’il renonce à cuire un œuf dur, il sait détacher les muscles sans les déchirer et faire pivoter les articulations exactement là où il faut. Repérer les jointures et préserver les os le réjouit autant que l’art de relier les choses, de réapprendre à organiser les morceaux, rien d’autre que la conversation.»

Le portrait se brosse ainsi par petites touches. Corinne, qui fait aussi de la peinture, ménage ses effets. Elle ne les concentre pas sur son modèle. Du reste, comme toujours avec elle, il y a des moments où ce dernier sort du cadre. Apparaissent ainsi dans «Un Noël avec Winston» aussi bien la tante nonagénaire de l’écrivaine (encore une féminisation qu’elle n’appréciera pas) que Jean-Claude Carrère. Ce dernier fait son entrée à la page 83 avant de disparaître au bout du chapitre après avoir laissé la vedette à la dinde de Noël. Pas plus de cinq kilos! Nous ne sommes pas au manoir de Chartwell (avec trente hectares autour, tout de même) dans le gigantisme américain. «Une bonne dinde, c’est un animal qui a bien cavalé», nous dit Corinne Desarzens qui nous recommande la «fermière» de vingt semaines. «Cent quarante jours au minimum. Cent soixante-dix pour une chair nettement plus goûteuse, pas forcément plus grosse qu’une dinde d’espèce «moyenne».
«Une bonne dinde, c’est un animal qui a bien cavalé.»
Le livre, qui se termine sur la mélancolie d’un Winston vieillissant promené comme un trophée avec la Callas sur le yacht d’Onassis, fait partie des meilleurs ouvrages de Corinne Desarzens. La femme a beaucoup publié depuis «Il faut se méfier des paysages» en 1989. Elle a su faire son miel de ses lectures, de ses conversations et de ses expériences. Elle demeure une romancière chez qui la fiction intervient peu. Corinne arrange. Elle compose. Elle magnifie surtout. En sa compagnie, tout devient extraordinaire, même l’ordinaire. Il y a plus de quarante ans que je la connais. Elle a toujours été comme cela.

Mais ici, le sujet se prête bien à cette mise en scène. C’était également le cas en 1998 avec «Bleu diamant», faux roman d’une vraie galeriste. En 2018 dans «Le palais aux 37 378 fenêtres», où Corinne racontait l’odyssée de Fortunato Bartolomeo De Felice, un moine défroqué qui édita au XVIIIe siècle la très protestante «Encyclopédie d’Yverdon». La femme n’est jamais meilleure que quand elle raconte. L’histoire des autres devient la sienne. Notez que parmi ses ouvrages, j’entretiens aussi une relation forte avec «L’Italie c’est toujours bien» (2018 aussi), où elle a pour une fois presque tout inventé. Sauf son Italie picturale (Carlo Crivelli et Lorenzo Lotto), qui m’apparaît, elle, bien réelle. Disons qu’à ce moment-là elle dépeint!
Pratique
«Un Noël avec Winston», de Corinne Desarzens aux Editions de La Baconnière, 164 pages.
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Livre – Corinne Desarzens passe «Un Noël avec Winston»
L’écrivaine part des repas de Fêtes pour donner un portrait littéraire du premier ministre britannique des années de guerre. Goûteux!