Show-businessComment l’enfant du Jamel Comedy Club est devenu producteur
Lenin Arulchelvam est un entrepreneur fasciné par le stand-up. Avec sa société AM Squad, il accompagne des artistes de renom et a fait en sorte de vivre de sa passion.

Lenin Arulchelvam revient tout juste de Paris. Une visite de quelques jours pour un concentré de scènes et d’humour. Au programme, pas de Louvre ni de tour Eiffel, mais des comedy clubs et des grands noms du stand-up francophone. Roman Frayssinet, Kevin Debonne, Monsieur Poulpe… De quoi donner le sourire, et un beau paquet d’idées.
Si Lenin est un passionné du rire, il est aussi et surtout un entrepreneur. Un producteur plus précisément, qui travaille à l’organisation de spectacles en Suisse romande depuis 2014. Avec sa société AM Squad – 500’000 francs de chiffre d’affaires en 2022 – il est à l’origine de plus de cent dates en l’espace de huit années. Un sacré numéro quand on sait que le Lausannois n’a que 32 ans, est autodidacte et que le Covid est passé par là.
Du Marrakech du rire à Genève
«Je suis de la génération Gad Elmaleh et du Jamel Comedy Club, sourit le principal intéressé. Ce sont eux qui m’ont donné envie d’appartenir à cet univers. Mais plutôt que de regarder leurs shows sur internet, je me suis mis en tête que j’allais les organiser.»
Nous sommes alors en 2014 et Lenin a deux handicaps à surmonter: il ne dispose d’aucune relation dans le milieu de l’humour et il n’a pas l’argent nécessaire à la création d’un spectacle. En revanche, il ne manque pas de culot et Facebook est alors un outil de communication puissant. «J’avais vu D’jal au Marrakech du rire et je m’étais dit qu’il serait parfait pour Genève. Pour l’événement, j’ai rapidement ciblé le Théâtre de la Madeleine et j’ai tout simplement contacté son directeur via les réseaux. Il m’a répondu qu’il avait envie de me faire confiance.» Résultat: une salle complète – 500 places – deux semaines avant la date et une première victoire pour AM Squad.
«Plutôt que de regarder les shows du Jamel Comedy Club sur internet, je me suis mis en tête que j’allais les organiser.»
Après ce départ en fanfare, la suite se révèle plus compliquée. Un mélange doux-amer de succès et de déconvenues. D’un côté, on le trouve trop petit pour lui confier des artistes et de l’autre il se fait doucement un nom dans le milieu de l’humour français. Sa technique pour percer? Passer des coups de fil depuis la Suisse – «Au téléphone, personne ne savait que j’étais un gamin» – puis se rendre sur place pour boucler le deal. À Paris, il apprend à pitcher en 30 secondes – «Pour ne pas laisser la place au doute» – et à se montrer convaincant. En mars 2015, c’est finalement la consécration avec Rachid Badouri et son premier Théâtre du Léman, avec plus de 1300 places assises. «En gros, je venais de réaliser mon rêve en deux ans seulement. Il m’a fallu attendre 2019 pour pouvoir en vivre vraiment, mais producteur est un métier palpitant.»
Manageur de l’ombre
Étrangement, chez «Bilan», c’est sous une autre casquette que nous avons croisé la route de l’entrepreneur. Nous sommes en octobre 2022 et nous cherchons à collaborer avec Alexandre Kominek, pour le lancement de l’opération «300 plus riches». Dans les tuyaux, des capsules réseaux pour lesquelles l’humoriste suisse reprendrait son rôle de nanti de Cologny. Si le projet tombe à l’eau – l’artiste est déjà trop gros pour nous –, la figure de Lenin demeure. L’homme de l’ombre est aussi manageur et c’est avec lui que nous avons négocié.
«On reste dans le même domaine, mais on change d’activité, confirme Lenin. Aujourd’hui, AM Squad représente quatre humoristes suisses. Pour Nadim Kayne, Julie Conti et Kevin Eyer, je mets à profit mon expérience pour les aider à grandir. Pour Alexandre, c’est un peu différent. Il fait salle comble à Paris. Donc pour lui, je travaille plutôt sur son image et ses partenariats commerciaux.» Une collaboration qui prend forme en 2019, après une rencontre en 2015 dans le cadre du concours «Joke nation» remporté par l’humoriste à Montreux. «Charisme, assurance, humour, il avait tout, se souvient l’entrepreneur. Et la suite de sa carrière m’a donné raison.»
De l’épicerie à l’entrepreneuriat
Aujourd’hui, Lenin pèse 32 spectacles, dont 10 au Théâtre du Léman en 2023. Cette année, il espère voir son chiffre d’affaires multiplié par trois et potentiellement recruter. Pour le moment, il collabore avec des indépendants. Et s’il n’est pas encore un grand du secteur, il est désormais capable d’attirer des têtes d’affiche comme Paul Mirabel, Thomas Ngijol ou Fabrice Eboué. «C’est sûr que c’est une fierté, sourit l’entrepreneur. Quand j’étais plus jeune, je n’avais pas les notes à l’école. J’ai été employé de commerce dans un cabinet de psychologue, puis j’ai tenu une épicerie pour mon père, qui a toujours travaillé très dur. Sur le moment, ce n’était pas tous les jours plaisant, mais aujourd’hui, je lui en suis très reconnaissant. Il m’a donné envie d’entreprendre. Après, ce que je voulais vraiment, c’était faire dans l’artistique.»
«La scène est un terrain de liberté d’expression qui demande du courage. Je respecte énormément les humoristes pour ça.»
Depuis qu’il est devenu producteur, Lenin ne regrette à aucun moment son choix. Il peut vivre de sa passion et entretenir des liens étroits avec des artistes qui le font rire autant qu’ils le touchent. «La scène est un terrain de liberté d’expression qui demande du courage, insiste le principal intéressé. Avec les réseaux sociaux, on peut rapidement se voir coller une étiquette pour un mot qui n’a pas plu. Quand on est humoriste, il faut savoir oser et assumer. Je les respecte énormément pour ça.»
Quid du Covid qui a ravagé le secteur du spectacle pendant pratiquement deux ans? «C’est là que tu apprends ce que c’est d’avoir une entreprise. En tant que société structurée en Raison individuelle, j’ai été très peu aidé et je suis rapidement passé en mode survie. J’ai tout essayé, maintenir des dates quand c’était possible, obligé le port du masque, tenté la salle remplie au un tiers, mais honnêtement, il n’y avait pas de bonnes solutions.»
Maintenant que l’épidémie est derrière lui, Lenin peut enfin envisager l’avenir plus sereinement. Surtout, il profite de tout ce que la scène humoristique a à offrir, en Suisse comme à Paris. Au point de risquer une overdose? «J’ai vu tellement de choses, que c’est forcément plus dur de me faire rire, reconnaît le Lausannois. Mais fort heureusement, il y a encore des génies capables de me surprendre. Le dernier s’appelle Roman Frayssinet. Et ça tombe bien, je le produis cette année au Théâtre du Léman.»
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