Historique
Depuis quelques années, une nouvelle classe d’actifs, que l’on ne présente plus, a émergé et eu la faveur des investisseurs: les cryptomonnaies.
Bien sûr, de fortes baisses de cours, appelées également "hivers cryptos", se sont produites de temps à autre. Par exemple, en ce moment, le cours du bitcoin est approximativement à un tiers de la valeur maximale jamais atteinte.
Quoi qu’il en soit, vu les avantages indéniables de certaines cryptomonnaies, tels que l’indépendance par rapport aux banques centrales et ainsi aux politiques monétaires souvent interventionnistes menées par celles-ci, la rapidité de transfert et de conversion et le bas coût des transactions, les cryptomonnaies intéressent encore et toujours de très nombreux utilisateurs et investisseurs.
La question que nous abordons ici est de savoir comment un client de private banking, peut demander à son banquier ou à son gérant d’investir pour lui dans les cryptomonnaies.
En effet, à Genève, le private banking est bien évidemment un secteur d'activité très important, et la question ci-dessus est fréquemment posée, tant par les clients que par leurs conseillers financiers.
Analyse juridique
En l’état de la législation, de la pratique de notre régulateur financier, la FINMA, et de la doctrine, on peut généralement dire que les pures cryptomonnaies de paiement, comme le bitcoin, ne sont pas considérées comme instruments financiers au sens du droit suisse.
La règle pratique est que si les monnaies ou tokens n’incorporent pas de droit de créance pari passu contre l’émetteur, et ne sont pas créées de façon centralisée, cette qualification juridique peut en principe être exclue.
En d’autres termes, tant que le token ne donne pas droit à une prétention contre les actifs de l’émetteur (généralement inscrite au passif de son bilan), on n’est vraisemblablement pas en présence d’instruments financiers.
Par ailleurs, la gestion privée prend généralement les formes suivantes:
Mandat de gestion discrétionnaire, selon lequel la banque a tout pouvoir de gérer les actifs du client,
Mandat de conseil en investissement, c.-à-d. que la banque donne des conseils au client régulièrement, mais les décisions et par conséquent la gestion du compte reviennent au client, et
La simple exécution, dans laquelle le client ordonne à la banque les opérations à effectuer.
Nous donnons quelques pistes concernant l’intégration de cryptoactifs aux portefeuilles, selon la classification ci-dessus.
Gestion discrétionnaire
S’agissant du mandat de gestion, les principales normes réglementaires sont les Directives concernant le mandat de gestion de fortune émises par l’Association suisse des banquiers, dont la dernière version remonte à novembre 2020 ("Directives"). Au surplus, le cadre juridique découle du contrat conclu entre les parties, au sens du droit contractuel suisse, le Code des obligations.
«À notre avis, le bitcoin et autres tokens de paiement ne sont ni des instruments financiers ni des valeurs mobilières, et n’entrent pas dans la catégorie susmentionnée des opérations bancaires ordinaires.»
En substance, les dispositions les plus importantes des Directives commandent notamment que la banque se limite aux opérations bancaires ordinaires, en exécutant le mandat de gestion. Ces opérations consistent généralement à utiliser les instruments classiques, tels que les titres de participation et de créance, dont la liste est donnée à l’art 3 lit. a et b LSFIN. D’éventuelles dérogations doivent être convenues expressément avec le client.
Attention toutefois, le bitcoin et autres tokens de paiement non créées par un émetteur central sont qualifiées par la doctrine dominante de valeurs patrimoniales purement immatérielles et ne sont pas inclus dans la catégorie des "droits-valeurs" (ce qui ressort du Message sur la loi DLT in FF 2020 223 p. 267). Ainsi, à notre avis ils ne sont ni des instruments financiers ni des valeurs mobilières, et n’entrent pas dans la catégorie susmentionnée des opérations bancaires ordinaires.
Par conséquent, il est fortement recommandé pour la banque de détailler dans une mise à jour du mandat de gestion, les caractéristiques et les risques des cryptomonnaies, et l’habilitation explicite du client donnée à la banque d’investir pour lui dans de tels actifs. Étant donné la nouveauté de ce domaine et son importance, ainsi que la forte volatilité de ces actifs, nous conseillons vivement à toute banque de procéder au "repapering", soit l’obtention de nouveaux mandats appropriés signés par le client.
Conseil en placement
Pour le mandat de conseil, il n’existe pas de directive réglementaire majeure spécifique (sauf sur les aspects ESG). Par conséquent, seul l’aspect contractuel est déterminant. La banque devra mettre à jour ses recommandations concernant les cryptomonnaies, notamment en indiquant correctement les facteurs de pricing et de payoff de celles-ci, en plus des caractéristiques et des risques, comme pour le mandat de gestion.
Pour rappel, le client garde la mainmise et assume ainsi une grande responsabilité, s’agissant des actifs du compte "conseillé". La jurisprudence du Tribunal fédéral considère en principe que la responsabilité de la banque est moindre dans le mandat de conseil que dans celui de gestion.
Exécution
Souvent appelée "execution-only", il s’agit de comptes de dépôt sur lesquels le client décide d’ordonner à sa banque d’acheter ou vendre des investissements. Ce type de compte est celui qui entraîne la responsabilité la plus légère de la banque. Dans ce cadre, la banque peut en principe se borner à exécuter les instructions du client.
Divers
Bien évidemment, les exigences habituelles telles que la best execution, les devoirs d’information et de diligence, notamment la déclaration des rétrocessions, s’appliquent pleinement aux cryptoactifs comme aux autres actifs, à notre sens.
Enfin, les obligations de comportement de la banque en tant que prestataire de services financiers selon la LSFIN ne s’appliqueront normalement qu’en présence d’instruments financiers. En théorie, on pourrait ignorer les prescriptions de la LSFIN lorsque la banque ne traite qu’en jetons de paiement non émis par un dépositaire central, en tout cas en l’état actuel de la jurisprudence et de la pratique de la FINMA.
Recommandation
En conclusion, "il n’y a plus qu’à", pour la banque, adapter son offre et ainsi sa documentation contractuelle, conformément aux trois typologies ci-dessus, et pour le client, s’enquérir auprès de son banquier des solutions proposées pour investir dans les cryptomonnaies, suivant son appétence au risque.
Cela doit toutefois être fait sans retard aucun et avec le plus grand soin, au vu des responsabilités de la banque qui peuvent découler de mandats pas (ou insuffisamment) mis à jour.

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Crypto & private banking – Comment investir dans la crypto aujourd’hui?
Certaines cryptomonnaies (dépendamment de leurs caractéristiques économiques) ne sont en principe pas des instruments financiers ni des valeurs mobilières ordinaires au regard du droit suisse. Leur intégration à un portefeuille pose dès lors de nombreuses questions: sous l’angle du private banking, comment le client peut-il s’exposer à des cryptomonnaies via son banquier?