Monde post-CovidComment accompagner le grand retour au bureau
Après deux années passées en télétravail, nombre d’employés romands sont invités à regagner les locaux de leur entreprise. Conscients du défi, les employeurs cherchent à recréer du lien.

Le grand retour au bureau. Il y a six mois encore, personne n’aurait vraiment pu l’imaginer. Le temps était alors à la 3e dose couplée à la 5e vague et les employés étaient encouragés à rester à la maison. En deux ans de pandémie, le télétravail était passé d’exception à une habitude, avant de se transformer en norme. C’était alors une certitude, plus rien ne pourrait le remettre en question. Nous sommes maintenant en juin et le tableau a radicalement changé.
Alors bien sûr, le télétravail n’a pas disparu et la flexibilité est désormais une composante clé de la vie en entreprise. Mais les employeurs ne s’empêchent plus d’aborder la question du retour des salariés avec une volonté partagée: recréer du lien.
L’aventure commence dans les bureaux
«Après deux ans de visios, c’est facile de se dire qu’on a plus besoin de faire le déplacement, analyse Pascal Meyer, fondateur de QoQa. Mais pour créer une dynamique et partager l’esprit hyperfamilial de notre entreprise, il est impératif de nous retrouver. Nous sommes passés de 100 à 200 employés et nous venons d’ouvrir nos nouveaux locaux à Bussigny. Tout ce petit monde doit apprendre à vivre ensemble et comprendre que l’aventure QoQa se passe ici.»
Concrètement, que propose l’entrepreneur? «Imposer serait la plus mauvaise des méthodes», insiste Pascal Meyer, qui préfère une approche plus douce et plus créative. «Il faut que l’employé ait envie de revenir et pour ça, le bureau doit être plus qu’un lieu de travail, il doit devenir une expérience.»
Chez QoQa, on pense brasserie artisanale et restaurant concept dans les locaux. Il y a aussi le fitness - avec des cours à venir sur le rooftop - ainsi qu’un grand événement secret prévu le 10 juin. «Le budget événementiel a largement augmenté – il gravite entre 100 et 150’000 francs pour 2022 –, mais nous sommes à une période charnière, et c’est nécessaire», insiste l’entrepreneur. Une politique qui porte ses fruits, selon le principal intéressé, qui estime à 90% la proportion d’employés désireux de revenir.

Garder les moutons
Que se passe-t-il ailleurs, dans les autres sociétés romandes? Pour mieux appréhender la situation, nous avons posé la question aux acteurs de l’événementiel d’entreprises. Après tout, le secteur est en première ligne quand il s’agit de créer du lien. Verdict: après deux années très – très – compliquées, l’activité tourne à plein régime, signe que les employeurs cherchent actuellement à unir et à réunir leurs employés.
«C’est tout simplement incroyable, s’enthousiasme Alexandra Pruvost, directrice commerciale suisse pour Châteauform’, société spécialisée dans l’accueil de séminaires, formations et événements d’entreprise. Nous allons faire un mois de juin historique et nous comptons déjà plus de 150 nouveaux clients en Suisse depuis le début de l’année.»
Autre indicateur au beau fixe, le chiffre d’affaires du groupe, qui avait plongé en 2020 – à hauteur 80 millions d’euros contre 235 un an plus tôt – a retrouvé ses standards d’avant crise. «La situation sanitaire s’est améliorée bien sûr, mais nous avons aussi ajusté et renforcé notre mission afin de répondre aux besoins de tous les clients qui cherchent à créer du lien entre leurs employés, explique Alexandra Pruvost. Aujourd’hui, le collaborateur doit être au centre de la réflexion pour encourager la reprise de la vie en entreprise.»
Parmi les évolutions, Alexandra Pruvost note un retour en grâce du teambuilding au milieu des conférences et des activités culturelles. Une volonté de «faire ensemble», qui prend la forme de sports collectifs ou d’exercices collaboratifs comme le gardiennage de moutons en équipe. Quid des salles d’escape game, devenues avec le temps des grands classiques du teambuilding? À Genève, l’entreprise spécialisée Trip Trap note un net regain de sa clientèle corporate. Des sorties organisées par des équipes qui ont besoin de se retrouver dans un cadre informel, à l’heure où la vie de bureau reprend.
Danser pour oublier
Sur un plan relativement similaire, que penser de la tendance au retour des fêtes de boîtes, qui fait petit à petit son chemin? Plusieurs employeurs romands ont récemment annoncé la tenue de «summer party» en juin, ou de célébration de la rentrée en septembre. Des raouts qui veulent marquer le coup au sortir de deux ans de Covid. Carole Wittmann, directrice de la Clinique du travail comprend l’importance et la portée symbolique de ces événements dans l’optique d’un nouveau départ. En revanche, pour certaines personnes, le timing lui paraît un peu précipité, sachant que tous les employés n’ont pas encore tourné le dos à la pandémie.
«Expliquer du jour au lendemain à des gens qui sont à risque, ou qui ont simplement peur du virus, qu’ils peuvent désormais faire la fête au milieu de centaines de collègues, peut être très mal vécu, confie la spécialiste de la vie au travail. Pour eux, le climat reste anxiogène et la reprise doit pouvoir se faire en douceur.»
Communiquer pour désamorcer
Parmi ses différentes recommandations, Carole Wittmann préconise la tenue de séances en équipe ou chacun peut mettre les mots sur son expérience loin du bureau. Une manière de renouer le contact et de mieux comprendre la position de l’autre. Steve Muskens, fondateur de Teamway et spécialiste de la dynamique de groupe, abonde en ce sens. Le Genevois organise des ateliers de facilitation en pleine nature – un concept baptisé «Inspire» –, durant lesquelles les collaborateurs ont l’opportunité de partager leurs ressentis et leurs attentes dans un cadre favorisant l’échange. «C’est en général l’employeur qui garde le dernier mot pour tout ce qui touche à l’organisation du travail, mais ces ateliers permettent d’apaiser et de limiter les situations problématiques à venir – absentéisme, turn over.»
Solution toujours, Clément Demaurex, lead strategist chez Studio Banana à Lausanne prône la «capacité collective à donner du sens». Derrière le concept, on retrouve cette idée qu’un employé s’adaptera d’autant plus facilement au changement, qu’il a le sentiment d’en être l’acteur. Sa société, active dans le design de bureaux, propose d’accompagner les réorganisations en redessinant les espaces de travail. «Dans ce cadre, nous aimons intégrer les collaboratrices et les collaborateurs à la démarche à travers une série d’interviews et d’ateliers, explique Clément Demaurex. C’est l’occasion d’échanger sur le projet, de communiquer et d’en définir les enjeux clés avec les personnes concernées.»
À terme, une refonte des locaux peut-elle participer au grand retour au bureau? «Le Covid a mis en lumière le fait que la vie en entreprise avait un coût – à la fois financier et en termes de temps. Pour faire revenir un·e employé·e, il faut qu’elle ou il puisse en percevoir le gain. De jolis locaux y participent, mais ce n’est pas suffisant. On revient à cette notion de sens.»
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