
Etienne Bréton et Pascal Zuber ont sorti en 2019 le catalogue raisonné de l’œuvre de Louis-Léopold Boilly (1761-1845) chez Arthéna. Une véritable somme, annoncée urbi et orbi depuis longtemps. La chose pesait sept kilos et demi. En deux volumes, tout de même! Il y avait ainsi de quoi caler équitablement une commode ou faire de la gymnastique suédoise, un livre au bout de chaque main. Il faut dire que l’artiste a énormément produit, et ce sans l’aide d’un abondant atelier. Les auteurs ont compté plus de deux mille peintures, dessins et lithographie de sa main. Plus cinq mille «petits portraits», sur lesquels je reviendrai plus tard.
«Chroniques parisiennes»
Il y a déjà certes eu plusieurs expositions Boilly dont une, importante, s’est tenue au Palais des beaux-arts de Lille en 2011-2012. Une nouvelle présentation ne s’en imposait pas moins. Elle se déroule aujourd’hui dans le cadre, nettement plus intime, du Musée Cognacq-Jay de Paris. La rétrospective s’est du coup vue centrée sur les «Chroniques parisiennes». Un ajustement ne demandant aucun effort particulier. Né à La Bassée dans l’actuel département du Nord, autrement dit près de Lille, Boilly a en effet rejoint la capitale dès 1785. C’était là que tout se passait, bien davantage que dans les Flandres. Il existait tout un marché fleurissant indépendamment des Salons. Boilly ne deviendra du reste jamais académicien. Une nouvelle couche d’amateurs réclamait des tableaux unissant le fini hollandais et la galanterie française. Si la plupart des thèmes restaient dans le bon goût bourgeois, d’autres se risquaient à un brin de polissonnerie. Il y a un tableau nettement lesbien à Cognacq-Jay.

Boilly accomplira ainsi une première carrière, vite interrompue par la Révolution. Celle-ci se voulait aussi une dictature de la vertu. Menacé, le peintre va se dédouaner par un «Triomphe de Marat» qui n’avait pas sa place ici, et un autoportrait en «sans-culotte» qui se retrouve lui aux cimaises. La chose, tenant du déguisement, l’aidera à traverser la Terreur. Le Directoire, le Consulat, puis l’Empire, la Restauration et enfin la Monarchie de Juillet vont du coup pouvoir découvrir un nouveau Boilly. L’homme se fera le témoin de son temps et de ses modes jusque dans les années 1840, la main toujours ferme. Il ne décrira pas Paris en termes de changements architecturaux. L’homme se fera plutôt l’observateur de ses habitants, toutes couches sociales confondues. Il donnera ainsi le portrait d’une ville que n’avait pas encore bouleversée le baron Haussmann à la demande de Napoléon III. Le Paris de Boilly reste encore, grosso modo, celui du Moyen Age avec ses ruelles boueuses à la moindre pluie et ses petites maisons intemporelles.

Il fallait bien sûr opérer des choix dans cette production torrentielle, où les tableautins (Boilly reste presque toujours dans les petites dimensions) et les dessins allaient se voir complétés par certaines des estampes créées avec la technique, alors toute nouvelle, de la lithographie. Etienne Bréton et Pascal Zuber ont désiré montrer des compositions importantes. Ils font la part belle aux trompe-l’œil, genre à l’époque considéré comme mineur. Les deux commissaires proposent enfin un mur entier de petits portraits. Juste avant que la photographie triomphe avec le daguerréotype, apparu en 1839, il existait déjà une forte demande bourgeoise de représentation. Boilly l’a satisfaite pendant des décennies. Une seule séance de pose, durant deux heures. La livraison cadre à palmettes compris. Une dimension unique, vingt et un centimètres sur seize. J’ai cependant noté que le Musée Cognacq-Jay, pour répondre sans doute aux normes du jour, montrait autant de femmes que d’hommes alors que l’artiste a eu bien plus de clients que de clientes…

Comment Louis-Léopold Boilly, dont une salle propose les autoportraits, construisait-il une composition un peu fouillée? L’exposition répond avec un petit «dossier» tournant autour de «L’arrivée d’une diligence dans la cour des Messageries», dont la version finale conservée au Louvre date de 1803. Dessins préparatoires, tableaux indépendants servant en fait à placer les personnages, réutilisations d’études effectuées auparavant pour d’autres toiles, le visiteur voit se mettre en place sous ses yeux une œuvre ambitieuse, où le peintre se retrouve lui-même une fois de plus en figurant. Comme Hitchcock au cinéma, Boilly aime signer ses réalisations les plus importantes par son image. Avec l’arrivée de la diligence, qui mesure un peu plus d’un mètre de large, il donne un de ses formats maximums. Il semble selon Etienne Bréton et Pascal Zuber en avoir existé de plus grands, mais ils sont perdus.

Très équilibrée, la rétrospective comporte de nombreux numéros. Cognacq-Jay, qui était alors encore dirigé par Annick Lemoine (passée de puis au petit Palais), ne dispose au premier étage que d’un petit espace pour les présentations temporaires. Trois salles médiocres et une sorte de corridor-boyau. Certaines œuvres se logent du coup ailleurs, au deuxième. C’est l’occasion pour le public de revisiter ce musée municipal, créé par les fondateurs de La Samaritaine, qui a déménagé il y a une trentaine d’années. Axée autour du XVIIIe, la collection a alors quitté les grands boulevards pour un ancien hôtel particulier du Marais, où elle est entrée non sans douleurs au chausse-pied. Les œuvres de Boilly rejoignent (ou remplacent) provisoirement les huiles et aquarelles qu’affectionnait Ernest Cognacq et Louise Jaÿ (le tréma est tombé par la suite…) . La chose permet effectivement de découvrir une communauté de goût, même si notre artiste se retrouve en temps normal plutôt dans les salons Empire du Musée Marmottan. Une institution qui se situe du reste, dans le quartier de La Muette, rue Louis-Léopold Boilly…
Pratique
«Boilly, Chroniques parisiennes», Musée Cognacq-Jay, 8, rue Elzévir, Paris, jusqu’au 26 juin. Tél. 00331 40 27 07 21, site www.cognacqjay.paris.fr Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Réservation recommandée, mais pas indispensable.

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Exposition à Paris – Cognacq-Jay montre le Paris de Louis-Léopold Boilly
Né en 1761, mort en 1845, l’artiste a laissé des milliers de tableaux lisses comme des porcelaines où souffle l’esprit du temps, de Louis XVI à Louis-Philippe.