
Il est apparemment des sujets inépuisables. Surtout s’il s’agit de «monstres sacrés». Ainsi en va-t-il de Cocteau (qui inventa du reste l’expression) et de Picasso. Ils se trouvent à nouveau réunis dans le nouvel ouvrage de Claude Arnaud. Dans sa préface, ce dernier rapproche le livre de son «Proust contre Cocteau» de 2013. Il craignait déjà de se répéter dix ans après la sortie de sa biographie à rallonges sur Cocteau de 2003. Elle ne comptait pas moins de 864 pages. Très agréables à lire selon moi, d’ailleurs. «J’avais peur de me répéter.» Eh bien apparemment pas! «Que tant de lecteurs se passionnent pour cette amitié amoureuse ayant tourné à la rivalité agressive se surprit.»
Un sujet éculé
Le biographe et autobiographe (dont j’avais beaucoup aimé en 2010 «Qu’as-tu fait de ses frères» où Arnaud racontait avec vivacité ses fugues contestataires, à treize ans, dans le Paris de 1968) remet donc aujourd’hui la compresse. On a déjà autant écrit sur Picasso que sur Cocteau et Proust réunis. De quoi remplir une bibliothèque. L’essentiel réside donc dans l’art de la narration, la nouveauté devenant quasi impossible. Tout le monde connaît la relation inégale entre le peintre ogre et l’écrivain se laissant trop facilement manger. Il y a du sadisme chez l’un et du masochisme chez l’autre. Il éclate dans leur correspondance, comprenant infiniment plus de lettres de Cocteau. Il suffit de parcourir le gros bouquin, paru en 2018, rassemblant toutes les missives conservées. Et il y en a beaucoup! Faute de toujours répondre, Picasso ne jetait jamais rien.

Que nous raconte donc Claude Arnaud avec beaucoup de talent? Le rapport commencé pendant la guerre de 1914 entre un poète déjà connu et un artiste plutôt «notorious», avec la nuance péjorative que suppose le mot anglais. Cocteau va rendre par la vertu du snobisme Picasso fréquentable pour le grand monde après le «scandaleux» ballet «Parade». Il y aura dès lors des hauts et des bas dans les rapports de deux hommes qui, en dépit des apparences, se ressemblent sur certains points. Ce sont à la fois des surproductifs et des phagocyteurs. Ils empruntent à tout le monde sans demander leur avis aux auteurs. L’Espagnol a imité avec génie beaucoup de ses confrères. Le Français a publié dans tous les styles, du plus classique au surréalisme. Il s’est aussi voulu peintre, regardé en tant que tel d’un air narquois par le sombre œil de son «confrère»… On ne nous dit pas ce que Cocteau pensait de Picasso écrivain, mais on le devine aussi.

Il y a donc eu des brouilles et des réconciliations. Des dominations et des dérobades chez l’un. Des supplications avec des sursauts de révolte chez l’autre. Ils se savaient pourtant indispensables pour pleinement fonctionner. Seule la mort va du coup les séparer pour de bon en 1963. Picasso, qui en avait peur, refusera d’aller à l’enterrement de celui qui était pourtant son compagnon de route. Il restera dans son atelier. Mais comme l’explique bien Claude Arnaud, si le Malaguène (il était né à Malaga en 1881) agissait en dévoreur avec ses femmes et ses proches, c’est qu’il avait lui-même été dévoré par plus puissant que lui. Sa peinture.
Pratique
«Picasso tout près de Cocteau», de Claude Arnaud, aux Editions Grasset, 233 pages.
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Livre – Claude Arnaud arbitre le duel Cocteau-Picasso
Son histoire d’une longue amitié se place sous le signe d’une inégalité, avec le goût de la domination de l’un et le masochisme de l’autre.