
Les records tiennent de la course d’endurance. C’est pire que le marathon. Des firmes comme Christie’s et Sotheby’s ne peuvent jamais s’arrêter en chemin. Il leur faut aller non pas toujours plus loin, mais sans cesse plus haut. Christie’s vient ainsi d’annoncer sa vente «à plus d’un milliard de dollars». La maison fermerait ainsi le caquet de son éternelle rivale. En 2021, Sotheby’s n’avait tiré «que» 992 millions des vacations Maclowe. Et Christie’s elle-même s’était contentée de 835 millions de dollars pour la dispersion d’une partie de la collection Rockefeller en 2018. On se situe bien loin du temps où un seul million de dollars représentait une somme énorme… C’était pourtant encore les cas dans les années 1970.
Des goûts éclectiques
La vente qui se déroulera à New York en novembre 2022 a tout pour «faire le buzz», comme on dit en bon français. La personnalité du vendeur, pour commencer. Mort en 2018 à 65 ans seulement, Paul Gardner Allen avait fondé Microsoft avec Bill Gales en 1975. On sait ce qui en a découlé. Dès 1986, Allen pouvait créer sa première fondation caritative. L’homme ne se passionnait pas que pour la technique. Il ne thésaurisait pas, comme le font aujourd’hui les nouveaux milliardaires d’internet qui semblent indifférents à tout, sauf peut-être à la conquête de la planète Mars. Outre le «devoir de philanthropie», qui a longtemps caractérisé les Américains les plus riches, Allen cultivait le monde de la culture. Ou plutôt «les cultures». La collection proposée par Christie’s se situe en effet aux antipodes du Museum of Pop Culture fondé à Seattle, avec un bâtiment signé Frank Ghery. Une institution que l’on pourrait aujourd’hui juger très générationnelle.

«Pour Paul, l’art était à la fois analytique et émotionnel», explique aujourd’hui sa sœur Jody, qui est aussi son exécutrice testamentaire. «Sa collection reflète la diversité de ses intérêts.» La chose explique de véritables collisions visuelles. Botticelli s’y retrouve avec Roy Lichtenstein, Klimt, Turner, Brueghel le Jeune ou David Hockney. Allen achetait beaucoup. Il y aura environ cent cinquante œuvres dans la vente de novembre. Il lui arrivait parfois de revendre. C’est notamment le cas avec un Rothko et un Willem de Kooning. Il prêtait volontiers ses tableaux. L’homme l’a d’abord fait anonymement. Puis il a organisé des expositions tournant autour de son propre fonds. L’une d’elles, «Seing Nature» a marqué les esprits en 2016.
«Pour Paul, l’art était à la fois analytique et émotionnel.»
Qu’y aura-t-il dans deux mois à New York? Christie’s entretient comme de juste le suspense. Il s’agit de perler les informations afin de multiplier les échos médiatiques. Directeur général, Guillaume Cerruti se comporte comme un marchand de tapis. C’est la course aux superlatifs. Plus la pommade. «Nous sommes honorés et privilégiés et nous exprimons notre gratitude à la succession de Paul G. Allen pour avoir choisi Christie’s comme partenaire pour ce projet.» Toujours docile, la presse parle du coup de «la plus grande vente de tous les temps», ce qui me semble faire bon marché des interminables ventes révolutionnaires de 1793-1795 en France. Il est vrai qu’il y a aussi ici un important aspect caritatif. Allen avait signé en 2010 le Giving Pledge. Il s’était donc engagé à consacrer sa fortune aux œuvres de bienfaisance. «L’un de mes objectifs fondamentaux est d’accélérer la découverte et de fournir à certains des plus brillants esprits du monde les ressources nécessaires pour résoudre certains des défis les plus épineux du monde.»

Dans les nouvelles que distille Christie’s comme s’il s’agissait d’une précieuse liqueur, il y a déjà celle de la dispersion de deux toiles très attendues. L’une est une «Montagne Sainte Victoire» de Paul Cézanne comme il en existe beaucoup. Il s’en trouve notamment une à Bâle et une autre à Berne. Mais la plupart des versions connues sont de nos jours dans des musées. Se verra également proposé le «False Start» de Jasper Johns. Une toile de 1959, la bonne époque pour un artiste américain désormais nonagénaire. Un artiste dont le public suisse peut découvrir des pièces essentielles au Kunstmuseum de Bâle, qui a su l’acheter très tôt.
Conditions inconnues
Si toute la presse spécialisée parle en ce moment de la vente Allen, elle se contente de prolonger le travail des communicants de l’illustre maison. Un sujet aussi épineux que les défis évoqués par le défunt se voit ainsi prudemment laissé dans l’ombre. Qu’a donc accepté de faire Christie’s pour que Sotheby’s ne décroche pas le gros contrat? Il semble clair que le vendeur ne lui versera rien. Mais la firme va-t-elle aller jusqu’à lui verser une partie de sa part? Après tout pourquoi pas? La maison ne donne pas si volontiers que cela dans le caritatif…
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Marché de l’art – Christie’s annonce la première vente à un milliard
Il s’agira de disperser en novembre les tableaux de Paul G. Allen, le cofondateur de Microsoft. Le produit doit aller à des œuvres caritatives.