
Coup de jeune! En temps normal, pour accéder au sixième étage du Centre Pompidou, un artiste doit être archi mort et depuis longtemps enterré. C’est en quelque sorte la succursale du Panthéon. Un Panthéon que le visiteur découvre au loin de la terrasse, histoire d’illustrer les bons rapports de voisinage. Or aujourd’hui deux créateurs vivants se partagent cette aire quasi sacrée. Je vous ai déjà parlé de Gérard Garouste, dont les grandes toiles figuratives occupent la Galerie 2. Garouste a 76 ans, ce qui fait presque jeune de nos jours. Son benjamin de neuf ans Christian Marclay vient de le rejoindre à la Galerie 1 avec un œuvre bien différent. Il faut de tout pour faire et défaire un monde.
Espace blanc et boîtes noires
Christian Marclay à l’étage noble de Beaubourg… Qui aurait dit cela? On s’attendait plutôt à une mezzanine pour l’Américain de Londres gardant un pied à Genève. Celle qu’occupe par exemple Alice Neel en ce moment. Le commissaire Jean-Pierre Criqui (assisté par Annalisa Rimmaudo) a cependant obtenu un plateau immense. La chose convient à un artiste qu’il convient de qualifier de «multimédias». Christian Marclay peut s’y étaler à son aise dans une scénographie conçue par Camille Excoffon. Le parcours dans un espace blanc se voit ponctué de passages à l’intérieur de boîtes noires. C’est là que sont projetés les films ou que se voient proposées des installations lumineuses. Notons que l’iconique «The Clock», d’une durée de vingt-quatre heures, ne fait pas partie des pièces montrées. Il y a depuis quelque temps comme une usure à propos de «The Clock». L’admiration devant la virtuosité de ce travail (proposé il y a quelque temps au Plaza genevois) a fini par créer un sentiment de répétition depuis la présentation originale du film à la Biennale de Venise en 2011. Lancé à la même Biennale en 2019, «War Movies» n’a pas connu le même retentissement. Ce moyen métrage ne figure d’ailleurs pas à Beaubourg non plus. Jean-Pierre Criqui a dû opérer des choix dans la production torrentielle de Christian Marclay.

Vue de loin, cette dernière peut sembler hétéroclite, avec ses pochettes de disques trente-trois tours utilisées pour former d’insolites tableaux. Ses photos bleues où des bandes magnétiques forment des compositions abstraites. Ses télescopages d’onomatopées tirées de bandes dessinées. Ses xylogravures enfin, où les découpages pratiqués créent des figures expressionnistes. De près, l’ensemble devient cependant cohérent. Il existe en effet plusieurs fils conducteurs. La musique d’abord, qui peut devenir une collection de bruits, voire de cris. Nous restons après tout là dans le domaine sonore. Le cinéma, ancien et moderne, joue ensuite un rôle important. Ce natif de San Rafael en Californie est un enfant élevé au biberon par Hollywood et la télévision. Il y a enfin et surtout le jeu. Tout prend avec Christian Marclay un aspect ludique, même si la chose n’apparaît guère quand on rencontre cet homme au physique très sérieux. L’actuelle rétrospective du Centre Pompidou devient ainsi une machine à faire rêver, mais aussi à distraire. Un cas devenu rare à une époque où l’art se veut austère. Reste encore à savoir si tout cela relève du «grand art»… Mais qu’importe finalement…

Au fil de sa déambulation, le visiteur retrouvera donc bien des pièces connues, ou leurs sœurs jumelles. Il y a sur un moniteur le montage sur les «Téléphones» (1995) extraits de films de fiction. Les pochettes de disques anciens se multiplient en veux-tu en voilà. Des peintures aux évocations sonores ponctuent le parcours. Il ne faut pas oublier que Marclay est représenté à New York par une galeriste aussi importante que Paula Cooper. Les films règnent enfin, avec en primes une rareté et une nouveauté. Je n’avais jamais vu l’ébouriffant «Video Quartet» de 2002, où quatre gros écrans crachent des images composant en même temps une partition musicale. Le film vaut presque à lui seul le voyage. Beaubourg présente en outre «Doors» de 2022. Il s’agit toujours d’un montage comprenant des centaines, si ce n’est de milliers de fragments cinématographiques. Mais c’est pour une fois l’espace qui importe, et non plus la temporalité ou le raccord sonore. Des personnages ouvrent des portes qui se referment sur d’autres acteurs jouant dans d’autres films. Il faut que le montage soit précis au quart de poil pour donner l’illusion d’une fiction continue. Aucune progression dramatique ici. «Doors» se présente comme une boucle de cinquante-quatre minutes comprenant à l’intérieur d’autres boucles, plus petites. Le public ne sait très vite plus où il en est!

Reste que ce public, en tout cas à certaines heures, se compte presque sur les doigts de la main. L’audace du Centre Pompidou n’a pour l’instant pas payé. Il y a certes eu beaucoup de presse, notamment en Suisse romande où Christian Marclay se voit volontiers annexé. L’homme a du reste été récemment présent chez nous tant par une jolie exposition au Mamco genevois que par une double installation dans ce qui restait encore un chantier de Platefore10 à Lausanne. Cette carence populaire se révèle bien sûr agréable pour le visiteur. Il peut pour une fois demeurer à son affaire. Elle risque pourtant de décourager un des rares musées parisiens n’ayant pas retrouvé de foules compactes après les confinements. Or les institutions publiques n’apprécient plus guère les succès d’estime. Elles ont pris des mentalités de grands magasins. Notez qu’en cette période dite «des Fêtes», l’exposition Christian Marclay peut faire l’objet du cadeau de Noël idéal. Il s’agit sans nul doute d’une fête de l’esprit.
Pratique
«Christian Marclay», Centre Pompidou, sixième étage, Galerie 1, place Georges Pompidou, Paris, jusqu’au 27 février 2023. Tél. 00331 44 78 12 33, site www.centrepompidou.fr Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 11h à 21h, le jeudi soir jusqu’à 23h. Réservation facultative.

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Exposition à Paris – Christian Marclay accède au bel étage de Beaubourg
L’Américain de Londres, qui garde un pied à Genève, reçoit sa rétrospective. Ludique, celle-ci propose des installations et des films.