
C’est la bonne surprise parisienne de l’année. Je n’attendais pas grand-chose de «Végétal», proposé jusqu’au 4 septembre par la maison Chaumet à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts (ENSBA). Je prévoyais une de ces autocongratulations comme plusieurs firmes de luxe les multiplient depuis des années, en se prenant pour des mécènes. Et puis voilà… La très vieille firme, qui remonte (en faisant abstraction des changements de noms) à 1780, a su trouver les angles voulus. Elle a surtout accepté de s’effacer. Je vous disais il y a quelques mois à propos du «Cartier et les arts de l’Islam» au MAD que j’aurais souhaité davantage d’œuvres moyen-orientales et un peu moins de bijoux. Rien de tout cela ici. Des joyaux, il y en a bien sûr! Mais Chaumet a poussé le tact jusqu’à inviter des pièces anciennes de certains de ses concurrents: Lalique, Boucheron, Tiffany…
La magie de l’arbre
Il faut dire que «Végétal» propose au public (pas forcément féminin) un vrai sujet. Il s’agit de la plante, vue sous tous ses angles et à toutes les époques. A l’entrée, la reproduction d’une fresque du Tassili montrant un Sahara vert, alors que la Suisse entière se voyait surmontée d’une épaisse carapace de glace, s’accompagne des musiques de «La Création» de Joseph Haydn (1798). Nous sommes non loin d’une de ces forêts de carton dont la jeune Eva Jospin s’est fait une spécialité. C’est la «Grotte», que suit un «Préambule». Puis l’arbre. «Qu’il soit représenté pour ses qualités symboliques ou décoratives, il demeure un marqueur omniprésent dans l’histoire de l’art.» Ajoutez-y la science, très présente le long du parcours sur deux étages de «Végétal». Commissaire de cette entreprise réussie, Marc Jeanson a ainsi fait une jolie place aux modèles démontables du docteur Louis Auzoux (1797-1880). Des modèles qui font aujourd’hui rêver après avoir instruit d’anciennes générations… Au cours de sa vie, un objet change souvent de statut.

Il y a de tout dans l’exposition, sans jamais donner une impression de désordre ou d’incongruité. Si Jean-Jacques Rousseau s’imposait en tant que botaniste, une lettre écologiste avant l’heure de Charles Garnier, l’architecte de l’Opéra de Paris, arrive du coup à propos. Un arbrisseau avait poussé malencontreusement auprès de sa cathédrale du spectacle. Le Ministère des Travaux publics lui en faisait reproche. «Quant à le faire enlever, je vous assure que je n’en ai aucune intention, trouvant que les arbres sont plus beaux que les monuments et que l’architecture du Bon Dieu est meilleure que celle des architectes.» Garnier conclu sa missive avec un «bien cordialement» adressé à son correspondant qui ressemble à un coup de pied au cul. Il y a, comme cela des lettres qui font plaisir un siècle et demi après leur écriture…

Mais déjà l’exposition de Marc Jeanson, dont le projet remonte à 2019 avec quelques mises au congélateur dues à la pandémie, prend un chemin de traverse. Il est à présent question des algues. Séchées à grand-peine, elles ornent les herbiers de la famille Triqueti. Coulées dans le bronze par Sarah Bernhardt, elles annoncent la grande exposition que mitonne Paris pour marquer les cent ans du décès de l’actrice-sculptrice. Il y a aussi des algues sur un diadème de Chaumet, dont le public peut ici voir la maquette. Et le cheminement reprend aussi bien en compagnie d’un énorme bouquet peint par la naïve Séraphine de Senlis que d’un Chardin ou d’un Monet. Les contemporains ne sont pas oubliés. Il y a des fleurs chez l’aquarelliste Jean-Baptiste Sécheret comme le photographe Robert Mapplethorpe ou le graveur Franz Gertsch. Des classiques parmi les modernes, me direz-vous. «Végétal» reste effectivement sage. Même l’expressionniste Otto Dix se voit représenté par des iris.

Sage ou pas, l’œil ne sait cependant plus où regarder au son de musiques plutôt insolites. Qui écoute encore les symphonies de Louis Spohr (1784-1851)? Le commissaire n’en guide pas moins discrètement son public. Il le fait passer du lierre à la noisette avant d’en revenir au chêne, arbre symbolique s’il en est et que le réchauffement menace. Il y a bel et bien un discret message adressé au visiteur. Ce dernier doit continuer à regarder en direct, et non pas par le prisme d’un écran. «Comment sauver un monde que l’on ne sait plus voir?». Nous devenons aveugles devant la nature. Je peux en témoigner. Je reste frappé, alors que les trains traversent les plus beaux paysages, de voir les gens rivés à leur portable. Que peut-on attendre des petits cons (et des petites connes, ne soyons pas sexistes) ayant plongé dans une sorte d’abstraction de l’image?
«Les arbres sont plus beaux que les monuments et que l’architecture du Bon Dieu est meilleure que celle des architectes.»»
Comme un feu d’artifice, «Végétal» se clôt sur un bouquet final au second étage d’une ENSBA remodelée pour l’occasion. C’est la section «Millefleurs». Deux Arcimboldo du Louvre, «Le printemps» et «L’été», font face à une immense tapisserie tissée vers 1520-1530 venue de Pistoia. La tenture mesure bien dix mètres de large. Entre les deux se trouve une table au plateau orné d’une de ces mosaïques de marbres comme en produisait l’Atelier des pierres dures de Florence. Quelque part se trouve aussi le diadème des duchesses de Bedford, créé par Jean-Baptiste Fossin vers 1830 sur le thème (endiamanté) de l’églantine et du jasmin. La fragilité du vivant se voit ici pérennisée. Sublimée, pour employer un adjectif à la mode. On pourrait citer Blaise Pascal lorsqu’il parlait de la nature morte. «Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire pas les originaux.»

L’exposition ne vaut pas que pour le choix des œuvres, la qualité du décor ou la réflexion écologique. Elle apporte aussi son lot d’innovations. Le prix, tout d’abord. En principe obligatoire, la réservation en ligne laisse le visiteur liberté du tarif. C’est deux, cinq ou dix euros au gré du preneur. Chaumet parle de «billetterie responsable». A l’heure où l’on parle dans le vide de «transversalité», «Végétal» rapproche mine de rien les aquarelles de botanistes des fossiles, les anciens et les modernes, le précieux du sans valeur vénale et l’art de la science. Alors qu’on s’épuise à des médiations souvent malheureuses, tout se passe ici dans la bonne humeur grâce à la présence de jeunes «guides volants», à qui il ne manque que deux petites ailes dans le dos. Tandis que les organisateurs d’expositions jargonnent à qui mieux mieux, les textes se révèlent lisibles par un enfant de six ans. La chose n’empêche pas le public de se voir traité en adulte. Je vous avais bien dit qu’il s’agissait de la bonne surprise parisienne de l’année!
Pratique
«Végétal, L’école de la beauté», Ecole nationale supérieure des beaux-arts, entrée au 13, quai Malaquais, Paris, jusqu’au 4 septembre. Tél. 00331 55 04 56 50, site www.chaumet.com Ouvert du mercredi au dimanche de 12h à 20h.
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Exposition à Paris – Chaumet veut réenchanter la nature à l’ENSBA
L’Ecole nationale supérieure des beaux-arts présente certes des bijoux, mais aussi des fossiles comme des tableaux ou des photos. Une réussite!