
Voilà qui nous amène gentiment vers la rentrée, alors qu’on n’a même pas eu le temps de sortir. Parmi les découvertes de 2022, j’ai en effet remarqué que mon courrier n’avait pas diminué cet été comme les autres années. La frénésie culturelle n’aura jamais cessé en juillet et en août. La surproduction est une chose qui, comme vous le savez, prend du temps et occupe de l’espace. Nous voici donc quasi en septembre, mais sans réelle appétence intellectuelle. Cette dernière exige une attente. Une disponibilité. Un vide intolérable à combler. Et pas une petite place dans l’agenda à trouver!
Attention aux réservations!
Mais de quoi suis-je en train de vous parler? Mais des Journées internationales du patrimoine, pardi! Elles ont rituellement lieu en Suisse le second week-end de septembre depuis 1994. Une semaine avant la France. Ce rendez-vous tombe à Genève la semaine du Jeune genevois. Peut-être pour susciter le fameux appétit dont je vous parlais tout à l’heure. Notez que dans notre bonne ville, le Festival de la Bâtie, qui remonte pour sa part à 1977, tombe en même temps. Il faudra d’autant plus choisir que, comme depuis plusieurs éditions (celle de 2020 n’ayant pas eu lieu) la plupart des visites exigent des réservations effectuées à l’avance. Participer en Suisse aux Journées internationales du patrimoine n’est plus un plaisir. Il s’agit avant tout d’un travail.

Chaque mouture de la manifestation tourne, comme vous le savez, autour d’un thème. Un sujet un peu élastique, voire franchement en latex. Les cantons romands s’associant pour cette manifestation doivent parvenir à glisser un certain nombre de visites dans un programme tenant pourtant du fourre-tout. Le réservoir de possibilités ne se révèle pas infini, surtout dans le Jura ou le Jura bernois. Il y a en plus des «marronniers». Obligatoires! Je pense à l’expédition sur la barque «Neptune» à Genève, qui revient presque chaque fois. Un ou deux cantons désirent par ailleurs en faire davantage que les autres. C’est le cas du nôtre, qui veut toujours en remontrer à la Terre entière. Il ajoute ainsi depuis 2021 une «journée du matrimoine». Genève fait donc cette année trente-trois propositions d’intérêts bien divers, alors que Vaud se contente de quinze objets solides et le Valais de vingt-quatre tenant la route…

Mais quel est donc le sujet des Journées en 2022? Il s’agit du «Temps libre». Une notion moderne. Comme je vous le disais l’autre jour en vous faisant le compte rendu du livre d’Alain Corbin, on parlait jadis de «repos» (1). Les moments vides avaient alors quelque chose de réparateur. Puis sont venus les loisirs. Nous en sommes maintenant au «temps libre», qu’il s’agit d’occuper par différents moyens. D’où le côté éclaté de l’édition 2022, qui semble mélanger des choses très différentes. Il y a aussi bien des piscines (comme il se doit historiques) que des cinémas, des stades, des kiosques à musique ou des jardins. Il en faut pour tous les goûts. Il s’agit aussi de remplir la jolie brochure carrée, assez difficile à trouver hélas. Tout cela existe bien sûr aussi en ligne. Mais la consultation me semble moins aisée, et surtout moins titillante.

Que retenir de la version 2022? Le plus simple est de procéder par canton, en opérant des choix parfaitement arbitraires. Dans le Jura bernois, je retiendrai «Trois lieux de culture», avec des reconversions insolites dont celle d’un temple désaffecté en Café-théâtre de la Tour de Rive à La Neuveville. Fribourg va mettre en vedette les Bains de la Motta, qui datent de 1923, la salle de bal de la Grande Société, inaugurée en 1851, le Musée romain du Vallon (histoire d’expliquer l’«otium» antique) ou l’Hôtel de Ville. Cette dernière visite étant sans aucun doute la plus importante de l’année sur le plan patrimonial, je la renvoie à un petit article séparé.

Genève sera lacustre non seulement avec une Neptune reprenant du service, mais grâce aux Bains des Pâquis, terminés en 1934, ou Port-Choiseul à Versoix. L’eau se retrouvera également au centre des intérêts avec du kayak sur le Rhône et le Canoë-Club. Il y aura la piscine de Marignac, inaugurée en 1969 et les aménagements de la plage des Eaux-vives qui ont à peine trois ans. Le patrimoine va vite à Genève! Un certain nombre de salles de gymnastique dont celle, assez spectaculaire, d’Onex seront de la fête. La visite la plus importante me semble celle de La Gara, à Jussy. Admirablement restauré avec de gros moyens, ce domaine en mains privées a conservé tous ses bâtiments du XVIIIe siècle avec quelques touches modernes. Je pense notamment aux jardins du paysagiste Erik Dhont, avec un labyrinthe signé Markus Raetz.

Le Jura illustrera «Les sports en Ajoie» à Porrentruy, mais il restera autrement très classique. Fontaines sculptées et musées paysans. Neuchâtel ne s’écartera guère non plus des schémas traditionnels. J’ai noté ici la visite du Cercle national, typique d’une certaine convivialité héritée du XIXe siècle. Ou celle du Théâtre, aujourd’hui modernisé, qui doit être le plus ancien du pays puisqu’il date de 1769. Sur un plan plus insolite, les sportifs nostalgiques découvriront dans la forêt de la Joux-Pélichet ce qui subsiste du tremplin de saut à skis, créé en 1931 et démantelé dans les années 1990. En Valais, le public pourra sauter des installations de Verbier aux vestiges du casino et des établissements de bains de Saxon. Il y aura des concerts à Sion dans l’église de Valère restaurée. D’heureux élus pourront enfin monter à la Grande-Dixence avec le bus Saurer de 1951. Sierre plongera, elle, les participants dans les bains de Géronde ouverts en 1932.

Je terminera par le canton de Vaud. Il sera possible de revoir la salle et les entrailles du cinéma Capitol à Lausanne, la plus grande salle de Suisse encore en activité. La Salle de Spectacles de Renens, qui a pris forme en 1950, risque en revanche de constituer une révélation. Vaud propose comme tous les autres cantons lacustres sa plage historique. Il s’agira de Bellerive, lancé en 1937. Une balade se verra organisée dans les cafés historiques de Lausanne. On ira au Palace de Villars-sur-Ollon, construit par les architectes Borel en 1913. L’établissement fait peau neuve après cinquante ans d’exploitation par le Club Méditerranée. Il y aura enfin, côté vignobles, une halte au domaine Potterat de Pully, cité depuis 1421. Tout (ou presque) se passera ici à la cave. «Santé et conservation», comme on aurait dit jadis en Pays de Vaud!
(1) «Histoire du repos», par Alain Corbin, aux Editions Plon, 167 pages.
Pratique
Journées européennes du patrimoine, samedi 10 et dimanche 11 septembre. La brochure m’a semblé difficile à trouver, Genève ayant installé son arcade touristique aussi loin que possible du public. Il est possible de la commander afin de recevoir l’objet par poste sur www.nike-kulturerbe.ch Ce site donne aussi la programmation par canton, avec un système du genre lent. Pour Genève, les inscriptions se font sur www.journeesdupatrimoine.ch

Fribourg va montrer au public la fresque du XVIe siècle découverte dans l’Hôtel cantonal l’an dernier
J’aurais dû vous en parler en avril 2021, mais je n’en savais alors rien. La découverte d’une vaste fresque inconnue dans l’Hôtel cantonal de Fribourg, où siège le Grand Conseil, n’a guère ému les médias romands à part la TSR. Il s’agit pourtant là d’un événement rare. Il fait penser à la révélation, déjà bien lointaine, du mur peint avec les «Juges intègres» dans la Tour Baudet de Genève, où palabre notre Conseil d’État. La fonction des deux peintures semble du reste identique. Il s’agit dans les deux cas de célébrer la Justice. Fribourg le fait cependant d’une manière plus elliptique à nos yeux de 2022. Mais au XVIe siècle, l’histoire de Suzanne, tirée du Livre de Daniel dans l’Ancien Testament, restait d’un accès immédiat. Il y avait faux témoignage, intervention d’un prophète et lapidation finale des deux coupables. On était expéditif chez les Hébreux!
Un camaïeu de verts
Que s’est-il passé? La maison de ville des Fribourgeois connaît des réparations. Celles-ci concernaient l’an dernier l’ancienne salle du Tribunal cantonal. Elle présentait l’aspect qu’elle a acquis dans les années 1775-1776, avec un plafond mouluré et des boiseries d’un Louis XV tardif. Les travaux ont exigé la dépose de ces dernières. A la surprise générale est apparue (comme à Genève jadis en enlevant d’autres lambris) une décoration de huit mètres de long parcourant la paroi ouest sur toute sa partie supérieure. Sur le mur sud se trouvent des motifs végétaux et des candélabres à grotesques. L’ensemble reste en camaïeu de verts. Mais pas seulement! La peinture directement appliquée sur la molasse comprend des touches de couleurs et des dorures. Elle fait ainsi penser, en taille XXL, aux miniatures de certains manuscrits de luxe produits au XVe et XVIe siècles. Encore anonyme, l’œuvre remonte aux premières décennies du XVIe siècle, époque où l’art suisse alémanique a atteint une première apothéose. Pensez à Niklaus Manuel Deutsch, à Hans Fries ou à Urs Graf.

Un restaurateur s’est mis au chantier de cette peinture imprévue. Julian James en souligne les qualités. Les visiteurs des Journées du patrimoine pourront en juger sur pièce les samedi 10 et dimanche 11 septembre. La plaquette reproduit une magnifique tête d’homme barbu avec un grand chapeau à plumes évoquant certains dessins sur papier préparé germanique de l’époque. Le jugement «de visu» se fera lors des visites du «bel étage», qui contient notamment un Crucifix par Martin Gamb en 1508. Pour les détails pratiques, il faudra consulter dès le 2 septembre le site www.fr.ch/abc/culture-et-tourisme/patrimoine/les-journees-europeennes-du-parimoine On a connu des intitulés plus courts…
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Suisse romande – C’est reparti pour les «Journées du patrimoine»!
La prochaine édition se déroulera les 10 et 11 septembre. Genève a voulu en faire davantage que tout le monde, mais Fribourg domine.