
Comme souvent, j’arrive un peu tard. Il reste difficile d’être une rédaction culturelle à soi tout seul, avec ce que cela suppose d’asservissement à l’actualité… Et quand parlerais-je en plus du reste, qui tente pourtant d’exister discrètement? C’est ainsi le 17 avril, il y a donc une semaine, que Catherine Spaak est morte dans une clinique privée romaine. Elle avait 77 ans, mais on ne la voyait plus guère depuis son hémorragie cérébrale survenue il y a deux ans. De fait sa véritable carrière s’est terminée bien avant, même si la presse française n’a guère parlé de l’actrice dans ses nécrologies que pour sa participation à un feuilleton TV inepte, «Une famille formidable» tourné en 1993. «La Spaak», comme disaient à l’époque les Italiens, a en effet régné dans la Péninsule durant les années 1960. C’est loin. Très loin du cinéma actuel…

Catherine était née à Boulogne-Billancourt de parents belges en 1945. Elle est donc venue au monde tout près de studios de cinéma. Logique. Son père Charles signait quelques-uns des meilleurs scénarios français. Son oncle avait été premier ministre à Bruxelles. Tout partait bien, et le cinéaste Jacques Becker «empruntera» une Catherine de 14 ans pour jouer (non créditée) un rôle dans son dernier film «Le trou» en 1959. Tout aurait pu s’arrêter là, mais Alberto Lattuada, grand amateur de nymphettes, voudra vite l’inconnue pour «Les adolescentes» où elle aura quelques scènes très chaudes pour son âge. Une autre époque! Le public s’enthousiasma pour la nouvelle venue, dont la voix se voyait bien sûr doublée. C’était parti pour la gloire. Elle va plus ou moins durer quinze ans. Catherine tournera environ 80 films.

Bientôt châtain clair ou même blonde, Catherine arrivait au bon moment. Dans un pays en plein «boom» économique, elle pouvait incarner les Italiennes du Nord. Des filles délurées qui aimaient les voitures de sport, les soirées dans les boîtes de nuit et les garçons d’une nuit qu’elles n’épouseraient pas ensuite. Le fric avait fait sauter la morale traditionnelle au Nord de Rome. La nouvelle nation se voulait européenne, sans préjugés et pleine aux as. Les actrices ne devaient surtout plus avoir d’accents régionaux, ni de longues jupes noires. C’est donc en bikini que la Spaak a fait sensation à 16 ans dans «Le Fanfaron» de Dino Risi, où elle jouait la fille de Vittorio Gassman. Bien écrit, bien réalisé, bien joué, le film incarne aujourd’hui jusqu’au stéréotype ces années d’insouciance et d’optimisme ravageurs.

La Spaak n’arrête dès lors plus de travailler. Son salaire devient vertigineux, tant les producteurs se l’arrachent. Son nom est devenu synonyme de succès commercial (1). Tandis que Sophia Loren suit une trajectoire (trop) internationale, que Monica Vitti reste une comédienne intellectuelle et que Claudia Cardinale joue dans des films de prestige, Catherine paraît dans des films moins ambitieux. Mais attention! Ils sont signés Luigi Comencini, Mauro Bolognini, Mario Monicelli, Dario Argento, Antonio Pietrangeli, Marco Ferreri ou Luciano Salce. Et écrits par les meilleurs auteurs et dialoguistes du moment. Cinecittà a alors atteint un nouveau qualitatif moyen incomparable. La «ville du cinéma» accueille d’ailleurs des vedettes du monde entier. «L’ennui» de Damiano Damini, adapté de Moravia, illustre bien cette Tour de Babel. La mère est l’Américaine Bette Davis, le fils l’Allemand Horst Buchholz et sa petite amie la Belge Catherine Spaak. Tournage en muet, ou presque. On assurera les différents doublages son par la suite. Et le résultat se tient!

Catherine, dont la vie privée semble par ailleurs orageuse (quatre mariages ratés, de nombreux problèmes avec une fille), passe ainsi d’un plateau à l’autre. Rapidement intégrée à la vie romaine, elle impose un jeu simple et efficace, dont l’absence d’artifice tranche sur les compositions très travaillées de ses partenaires Nino Manfredi, Ugo Tognazzi ou Marcello Mastroianni. Elle est là et rayonne, spécialement dans la comédie dite «légère». Je vous ai déjà dit que la décennie se veut souriante. La France se devait de lui offrir quelques rôles. Ils resteront peu marquants. Hollywood, qui aime les Italiennes (même d’adoption), lui donnera une chance. «Hôtel Saint Gregory» de Richard Quine ne restera hélas guère dans les mémoires. L’Amérique s’arrêtera donc là. De toute manière, pourquoi vouloir devenir la dixième ou vingtième à Los Angeles, quand on demeure au top à Rome? Une capitale où les disques de chansons de Catherine se vendent par ailleurs mieux encore que des petits pains.

Peu à peu, le ciel va cependant s’obscurcir. Mai 68 débouche sur une contestation générale en Italie. Mais celle-ci, de joyeuse devient rapidement terroriste. Ce sont les fameuses «années de plomb», avec attentats et enlèvements. Dès lors, une jeune femme espiègle et visiblement de bonne famille n’a plus guère sa place à tenir. Les rôles vont par conséquent commencer à s’espacer. Puis il y aura l’inexorable chute du cinéma italien, gangrené par la télévision. On peut dire que les carottes sont cuites pour Catherine vers 1975. Elle a à peine 30 ans, mais elle appartient déjà au passé. La femme entre dans «l’après». Que faire? Que devenir? Il y aura de la TV. Du journalisme, plutôt bon. Quelques romans, qui trouveront leurs lecteurs. Et beaucoup de pauses dans l’attente d’un hypothétique second souffle. Le cas n’est pas unique dans l’histoire chaotique du septième art, où c’est toujours l’oubli qui finit par triompher.

De Catherine Spaak, beaucoup de titres populaires seraient à redécouvrir complètement, tant ils ont comme passé à la trappe. Evanouis! Leur réévaluation serait le fait de cinéphiles. Il semble hélas qu’eux aussi soient aujourd’hui en voie de disparition. La comédie à l’italienne ne jouit du coup plus du même crédit critique qu’il y a une quarantaine d’années. La roue tourne, dit-on. Mais c’est hélas souvent dans le même sens!
(1) La Spaak avait tant de succès que les producteurs engageaient pour les films qu’elle avait refusés sa sœur Agnès. Les journalistes transalpins baptiseront vite cette dernière «la Spaak économique»…
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Cinéma italien – Catherine Spaak a incarné le «boom» économique
Morte à 77 ans, l’actrice d’origine belge a connu un succès fabuleux à Rome dans les années 1960. Elle incarnait les filles délurées de l’époque.