
C’est une entreprise scientifique et éditoriale à nulle autre pareille. Je vous en ai souvent parlé, vu que l’aventure dure depuis 2010. L’Université de Genève, qui peut si souvent sembler une machine à décerveler, a alors lancé le projet «Peindre en France à la Renaissance». L’initiative était due à Frédéric Elsig, devenu une autorité en la matière. Il s’agissait, après avoir posé en 2011 et 2012 des bases méthodologiques, d’accomplir un Tour de France à un rythme plus lent que celui des coureurs cyclistes. Il faut dire que les historiens d’art ne sont pas dopés, même si les subventions peuvent jouer le rôle d’accélérateurs. Le Fonds national suisse pour la recherche scientifique et le mécène Jean Bonna sont ainsi entrés dans la danse (respectivement en 2015 et 2019) après le coup de pouce initial de la Fondation Sandoz.
Un peintre qui signe et date
Au fil du temps ont eu lieu onze colloques, suivis d’une publication sous forme d’actes. Avec Frédéric Elsig, Carmen Teodorescu et Rafaël Villa, les choses se voient rondement menées. Une prouesse quand on connaît la procrastination de bien des universitaires. Les éditions Silvana de Milan ont également fait diligence. Dans le genre, leurs équipes se montrent à la fois efficaces et rodées. Elles ont du coup permis depuis quelques années la parution parallèle de monographies consacrées aux «Ressuscités de l’histoire de l’art». Les publications dans ce domaine restent en temps normal moutonnières: Van Gogh, Vermeer, Botticelli ou Piero della Francesca… Il pleut toujours où c’est mouillé. En France, cette monotonie ne se voit guère cassée que par les énormes et ruineux pavés sortis par l’Association Arthéna, active depuis 1977 (1).

Je vous parlerai plus loin des derniers actes de colloques, consacrés à Angers et Tours aux XVe et XVIe siècle. Chaque chose en son temps, même si ce dernier peut sembler lointain. Je débuterai par l’ouvrage le plus accessible, je ne dis pas par un large public mais au moins celui des amateurs. Camille Larraz vient de sortir son «Simon de Châlons». Il s’agit du cinquième volume de «Ressuscités». Les précédents se voyaient dédiés à Grégoire Guérard, Antoine de Lonhy, la famille des Changenet et au Maître du Roman de la Rose de Vienne. Certaines passerelles se tendant d’un ouvrage au suivant, l’ensemble finira par former un tout. Camille se voit bien sûr amenée en chemin à parler d’autres peintres, dont elle tente de déterminer les contours. Une partie du travail consiste à établir un «corpus» de l’artiste, ce qui amène certes des inclusions mais aussi des renvois à des propositions alternatives. Il devient ainsi question ici du Savoyard Henri Guigues comme du «Maître de 1563» ou du «Maître de l’adoration de Saint-Pierre», qui pourrait être Léon Guigues, le fils d’Henri. L’histoire de l’art au XVIe siècle garde un aspect conjoncturel. Surtout en France, où il subsiste peu de choses en la matière par rapport à l’Italie, aux Flandres ou à l’Allemagne… Guerres de religion, Révolution, changements du goût.

Avec Simon de Mailly, dit «de Châlons» en raison de son origine champenoise, Camille Larraz a eu la tâche un peu plus facile que ses prédécesseurs dans la collection de Silvana. Le monsieur était bien élevé. Il signait et datait, ce qui demeurait rare à l’époque. Beaucoup de contrats ont été retrouvés à Avignon, où l’homme a accompli presque toutes sa carrière dès 1533. Nous sommes au courant par leurs descriptions d’autres œuvres, disparues depuis. Créateur à succès, Simon est d’ailleurs parvenu à édifier une belle fortune, prêtant au besoin de l’argent avec intérêt. A sa mort autour de 65 ans (on ne connaît pas sa date de naissance), il laissait en 1561 un important patrimoine immobilier. Les artistes n’avaient alors rien de bohème. Ils travaillaient à la commande, qu’il s’agissait d’honorer. La chose amenait des collaborations. Avec des assistants bien sûr, qui occuperont chez Simon une place importante après 1550. Mais aussi des menuisiers et des doreurs. Eux s’occupaient du cadre. L’œuvre demeurait vue comme un tout.
Emprunts à des gravures
C’est bien sûr Avignon qui conserve le plus de tableaux (sur bois, mais parfois aussi sur toile) de Simon de Châlons, même s’il y en existe au Louvre, à Besançon ou plus curieusement à la Galerie Borghèse de Rome. L’homme n’a du reste jamais été oublié par historiographie locale. Ses productions se sont ainsi vues citées avant 1789 et au XIXe. Les signatures doivent y être pour quelque chose… La tentation a bien sûr été d’en faire du coup un grand artiste, ce qui se révèle parfois vrai. En homme de son temps, Simon a pourtant beaucoup cherché son inspiration dans les gravures qui circulaient d’un pays à l’autre. Un peu à la manière contemporaine des images sur internet. Il piquait ainsi chez Raphaël comme chez Lucas de Leyde afin de créer de nouvelles compositions. Elles nous semblent du coup parfois chargées ou maladroites, à l’instar de la surpeuplée «Sainte Parenté» du Musée Calvet d’Avignon. Mais il s’agissait de montrer qu’on s’était mis au goût du jour, toujours plus italianisé.

Camille Larraz soulève à la fois la question de l’autographie des tableaux, celle de l’organisation du métier de peintre (libre en Avignon) et celle des échanges culturels dont Simon semble un parfait représentant. Venu du Nord, il a surtout œuvré dans le Sud. L’auteure le fait, sans verbiage ni étalage superflu de science, en expliquant ce qu’elle dit. Il ne s’agit pas d’une de ces thèses verbeuses que personne ne lit, sauf peut-être les jurés. L’idée devient de gagner un public plus vaste, même s’il demeure choisi. Limité. La faute aux musées, parfois. Le Louvre, qui n’a pourtant guère besoin d’attirer des visiteurs supplémentaires, refuse ainsi les projets trop pointus de ses conservateurs. Ceux-ci se réfugient en province, mais les rétrospectives concernent avant tout les XVIIe et XVIIIe siècles, plus accessibles. C’est à Orléans qu’il faut découvrir en ce moment Jean Bardin (1732-1809) et c’est à Cherbourg que je suis allé voir pour vous l’été dernier Louis Licherie (1642-1687). Après tout, les voyages forment la jeunesse!
(1) Les dernières publications d’Arthéna sont pour le XVIIIe siècle le «Louis Lagrenée» de Joseph Assémat-Tessandier et pour le XIXe l’«Alexandre Evariste Fragonard» (le fils d’Honoré) de Rébecca Duffeix.
Pratique
«Simon de Châlons» de Camille Larraz, chez SilvanaEditoriale, 224 pages.

Après Lyon, Dijon, Rouen, Toulouse ou Avignon, les villes d’Angers et de Tours reçoivent en commun leur livre de la série «Peindre en France au XVIe siècle». Le XVe s’est vu inclus pour faire bon poids.
Comment peignait-on en France au XVIe siècle, à une époque où le pays connaissait encore de nombreux foyers régionaux? La question s’est vue posée par plus de dix colloques, suivis dans l’année par la publication de leurs actes chez SilvanaEditoriale. Après deux ouvrages généraux, parus en 2011 et 2012, les auteurs (qui sont parfois les mêmes d’un tome à l’autre) ont pu passer aux travaux pratiques. Il s’agissait de fixer une sorte d’itinéraire. Lyon a ainsi précédé Troyes (qui était alors une cité importante), Dijon, Rouen, Bourges, Avignon, Toulouse et Amiens couplé avec Beauvais. De même qu’il avait parfois fallu jumeler les XVe et XVIe, le manque de matière conservée a également amené au mariage d’Angers et de Tours en 2022. Ce sont les communications alors présentées de vive voix à Genève qui font l’objet de l’ouvrage actuel placé, comme les autres, sous la direction de Frédéric Elsig.
Enluminures et tapisseries
Il ne faut pas s’attendre ici à un récit linéaire. Ce sont des points de détail que se voient évoqués par des chercheurs venus d’un peu toutes les paroisses muséales et universitaires. Si quelques artistes peuvent sembler bien connus, comme Jean Fouquet, Jean Bourdichon, Jean Clouet ou Barthélémy d’Eyck, la plupart d’entre eux restent en plus confidentiels. Surtout s’ils travaillent l’enluminure ou le vitrail! La peinture évoquée ici ne se limite en effet pas au panneau ou à la toile. Tout se voit considéré. Il y a même entre Angers et Tours de la tapisserie et la broderie.

Le tout reste savant. Nous n’en arrivons pas encore au stade de la vulgarisation. Les textes pointus se voient complétés par une importante iconographie en noir et blanc, généralement tirée des «archives de l’auteur». La série arrive aujourd’hui plus ou moins à son terme. Un dernier colloque, prévu au printemps, réunira les chercheurs. Le thème abordé sera vaste, même s’il ne faut pas trop se faire d’illusions sur l’étendue du corpus survivant. Tout tournera autour de Paris, dont le seul XVIe siècle se verra traité. Rendez-vous à l’Université les vendredi 28 et samedi 29 avril.
Pratique
«Peindre à Angers et à Tours», ouvrage collectif sous la direction de Frédéric Elsig, aux Editions SilvanaEditoriale, 344 pages.
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Livres d’érudition – Camille Larraz exhume le peintre Simon de Châlons
Le volume paraît dans le cadre du projet universitaire genevois «Peindre en France au XVIe siècle». Il y a un autre ouvrage sur Angers et Tours.