
Boum bada boum! Je ne dirais pas qu’un rat quitte le navire. Boris Wastiau, qu’on ne voit jamais sans son costume-cravate, n’a vraiment pas le physique de l’emploi. Mais il y a tout de même un peu de cela… Entré au Musée d’ethnographie de Genève en 2007, directeur de la même institution transformée en MEG courant 2009, l’homme vient en effet de rendre son tablier. Il quittera ses fonctions le 1er mars 2022 pour coiffer l’Alimentarium de Vevey. Le MEG se retrouve du coup dans les choux. Carine Ayélé Durand, qui joue ici les éminences grises, assurera l’intérim jusqu’au nouveau concours pour une nomination. L’institution, qui n’a toujours pas trouvé de nouveau nom pour remplacer le signe actuel, jugé colonialiste et raciste, n’est pas encore sortie de l’auberge. Y est-elle du reste jamais véritablement entrée…
Une succession en douceur
Tout avait pourtant bien commencé. Wastiau arrivait de Belgique, où travaillait au musée bruxellois de Tervuren, qui faisait alors référence. C’était un spécialiste des Amériques et de l’Afrique. Il avait par ailleurs accompli du travail de terrain. Nommé pour «remettre de la bonne humeur» dans un musée qui l’avait sérieusement perdue sous le règne de Ninian Hubert van Blyenburgh (muté ailleurs après quelques épisodes rocambolesques), Jacques Hainard l’avait pris sous son aile. Le Neuchâtelois s’en portait garant. Le retraité du légendaire MEN était une autorité en matière d’ethnographie et d’expositions sur des thèmes de société. La succession allait pour une fois s’effectuer en douceur. Le but était alors d’arriver à construire un nouveau bâtiment, le peuple en ayant refusé en 2001 la version prévue à la place Sturm.

En attendant le grand jour, Boris Wastiau a monté quelques expositions dans l’ancienne école décatie du boulevard Carl-Vogt. Il y a ensuite eu le concours d’architectes, un nouveau vote, la construction (ou plutôt l’enterrement) du nouveau bâtiment près de l’Arve et une réflexion autour de collections à la fois abondantes et assez pauvres. En octobre 2014, un nouveau MEG inspiré par l’architecture souterraine du Museum Rietberg de Zurich pouvait enfin ouvrir avec un espace permanent et un autre pour les manifestations temporaires. On pouvait mettre ces dernières au pluriel, même ni le lieu n’a jamais abrité qu’une seule grande exposition par an. Aux Mochica ont ainsi succédé les plumes amazoniennes, le bouddhisme japonais, les aborigènes australiens ou les contes européens. A chaque fois, Boris Wastiau se mêlait du travail des commissaires désignés. Il se révélait un directeur du genre interventionniste.
Boîtes à Pandore
Dans l’ensemble, tout allait en apparence plutôt bien. Il faut dire que le MEG avait comme repoussoirs la Bibliothèque de Genève (1) comme le Musée d’art et d’histoire (MAH), qui évoquaient toujours davantage d’insondables boîtes à Pandore. Les expositions se révélaient souvent spectaculaires. Cela grinçait bien sûr du côté des conservateurs, les scientifiques se voyant comme partout mis à l’écart. Boris Wastiau restait encore lié au monde des collectionneurs et des marchands. Et puis d’un coup, ce directeur très agréable à rencontrer a semblé avoir retourné la veste de son costume PKZ. Il était devenu indigéniste, partisan des restitutions et anticolonialiste. En le revoyant, il me donnait l’impression d’un ami qui aurait été convaincu d’entrer dans une secte. Il fallait désormais selon lui tout repenser, de l’accrochage ordinaire aux expositions. Ces dernières devaient désormais concerner la société terrible dans laquelle nous vivons.

C’est ainsi qu’on a pu assister à l’ouverture, en septembre 2021, d’«Injustices environnementales, alternatives autochtones», dû comme par hasard à Carine Ayélé Durand. J’ai visité la chose le premier jour. J’avais décidé de ne pas vous en parler. Ce n’est maintenant plus possible. Il me faut bien dire que ce grand vide, garni de-ci de-là par des œuvres réalisées avec des membres de peuples sources, tient pour moi du grand n’importe quoi dans la veine bien pensante. Qu’on me comprenne rien! Je prends l’environnement au sérieux. Ce qui se passe en Amazonie ou sur les banquises me terrifie. Mais était-ce une raison (ou une excuse) pour faire cela? J’ai eu l’impression de voir la version de super luxe d’un des accrochages bricolés dans les années 1970 par les Maisons des jeunes et de la culture. Avec cette présentation finalement creuse des grands problèmes écologiques, je me suis dit que le fameux nom tant recherché pour débarrasser le MEG de son étiquette ethnographique, on aurait pu l’appeler la Maison des jeunes de la rue Carl-Vogt. Ou plutôt non. «De Plainpalais». N’oublions pas que Carl Vogt, supposé raciste, fait partie des figures vouées à la «cancel culture».

Quand l’espace permanent se verra repensé, le champ de ruines sera complet. On reste loin ici de la pertinence du Museum der Kulturen de Bâle (qui a rétropédalé dans un sens traditionnel) ou de l’intelligente somptuosité du Museum Rietberg de Zurich, dont je vous parle souvent. Genève a décidément mal à ses musées. Notez qu’à l’Alimentarium de Vevey les dégâts sont déjà faits. Cette émanation de Nestlé avait bien débuté en formant une collection patrimoniale montrée dans l’ancien bâtiment directorial. Puis le conseil de fondation a tout voulu bousculer, afin de rajeunir son public à coups de virtuel et de projections de film. Conçue par Ursula Zeller, la nouvelle présentation (rendue publique en 2016) a envoyé le fonds muséal en réserves. Débarrassez-moi ça! L’Alimentarium est devenu une salle de jeux pour enfants et adolescents. Le propos a disparu sous le papillotement des images. Qu’arrivera à en faire Boris Wastiau dans une cité vaudoise où il se passe par ailleurs beaucoup de choses intéressantes?
(1) La BGE va aujourd’hui mieux sous la direction de Frédéric Sardet.
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Musées genevois – Boris Wastiau quitte le MEG pour diriger l’Alimentarium de Vevey
A la tête de l’ex-Musée d’ethnographie depuis 2009, le directeur avait opéré sa volte-face en passant récemment à l’indigénisme et à l’anticolonialisme.