
C’est depuis quelques années le retour en grâce. Après sa mort prématurée à 57 ans en 1959, Germaine Richier n’a certes pas connu l’enfer. Elle est restée au purgatoire, où il fait tout de même moins chaud. Celle qui avait été la première femme exposée de son vivant au Musée national d’art moderne (aujourd’hui émigré à Beaubourg) est alors devenue une sculptrice pour amateurs éclairés. Elle demeurait certes soutenue en Suisse par des galeristes comme Jan Krugier à Genève ou François Ditesheim à Neuchâtel, mais sa grande période semblait terminée. Rien d’étonnant à cela. Une sorte de dépression suit en général les décès. La chose est en train d’arriver à Balthus. Elle risque de devenir le cas pour Pierre Soulages.
Formée par Antoine Bourdelle
Germaine Richier se retrouve aujourd’hui en gloire au sixième étage du Centre Pompidou, géographiquement proche du septième ciel. L’endroit se voit voué aux vedettes, ce qui n’est pas tout à fait le cas de la mezzanine, où Alice Neel brillait pourtant il y a peu d’un éclat singulier. Organisée par Ariane Coulondre assistée de Nathalie Ernoult, la rétrospective brasse large. Davantage que je ne l’aurais cru au départ. Une place importante se voit ainsi faite aux débuts parisiens de l’Occitane dans les années 1920 et 1930. La période suisse de 1939-1946 se retrouve mise en évidence. Les Français n’apprécient pourtant guère qu’un ou une des leurs s’épanouisse à l’étranger. Mais il faut dire qu’il s’agit là d’une césure capitale pour celle qui restait une exilée, du moins linguistique. Formée par le Montalbanais Antoine Bourdelle, mariée depuis 1929 à l’un de ses condisciples d’atelier d’origine zurichoise, Otto Bänninger, Germaine était jusque-là restée une classique douée. Plongée d’un coup dans le milieu alémanique s’exprimant en dialecte, elle va d’un coup oser ce que l’on appelle, avec un mot galvaudé, la modernité.

Tout en continuant à produire des bustes parfois alimentaires présentés en forêt à Beaubourg dans le beau décor de Laurence Fontaine, enseignant parallèlement, la Française va ainsi expérimenter. La figure hybride apparaît dans son travail. A moitié humaine, à moitié insecte. Parfois batracienne sur les bords. Ses figures tiendront bientôt des fils. Ceux-ci les situeront comme des araignées au milieu d’une toile. Germaine creuse et déchire ses statues. Elle les blesse, tout en les laissant vivantes. Il s’agit d’une bronzière, comme son maître Bourdelle et avant lui Rodin. Autant dire que l’artiste n’élimine pas au ciseau la matière, mais qu’elle en ajoute par modelage. L’œuvre se voit ensuite coulée, ce qui eut été difficile à Paris sous l’Occupation faute de matière première. Beaucoup de pièces montrées au Centre Pompidou sortent de chez Pastori, à Carouge. Là où se trouve aujourd’hui, tous feux éteints, La Fonderie. Ces œuvres ont été acquises à l’époque par des institutions suisses dont le Kunst Museum de Winterthour ou le Kunsthaus de Zurich. Germaine a alors beaucoup exposé, notamment chez Moos à Genève en 1946.

En cette année 1946, l’artiste rentre dans la capitale française. Sa grande période commence. Elle va durer une dizaine d’années, avant que le cancer ne ravage son corps. L’hybridation atteint son paroxysme chez Germaine Richier, alors que le milieu intellectuel verse dans l’existentialisme. La femme s’initie à la gravure, qui va jouer pour elle un rôle important. Elle donne ses statues les plus abouties, comme «L’ouragane» qui selon ses proches la symbolise assez bien. La galerie Maeght la montre au public. La Biennale de Venise la consacre. En même temps, les liens avec Otto Bänninger se distendent, du moins sur le plan créatif. Il reste un classique (1). Elle est devenue avant-gardiste. Le couple ressemble un peu, en inversant les sexes, à celui de «New York, New York» de Martin Scorsese, où Liza Minnelli continue dans la variété alors que Robert De Niro avance dans le «free-jazz». Ils se séparent, divorcent, mais resteront liés.

En 1951, Germaine Richier devient célèbre par un scandale. Susciter la polémique formait déjà la meilleure manière de se faire remarquer. Son «Christ» pour l’église du Plateau d’Assy choque par ce que l’on appellerait en 2023 sa radicalité. L’art sacré serait-il donc condamné au sucré? Les journaux vont en noircir des pages, mais la statue disparaîtra du lieu de culte jusqu’en 1969. Revue sur un mur noir du Centre, elle n’offre aujourd’hui plus rien d’étonnant. C’est un retour à des crucifiés romans de type expressionniste. A cette époque, Germaine inclut des éclats de verre à ses œuvres, qui tendent désormais vers la couleur. «La sculpture est grave, la couleur est gaie», rétorque l’artiste à ceux que le mélange des genres gênait. Beaubourg peut ainsi proposer des sculptures se détachant sur des fonds signés Zao Wou-Ki ou Vieira da Silva. L’artiste finira par colorier elle-même son jeu d’échecs géant, donné il y a quelques années par ses héritiers à la Tate Modern londonienne.

Cette dernière période, alors que la santé de l’artiste se dégrade, laisse perplexe. C’est une forme de modernité qui ne passe pas très bien plus d’un demi siècle après. Les statues elles-mêmes apparaissent moins fortes. Il y a le même phénomène d’épuisement que donnent les dernières toiles, un peu délavées, de Nicolas de Staël avant son suicide en 1955. Il faut dire que l’art millénaire de la sculpture s’apprête à entrer en crise. Le tridimensionnel va bientôt s’exprimer sous forme d’installations ou d’environnements. Vers 1960, les avant-gardes d’après-guerre vont prendre un coup de vieux, alors que Paris s’effacera bien à contrecœur, derrière New York. D’où le relatif oubli dans lequel va tomber Germaine Richier qui apparaît désormais comme un point d’orgue et non plus un point de référence.

Très belle, bien faite, avec un décor qui sait jouer des volumes, des lumières et des tonalités des murs, la rétrospective actuelle a été bien accueillie pour elle-même. Elle ne participe pas de l’exaltation, devenue laïque et obligatoire, de la création féminine. L’exposition ira cet été au Musée Fabre de Montpellier, la ville à laquelle la sculptrice reste liée et où elle est morte. Je note pour la bonne bouche qu’elle résulte d’une certaine manière de celle du Kunstmuseum de Berne en 2014 et de celle qui mettait la même année en présence au MBC-a de Lausanne Germaine Richier, Alberto Giacometti et Marino Marini. La Suisse a su précéder ici la France, comme le séjour zurichois de Germaine a anticipé ses réussites en France plus tard. Il est permis d’y voir une sorte de logique interne.
(1) Il y aura un long déclin chez Bänninger, qui signe en 1967 une déshonorante statue équestre du général Henri Guisan à Ouchy.
Pratique
«Germaine Richier», Beaubourg, place Georges-Pompidou, Paris, jusqu’au 12 juin. Tél. 00331 44 78 12 33, site www.centrepompidou.fr Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 11h à 21h. Nocturne le jeudi jusqu’à 23h. L’exposition sera à Montpellier du 12 juillet au 5 novembre.
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Exposition à Paris – Beaubourg rend hommage à la grande Germaine Richier
La sculptrice est rentrée en grâce. Très réussie, la rétrospective laisse de la place à sa période zurichoise entre 1939 et 1946.