
On n’est jamais seul. Il existe par conséquent d’autres villes que Genève pour connaître de sempiternels problèmes d’agrandissements de musée. Barcelone par exemple. Une cité où le remaniement du Museu de Catalunya entre 1985 et 1992 par Gae Aulenti a laissé des souvenirs traumatisants. L’Italienne avait fait exploser les budgets. On parlait alors d’un quadruplement du prix de départ, voire davantage. Seul le Musée des Confluences de Lyon a fait pire dans le genre…
Un geste volontariste
Aujourd’hui les frictions barcelonaises se concentrent autour du Musée d’art contemporain, ou Macba. Je me souviens d’avoir été invité en 1995 à l’inauguration de ce machin, construit par un Richard Meier alors au faîte de sa gloire. Blanc comme toutes les œuvres de l’Américain, le bâtiment restait quasi vide à l’intérieur, faute d’une réelle collection. Le plus spectaculaire semblait l’escalier extérieur, qui fait depuis la joie des «skateurs» venus de l’Europe entière. Il s’agissait du geste volontariste d’une région se voulant toujours plus autonomiste. Un geste à répétition. Aujourd’hui que le Macba possède un fonds propre, il désire en effet s’agrandir de manière pharaonique. Je crois du reste vous avoir déjà raconté cela, les gagnants du concours étant les Bâlois Christ & Gantenbein, connus pour leur Neubau du Kunstmuseum de Bâle (une réussite) et celui du Landesmuseum de Zurich (une véritable horreur selon moi).
«Le modèle choisi n’est pas le bon. Le Macba souffre depuis le début d’une relation conflictuelle avec la ville. Il s’agit maintenant de l’apaiser.»
Le principal problème est que la population avoisinante ne veut pas de cette extension. Elle lui boucherait la place dels Angels avec une interminable galerie toute en verre, genre hôpital, reliant les divers édifices formant aujourd’hui le Macba. Outre celui de Meier, un monsieur qui a surtout fait parler de lui récemment en raison d’accusations de harcèlement sexuel, il y a une chapelle demeurant sous-utilisée, la maison accueillant un centre d’étude et de documentation ainsi que l’ex-couvent dels Angels. Vous me direz que cela fait beaucoup, mais ce n’est apparemment pas assez. N’empêche que les habitants du quartier populaire, dense et pauvre, aimeraient bien garder la place pour eux. Il s’agit de leur espace de liberté.

Les voix dissidentes s’interrogeant tant sur la nécessité d’une amplification que sur ses coûts sociaux, économiques et écologiques se font toujours davantage entendre. Sous la plume électronique de Roberta Bosco, «Il giornale dell’arte» a tendu le micro à l’architecte et urbaniste andalou Santiago Cirugeda, connu pour ses positions politiques de gauche. Le journal ne l’a pas fait sans motif. La nouvelle directrice Elvira Dyangani Ose, nommée au Macba selon les mauvaises langues pour satisfaire le politiquement correct, a invité l’homme à réfléchir sur la place. Elle abritera du coup cet été un «jardin ambulant» dédié aux projets communautaires du quartier. L’homme ne s’est pas montré hostile à l’idée en soi d’un agrandissement, mais il faudrait selon lui le prévoir ailleurs. «Le modèle choisi n’est pas le bon. Le Macba souffre depuis le début d’une relation conflictuelle avec la ville. Il s’agit maintenant de l’apaiser. Il faut un plan réduisant la fracture entre sa direction et les citoyens.»
Un gain dérisoire
Pour le moment, on verdit donc la place. Il y aura ce printemps des pergolas et des zones destinées à tous les groupes sociaux, des enfants aux vieillards (pardon aux seniors) en passant par les inévitables skaters. «C’est une expérience», poursuit dans «Il giornale dell’arte» l’architecte. «Il y en aura une autre cet automne. La décision doit revenir à la communauté.» Cirugeda pense surtout qu’il faudrait mieux utiliser l’existant. Admettre avec lucidité que le projet Christ & Gantenbein (associés aux Catalans Harquitectes) ne donnera en fait que mille mètres carrés supplémentaires pour les œuvres, alors qu’il occupera au sol une surface trois fois plus grande. Elvira Dyangano Ose, qui a invité le Catalan, se voit par ailleurs remise en cause. La femme a annoncé que son premier accrochage semi-permanent durerait deux ans, ce qui semble bien trop long. La durée a pour une fois ici un coût écologique. Il faudrait ici des rotations rapides.
«Un plan gagnant ne se concrétise pas si les conditions de départ ont changé.»
Les Bâlois construiront-il au final quelque chose à un moment donné? Pas forcément. Pour le moment, le projet se retrouve simplement gelé. Il pourrait cependant se voir abandonné. Selon Cirugeda, rien là que de très normal. «Un plan gagnant ne se concrétise pas si les conditions de départ ont changé.» Le Consortium regroupant la Commune de Barcelone, la Generalitat, le Ministère de la culture et la Fondation Macba voit cependant les choses d’un autre œil. L’extension n’est pas remise en question. Les architectes choisis «rationalisent en ce moment les coûts prévus.» La direction promet toutefois d’étudier au mieux comment utiliser les lieux d’une manière aussi rationnelle que possible. Soyons écologiques! Toute ressemblance avec la Ville de Genève n’est à mon avis pas purement fortuite…
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Musées – Barcelone a mal à son Macba qui voudrait grandir
Les Bâlois Christ & Gantenbein ont prévu une extension irritant la population. On lui enlève sa place populaire pour créer un lieu élitaire.