
J’en ressors. J’ai les pieds gelés. Il y avait des fenêtres ouvertes. Mais je peux vous dire une chose. Je ne regrette pas un seul instant d’être allé au vernissage de Barbara Iweins dans l’Appartement. Lequel? Mais vous savez bien. Le tiers lieu se situant en haut de la gare de Vevey. Celui auquel le public accède par un escalier de métal ajouré. L’endroit a longtemps été réservé aux présentations biennales du festival photographique «Images». Il s’est vu ces derniers temps mis en service pour des expositions ponctuelles, mais régulières. Il s’agit de la sixième d’entre elles. Cet espace rigoureusement compartimenté semblait inventé pour accueillir la plasticienne belge. Barbara n’a-t-elle pas photographié un par un les quelque 12 795 objets peuplant la maison qu’elle occupe avec ses trois enfants, après leurs onze déménagements? On peut vraiment parler ici de mise en abyme. La maison a juste été déversée sous forme d’images dans un appartement…

Dans le genre méthodique et obsessionnel, il me semble difficile de faire mieux que Barbara. Elle a procédé chambre par chambre, fermant ensuite chacune d’elles afin que rien n’y entre plus et que rien n’en ressorte jamais. On plaint un peu les enfants Pieter, June et Julia pris dans cette entreprise de classification impitoyable. La femme se livre en effet par la suite à des statistiques aussi précises que dérisoires, montrées ici sous forme de tableaux. Les visiteurs apprennent ainsi que les dix-neuf pourcents des objets roses se trouvent dans la chambre de June. Que Pieter possède huit cent cinq Legos. Comme ceux-ci sont sortis de leur boîte, chacun compte. Si le fils cadet avait laissé l’emballage intact, les huit cent cinq auraient figuré comme un tout. Il faut suivre le protocole, avec ses exigences et ses incongruités. Heureusement que les nonante-six chaussettes bleues, toutes photographiées, se révèlent à taille unique. Chacun en puise deux au hasard dans la corbeille. Cela fait cela de moins à inventorier.

Avant d’aboutir à Vevey, les clichés à la rigueur très professionnelle ont fait l’objet d’un livre intitulé «Katalog». Une partie d’entre eux se retrouvent dans L’Appartement, irréprochablement mis en scène sur deux cent vingt mètres carrés. Le petit cinéma occupant un coin du logis propose un «making of» de l’aventure vécue par Barbara et les siens. Le visiteur y voit d’autres images relevant de ce que l’on eut naguère appelé la «nouvelle objectivité», avec ce que la chose suppose de sécheresse. Les sous-vêtements de l’artiste se voient du coup dépouillés de toute connotation érotique. Il y a là un peu de folie et beaucoup d’humour. Une présentation ingénieuse qui séduit. Un regard ambigu sur les choses, qui finissent par encombrer notre espace et notre vie. Les auteurs de l’exposition parlent d’«autoportrait intime et universel d’une maman du XXIe siècle». Je doute pourtant que toutes les mères actuelles soient obligées de gérer (et de déménager) 12 795 objets. On ne le leur souhaite d’ailleurs pas…
Pratique
«Barbara Iweins, Katalog», gare de Vevey, 2, place de la Gare, jusqu’au 14 mai. Site www.images.ch Ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 18h. Entrée libre.
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Exposition à Vevey – Barbara Iweins occupe L’Appartement dans la gare
La Belge a photographié les 12 795 objets de sa maison. Un inventaire obsessionnel doublé de statistiques folles. C’est très réussi.