
Balenciaga! En voilà un nom qui a fait rêver par son élégance dépouillée! Le grand Cristobal proposait à Paris une haute couture où tout devait jouer au demi-millimètre près. Quelque chose d’assez austère, où dominaient des noirs d’infante espagnole. Il fallait du reste se voir acceptée chez lui pour devenir cliente. Le vêtement devait se voir magnifié par la silhouette. Balenciaga a fermé sa maison en 1968. Il se refusait, en homme de sa génération, à fabriquer du prêt-à-porter. Pourquoi pas des robes de grand magasin, pendant qu’on y était! Son abdication a été brutale. La légende veut que Mona von Bismarck, l’une de ses plus brillantes admiratrices, ait passé trois jours au lit pour mieux pleurer sa disparition. Elle qui avait déjà subi celle de Madeleine Vionnet, qui avait mis la clef sous le paillasson en 1939!
Boomerang social
Comme vous le savez sans doute, Balenciaga a refait surface comme marque en 1986. Les re-débuts se sont révélés laborieux. La maison tourne aujourd’hui à plein régime, après un changement d’orientation à 180 degrés. La firme s’adresse aux jeunes frimeurs et friqués avec un étonnant effet de boomerang social. Les citadins de bonne famille s’y offrent à prix d’or un «look» de loubard, tandis que les banlieusards aux poches pleines de billets de banque viennent rue Saint Honoré s’offrir du Balenciaga. Ils intègrent ainsi l’univers de ce qu’on appelle aujourd’hui «le luxe». L’immense magasin, un ancien garage, expose des vêtements (que certains trouveraient juste bons pour la poubelle la plus proche) d’une manière si espacée qu’on croirait y voir pour le moins les reliquaires de la Sainte Chapelle. Notez qu’ailleurs Givenchy fait un peu la même chose… Hubert (de Givenchy, bien sûr!) n’a pas fait école chez ses successeurs.

Ces derniers jours, Balenciaga a cependant frappé plus fort que d’habitude. La maison propose son nouveau «sneaker», la folie du moment. Il s’agit d’une sorte de vieille Converse qui serait dans un état inavouable. Il n’y a plus que des fragments de la semelle de caoutchouc. Le nom et le logo de la marque se sont vus grossièrement tracés au «marker». Il paraît, d’après l’article de «Libération» consulté, que le produit présente un peu moins mal en réalité. Les images diffusées sur le site marchand ont en effet été mises en scène par le «bad boy» Léopold Duchemin, à qui ses mauvaises manières esthétiques confèrent semble-t-il du génie. Il s’agissait pour lui de mettre en valeur l’idée de Demna Gvasalia, qui dirige depuis 2015 les lignes de Balenciaga. Le Géorgien (non, non, il n’est pas Russe!) voulait rendre hommage à certains vêtements que leurs acquéreurs conservent jusqu’à la mort. Quel que soit leur état. Ils font partie de moi.
Le détail reconnaissable
Notez que cette fois les acheteurs et acheteuses risquent tout de même de garder leurs «sneakers» un certain temps, à moins de disposer de très, très gros moyens financiers. Les chaussures dont je vous parle ont été éditées dans une série strictement limitée à cent exemplaires. Elles coûtent 1450 euros, la paire tout de même. Mais je suppose que l’investissement doit se révéler rentable. Il y aura toujours, dans le milieu de la mode, quelqu’un pour identifier l’objet désirable grâce à un détail caché. Oui, oui, ce sont bien là des vrais Balenciaga! Pauvre Cristobal… Il n’aurait plus qu’à se dire victime d’un phénomène «de société». Société légère, tout de même. Il se passe des choses plus graves que cela dans le monde.
Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la "Tribune de Genève", en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.
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Mode – Balenciaga lance les sneakers pourris à 1450 euros
La maison n’est plus celle du grand Cristobal. Elle donne maintenant aux jeunes friqués un «look» de banlieusards. Edition limitée à 100 exemplaires!