
J’en ressors. Vivant, comme vous pouvez le constater. Artgenève a verni sa onzième édition en ce mardi 25 janvier. Démarrage sur le coup de midi. La foire a comme on le dit «retrouvé ses dates». Elle avait eu lieu en mars 2022, après une année sabbatique bien involontaire en 2021. Prétendre qu’on sent la différence dans ce gros cube de béton que reste Palexpo demeurerait selon moi exagéré. Le petit monde souvent vieillissant de l’art contemporain se retrouve en famille dans une boîte éclairée «a giorno» par des projecteurs qui aplatissent les œuvres tout en soulignant chez les visiteurs les ravages du temps. Les choses se passent ainsi dans de grandes allées, où défilent des stands aux murs en général blancs. C’est un peu la salle de bains ou l’hôpital, ce qui ne fait finalement pas de mal pour une création émergente depuis un certain temps placée sous perfusion.

Il y avait moins de monde qu’en 2022, du moins quand j’ai quitté les lieux sur le coup de 18 heures. Lassitude? Date occupée par d’autres réjouissances, comme le grand vernissage Léon Spilliaert à l’Hermitage de Lausanne? Abus de foires, puisque la BRAFA de Bruxelles aura lieu du 29 janvier au 5 février? Et parce qu’Artefiera de Bologne, organisé hors la ville dans un endroit à peu près aussi sexy que Palexpo, se déroulera du 3 au 5 février? Difficile de répondre, le but essentiel restant de trouver des clients et non du public. Pour certains, les bonnes affaires étaient déjà faites mercredi après-midi, comme chez Applicat-Pranzan qui avait déjà vendu à de très riches amateurs quatre ou cinq de ses «modernes» de luxe. D’autres guettaient en revanche que le chaland passe et repasse. Surtout ceux qui doivent vendre beaucoup de choses afin de rentabiliser leur venue, étant donné qu’ils pratiquent une gamme de prix plus modeste.

Quelle impression générale? Celle d’un «déjà-vu». Il y a d’abord la répétition locale, les galeries se rabâchant au même emplacement d’une année à l’autre. Plus celle, devenue lancinante, d’avant-gardes s’épuisant tout en fatiguant le monde. Certaines audaces ont maintenant trois ou quatre générations. Se dégage avant tout aujourd’hui la tendance maximaliste, qui serait représentée par un hideux oiseau garni de fleurs (hors commerce) de Jeff Koons. L’animal ne déparerait pas une vitrine de grand magasin pour Noël. Et la tendance minimaliste priant ses amateurs de s’extasier sur des riens. Entre les deux extrêmes subsiste tout de même un juste milieu, comme chez Ditesheim & Maffei de Neuchâtel ou Rosa Turetsky de Genève. Il y a aussi, dans le genre, les plus raisonnables des «poids lourds du marché international» allant à Artgenève, de Perrotin à Gagosian. A propos, ce dernier présente les céramiques tranquilles d’Edmund de Waal, qui fait depuis longtemps un carton. C’est de la «belle ouvrage», telle qu’on pourrait la trouver dans un «wohnshop» zurichois, avec des prix comportant trois zéros de plus.

Artgenève, c’est bien sûr une enfilade de galeries commerciales. Mais la particularité du salon, dirigé depuis le début par Thomas Hug, reste d’inviter un certain nombre d’institutions culturelles. Elles servent de pendants respectables à la présence lucrative des marques caractéristiques de ce luxe qui fascine aujourd’hui tant les âmes simples. Montres, «private banking», champagne and Co. Il y a ainsi les fonds d’art cantonaux et municipaux comme le Mamco, le Centre d’édition contemporaine, la HEAD, le Grand Théâtre ou le Musée d’art et d’histoire, les deux derniers cités profitant de l’occasion pour refléter leurs actuelles collaborations avec Ugo Rondinone. D’affreux cailloux peints de couleurs criardes et vulgaires pour le Grand Théâtre. Trois vitraux monochromes nettement plus séduisants au MAH.

Ceci vaut pour la Genève officielle. Mais j’ai autrement vu dans mes pérégrinations aussi bien la Fondation Dubuffet de Paris que l’ECAL lausannois ou la Fondation Opale de Lens (Lens en Valais!). Il s’agit bien de prouver que seul ne compte pas le tiroir-caisse. Que voulez-vous? Artgenève développe des ambitions culturelles, voire intellectuelles. Il y a d’ailleurs toujours, cette fois sur des caisses prêtées par la maison de transports Harsch, une librairie animée par les éditions Macula. Autant dire qu’on entend voler haut, ce qui peut sembler logique à côté d’un aéroport.

Au final, quel souvenir me reste-t-il de ce cocktail de contemporain et de moderne, avec un zeste de design (Philippe Cramer comme hélas Taste Contemporary) et une pincée de photographie (avec notamment un stand de Magnum)? Pas grand-chose finalement. Deux heures après ma sortie, je me déclare déjà incapable de distinguer la cuvée 2023 de celle de 2022, voire de celles d’avant le Covid. Les foires se ressemblent les unes les autres, un peu comme les supermarchés de luxe entre eux. Il demeure juste clair qu’Argenève n’est pas Art/Basel, tant sur le plan de l’organisation que sur celui de l’importance des œuvres. C’est très correct, parfois bien même, mais nous restons dans un salon d’importance non pas locale, mais régionale.

Sans bourgeonner de manière presque ridicule comme son modèle rhénan, la manifestation genevoise a cependant assez grandi pour servir de rendez-vous (pas forcément incontournable) non plus seulement pour un, mais désormais plusieurs publics d’âges et de cultures différents. Les gens qui visitent les stands aménagés comme des appartements au goût sûr par Catherine Duret ou Simon Studer ne sont pas les mêmes que ceux qui s’éclatent de manière bruyante chez Templon ou Continua. Le «second marché» ne possède du reste pas l’éclat un peu usurpé du premier.

Pour le reste, il y a une ou deux participations notables, et donc notées. Je reviendrai prochainement tant sur celle du Minotaure que sur l’«Hommage à la galerie Rivolta». Plus naturellement sur la petite rétrospective, malheureusement très mal mise en scène, proposée par la Fondation Dubuffet. Aujourd’hui, je me contenterai d’évoquer pour vous la présence, pour le moins insolite, des antiquaires parisiens à Artgenève. On fait pour une fois du vieux avec du neuf.
Pratique
Artgenève, Palexpo, 30, rue François-Peyrot, Grand-Saconnex près de Genève, jusqu’au 29 janvier. Tél. 022 418 28 00, site www.artgeneve.ch Ouvert le jeudi 26 de 12h à 19h, le vendredi 27 et le samedi 28 de 12h à 20h, le dimanche 29 de 12h à 19h.

Ils sont blottis dans un coin, comme si la direction les avait punis. Ce n’est en fait pas cela. Il convenait juste de ne pas trop faire remarquer leur singularité dans un salon par ailleurs très uniforme. Venus en bande, les neuf membres du Syndicat des antiquaires français, dont s’occupe aujourd’hui Ary Jan, n’en produisent pas moins leur effet. Il faut dire qu’ils n’ont pas débarqué les mains vides. Il y a aussi bien les antiques de Jean-David Cahn (qui est du reste de Bâle) que les objets océaniens d’Anthony Meyer. Plus quelques meubles spectaculaires, issus de la maison Léage. La commode Boulle, qui est en fait de François Lieutaud, en «jette» ainsi un maximum, comme les différentes pièces amenées par l’illustre galerie Ratton-Ladrière.
Réciprocité
Comment ces intrus ont-ils peu se glisser dans un temple du moderne et du contemporain? C’est très simple. A la fin 2021, lors de la dernière vraie Biennale des Antiquaires se déroulant au Grand Palais éphémère, il restait un gros trou. Je vous avais parlé de cette édition calamiteuse, qui a précédé la fusion de la foire avec Paris Fine Arts. Afin de combler ce vide incongru, Artgenève s’était vu invité, comme un convive de la dernière heure empêchant l’assemblée de se retrouver treize à table. La chose était conçue sur le principe de la réciprocité. Cette dernière n’a pas eu lieu immédiatement après, en mars 2022. C’est donc pour cette fois, avec des résultats qu’il sera intéressant d’enregistrer. Mercredi, il y avait tout au moins un succès public de curiosité. Y aura-t-il une suite? Après tout la BRAFA belge comme la TEFAF de Maastricht ménagent la chèvre et le chou. Chou de Bruxelles, bien entendu!
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Marché de l’art – Artgenève a verni mercredi sa onzième édition
La foire prend désormais un petit air de «déjà-vu». Cette mécanique rodée mélange moderne et contemporain, commercial et institutionnel.