
Cette fois-ci, on y est vraiment. Artgenève, qui a eu lieu par les poils en janvier 2020, s’était vu plusieurs fois reporté avant de passer finalement à la trappe en 2021. Le salon, puisqu’il faut éviter ici de parler de foire, n’avait pas bénéficié d’une embellie comme son grand aîné Art/Basel… En 2022, après des semaines d’un «suspense» supposé intolérable, le directeur Thomas Hug a fini par opter pour un prudent essai début mars, au lieu de janvier. Maintenant donc. Et nous voilà tous là, ou presque, en ce mercredi 2 mars pour un vernissage gentiment surpeuplé. «Le premier raout contemporain sans masques», me souffle une amie française. Eh oui! Pour ARCO, qui vient de fêter ses 40 ans à Madrid, même la reine Letizia restait majestueusement voilée.
Prêt à temps
Quand j’arrive à Palexpo, ce 2 mars, il est quatorze heures et des poussières. Les portes s’ouvrent. Tout semble prêt. Je le vois dès que je quitte l’escalator, dominé par un énorme tableau montrant des arbres roses signé Jim Shaw. Pas de petit flottement, comme je le craignais. Il faut dire que j’ai tendance à préjuger d’après la communication d’un salon. Et là, il faut bien admettre que les gens d’Artgenève n’en sont pas les rois. Je n’ai jamais reçu ma demande d’accréditation à remplir. Je me suis débrouillé tout seul, comme un grand. Il ne me semble pas non plus que la ville ait été constellée d’affiches, avec le logo rose fuchsia d’Artgenève. La manifestation souffle pourtant quelques bougies. Elle en arrive aujourd’hui à sa 10e édition. Une sorte d’âge adulte.
Comme une bille de «flipper»
Il existe dix façons, il y a cent manières de visiter Artgenève. Ce n’est pas pour rien que la Fondation Martin-Bodmer, invitée, a choisi de construire sa mini-exposition sur le thème du labyrinthe. Le jeu se voit en plus faussé, un soir de vernissage. Vous partez dans une direction. Vous croisez une connaissance. Vous «piapiatez» un peu, avec la vague promesse de se téléphoner bientôt. Puis vous changez d’objectif. Bref, les gens se comportent ici comme une bille dans un «flipper». D’où un côté aléatoire, qui ne se révèle finalement pas si mauvais. Votre course vagabonde va vous conduire à des stands où vous ne seriez pas allés autrement. On a beau dire et répéter qu’Artgenève reste «à taille humaine». Avec une bonne centaine de stands, dont ceux de nombre d’institutions, cette taille n’en devient pas moins XXL. Tout ne peut pas se voir absorbé en une demi-journée, d’autant plus que certains exposants n’ont vraiment pas le sens de la décoration. Chez eux, on se perd un peu.

Artgenève reste en principe un salon voué au moderne et au contemporain. Comme à Art/Basel, mais sur un pied plus modeste (comptez une dizaine de pointures en moins), le premier tend cependant à régresser au profit du second. Il semble aux organisateurs plus valorisant de montrer des «solos shows» et des créateurs émergents que des marchands spécialisés dans le futurisme, le cubisme, l’abstraction historique ou que sais-je encore. Ces derniers sentent un peu le magasin, autant dire le commerce. Leurs collègues, qui se sentent une vocation refoulée de curateurs pour Kunsthallen, font plus chic. Il y a cependant quelques beaux stands classiques à Palexpo. Je pense à Waddington Custot. A Tornabuoni ou à la Galleria d’Arte Maggiore, qui présentent comme par hasard des Italiens. A Antoine Laurentin, montrant en gloire cette Geneviève Asse dont il assure le catalogue raisonné. Au Minotaure, qui propose notamment une belle nature morte d’Arthur Segal datée 1922. Une toile très muséale.
Contemporain classique
Certains marchands opèrent le lien avec l’actualité. C’est le cas de Ditesheim & Maffei, qui se concentre sur des plasticiens se situant volontairement dans une lignée picturale ou sculpturale. Leur stand tourne cette fois autour d’Irving Petlin. Huiles et pastels. C’est également celui de Catherine Duret. La Genevoise sait toujours donner à son stand un petit air d’appartement «arty». La chose ne l’empêche pas de jouer cartes sur table. La marchande en chambre reste la seule à indiquer à Artgenève tous ses prix, parfois musclés. La même convivialité se dégage chez Simon Studer, chez qui un séduisant mobilier en rotin des années 1950 se niche devant un spectaculaire tableau abstrait de Kenneth Noland, proposé à un prix comme il se doit stratosphérique. L’essentiel reste pour lui de montrer des pièces de qualité. Le même mélange de genres se trouve chez Charly Bailly qui peut entonner à lui seul le grand air de la convivialité. Il fallait l’entendre, mardi soir, baratiner des visiteurs qui se sentaient aussitôt ses hôtes.

Et puis, bien sûr, il y a les contemporains durs! Ceux qui exposent en laissant au sol le béton brut. Les œuvres sont en général ici de grande taille. Les plasticiens actuels ont besoin de place pour s’exprimer. Elles sont souvent présumées dérangeantes, même si elles ne doivent plus aujourd’hui gêner que la femme de ménage. Je plains celle qui doit évoluer autour de la voiture maculée de taches par Gianni Motti, présentée par Mezzanin. Il y a ainsi à Palexpo les ténors du genre, même s’il ne me semble avoir vu (mais je n’ai précisément pas tout vu) Gagosian ou Hauser & Wirth. Les mêmes enseignes ou presque seront sans doute le mois prochain à Artparis au Grand Palais éphémère, de kamel mennour (on doit écrire avec des minuscules) à Vallois.
Les institutionnels
Il ne faut surtout pas oublier à Artgenève les stands non commerciaux, plus quelques expositions «curatoriales» se nichant par-ci, par-là. Les organisateurs les placent sur le pourtour de la foire, dont ils deviennent du coup les garde-fous. Ce refus de la machine à fric forme une des caractéristiques du salon. Certaines institutions et écoles se voient ainsi invités chaque année, comme le Fonds municipal d’art contemporain, le Centre d’art contemporain, la HEAD ou le Mamco. D’autres font ici des apparitions, un peu comme la Sainte Vierge à Lourdes. Il y a toujours le meilleur et le pire. J’ai été consterné de voir ainsi une pile de sacs poubelles présentés par Never Gate. Il faut dire à ces petits loulous qu’on ne peut plus faire ça cent ans après Marcel Duchamp. Mais il y a aussi les performeuses d’une autre institution, qui jouent par-derrière avec le bruit du rideau de plastique froissé. Et c’est bien! Mais il y a aussi le petit stand où Joseph Farine présente pour andata ritorno les sculptures en bois de Pierre-Alain Zuber. Et c’est beau!
«Chercheuse en immersion»
Cette promenade au sein de l’institutionnel connaît ainsi ses bons moments. Entrée tout récemment en fonction au Centre de la photo genevois, Danaé Panchaud peut montrer Anne Morgenstern, dont elle expose parallèlement la production rue des Bains. Le Grand Théâtre offre comme par hasard Prune Nourry, qui a signé les décors de l’actuel «Atys» de Lully. La Fondation Gandur pour l’art accroche de l’art africain d’aujourd’hui, et j’y reviendrai. Tout cela fait passer le choix opportuniste du Fonds cantonal d’art contemporain, où Diane Daval a décidé avec une feinte audace de ne présenter «que des femmes». Le tout autour d’une Sylvie Fleury promue «chercheuse en immersion». C’était à la première édition d’Artgenève qu’il fallait faire cela, il y a dix ans. Pas maintenant!
Pratique
Artgenève, Palexpo, Genève, accessible au public du jeudi 3 au dimanche 6 mars. Ouvert de 12 h à 19h le jeudi 3 mars et le dimanche 6 mars. Jusqu’à 20h le vendredi 4 mars et le samedi 5 mars. Site www.artgeneve.ch
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Salon d’art contemporain – Artgenève 2022 fête sans masques ses 10 ans
Le vernissage a eu lieu le mardi 2 mars, avec la foule. Il y a environ cent stands, dont ceux de nombre d’institutions. Le public est admis dès le jeudi 3.