
C’était au départ une bonne idée. Mais les choses se passaient en 2000 dans l’ancienne halle de la Messe de Bâle. Démolie et reconstruite en un an par des Herzog & DeMeuron particulièrement inspirés, la nouvelle aile a changé la donne. Elle se révèle si vaste que le château de Versailles ferait intime à côté. Art Unlimited ne possède du coup plus rien d’illimité. C’est simplement grand. Ou alors gros. L’échelle de départ s’est perdue. Comble de malheur, ce sont les œuvres en général qui ont pris de l’ampleur. Aujourd’hui, l’art se veut gigantesque. Notez que ce n’est pas forcément bon signe. Quand on ne sait plus trop quoi dire, on augmente les dimensions. Pensez à ce que font de nos jours les photographes voulant se commercialiser!

Ouvert traditionnellement un jour avant Art/Basel, Art Unlimited se découvre à la Messe après un hall gigantesque, dans lequel deux restaurants (véganes bien sûr!) se sont installés dans un décor voulu convivial. Lumières tamisées et gros bouquets de fleurs. Il suffit ensuite de passer quelques mètres pour arriver aux portillons. On se croirait dans un aéroport. Vous y êtes enfin. La première pièce face au public donne le ton. Il s’agit des robes confectionnées (et sans doute portées) par l’Américaine Andrea Zittel entre 2003 et 2013. Il y en a 76, chacune sur son mannequin. Pourquoi l’installation me semble-t-elle exemplaire de ce que le public peut ici voir cette année? Parce que l’«illimité» réside aujourd’hui dans la taille plutôt que dans l’accumulation. La série. Le visiteur a moins droit à des machins mégalomanes qu’à la même chose, installée aux murs cinquante ou soixante fois de suite. Pensez à Francis Alÿs, vu il y a peu au MCB-a de Lausanne! Ses tableaux représentant des lieux où de barbelés signalent les frontières mesurent moins de trente centimètres de large. Mais il y en a beaucoup!

L’autre tendance, qui s’est affirmée au fil du temps, est l’idée de présenter des pièces anciennes. Curatée (cette fois par Giovanni Carmine) à partir de propositions de galeristes exposant à Art/Basel, l’exposition devient ainsi de plus en plus muséale. Les habitués pourraient tout aussi bien se trouver dans l’extension mahousse de la Tate Modern de Londres. Les années 1980, voire 1970, c’est loin. Il devient du reste permis de se demander si elles se situent encore dans le champ, déjà très obstrué, de l’art contemporain. C’est notamment le cas ici avec des vieilleries féministes (le mouvement a bien évolué depuis) de Marta Rosler remontant à 1966-1972. Ou même le grand Carl Andre, version poutres de bois, de 1992. Après tout Andre fait aujourd’hui partie de ce que l’on appelle les «figures historiques». Tout comme Michelangelo Pistoletto (il se prend toujours plus pour un philosophe), dont se voit cette fois proposé un labyrinthe de 2003.
Baromètre et thermomètre
Autrement, il y a tout ce qui semble peu ou prou à la mode. Art/Basel sert autant de baromètre (les tendances) que de thermomètre (les cotes). Adoubé tant par le Kunstmuseum bâlois que par l’influenceuse Miuccia Prada, le contestataire noir américain Theaster Gates se retrouve non loin des 45 reliefs taillés dans le bois par l’Africain Barthélémy Toguo, récemment vu au Quai Branly. Anita Molinero, qui brûle des poubelles en plastique, propose la version verte (façon serpent) de la rouge installée il y a peu au Palais de Tokyo. De Wolfgang Tillmans se voient d’énormes tirages photos gentiment flous. L’Israélienne Yael Bartana règle sous forme d’une vidéo de nouveaux comptes avec l’Allemagne. C’est assez long. Un Rebecca Horn de 1998 s’est vu actualisé en hommage à l’Ukraine. Isa Genzken, honorée en 2020 au Museum für Gegenwartkunst de Bâle, est présente avec des parapluies et des parasols recyclés. Voilà qui se révèle au moins bon pour la Planète. Mais à part ça, c’est affreux. Tout cela donne dégage du reste souvent une impression non pas de gigantisme, mais de vide.

Y a-t-il ici de quoi trouver son content? J’ai bien aimé le grand Keith Haring en blanc sur noir de 1988. La bâche sur lequel l’Américain a tagué mesure tout de même cinq mètres et demi de large. Il y a quelque part un immense Zao Wou-Ki. J’ai éprouvé un faible pour la cuisine à l’américaine, que fait léviter dans les airs le Chinois Huang Yong Ping, mort exilé à Paris en 2019. L’artiste y avait ajouté quelques cafards géants (dans les deux mètres!) de son pays. Les onze dessins de Gary Humes sur le thème du cygne ont de l’allure. Les plaques de cuivre sur lesquelles Jenny Holzer a fait graver les documents prouvant l’ingérence de la Russie dans l’élection présidentielle américaine de 2016 apparaissent pour le moins d’actualité. Bref, il semble possible de faire ici son marché. Sans rien emporter, naturellement! Cela dit, des employés d’Art/Basel fouillent les sacs des dames à la sortie. Si, si! Mais que croient-ils donc bien y trouver?
Pratique
Art Unlimited, Messe, Bâle, jusqu’au 19 juin. Art/Basel lui-même ouvre ses portes au grand public dès le jeudi 16. Site www.artbasel.com Ouvert de 11h à 19h. Mieux vaut réserver son billet par internet. Il y a un stand pour les acheter physiquement devant la gare de Bâle.
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Exposition à Bâle – Art Unlimited montre ses limites. Souvent trop petit!
La présentation en marge d’Art/Basel est gênée par le gigantisme de la halle qui l’abrite. Elle préfère du coup aujourd’hui les séries en rafales.