
Cette fois-ci, Art/Basel a refait le plein. La foire principale accueille 289 galeries à la Messe. Notez que par rapport à la mouture organisée en catastrophe au mois de septembre 2021, l’augmentation reste faible. Les stands étaient alors 272. Ce qui fait la grande différence, c’est le public. Il était entré un tiers de visiteurs de moins l’an dernier, ce que j’avais trouvé fort agréable. La foire chapeautée par Marc Spiegler était apparemment d’un avis diamétralement différent du mien. Elle veut beaucoup de monde, et surtout plein d’Américains. Ces derniers sont aujourd’hui de retour. Cela se voit. Ça s’entend surtout. Manquent évidemment à l’appel les Asiatiques, qui n’avaient déjà guère pu se rendre en masse le mois dernier à Art/Basel Hong Kong. On ne peut pas tout avoir! Une légende urbaine (il y a toujours beaucoup de rumeurs pendant Art/Basel) veut du reste qu’il subsiste à louer des chambres d’hôtel à un prix presque normal en ville. Voilà qui changerait des habituels tarifs prohibitifs en juin. Cela dit, si vous achetez un tableau à dix millions de francs (ou de dollars, de livres ou d’euros…), vous pouvez aussi sortir une carte de crédit Gold de votre jean troué, et payer 800 ou 1000 francs par nuit…
Toute une hiérarchie!
Art/Basel tient du rituel. Bien sûr, les choses ont changé depuis la première édition en 1970. «C’était mieux avant», murmurent du reste les derniers fidèles de ce qui ne ressemblait pas encore à une gigantesque machine à faire du fric. Depuis une vingtaine d’années, les choses ne se passent pas moins de la même manière, avec une emphase toujours plus accentuée sur le V.I.P. J’ai ainsi vu la foire hier mardi 14 juillet. Je venais après les invités du «First Choice», qui suivaient eux-mêmes les heureux élus des festivités diverses du 13 au soir. Mais j’étais mieux placé, comme journaliste, que les acheteurs jugés secondaires. Eux n’entraient qu’à 15 heures. Il existe ainsi toute une hiérarchie. Art/Basel, c’est un peu la cour de Louis XIV avec son étiquette, mais sans sa pompe. Dans les couloirs défilent des excentricités, certes. Mais les complets-veston sur mesure y demeurent rares. Nous sommes supposés au royaume du «cool» et du «sympa», même s’il n’en est bien entendu rien. Un jeune sociologue pourrait dire des choses admirables sur cette foire aux vanités, maintenant que Raymonde Moulin n’est plus là pour écrire ses ouvrages de référence sur la question.

Le parcours répond également à une attente. Beaucoup de marchands retrouvent leur place, année après année. S’ils trouvent grâce aux yeux des sélectionneurs, bien sûr! Guy Bärtschi de Genève avait souffert de n’avoir jamais été admis. Jacques de la Béraudière, qui exerça aussi dans notre ville, s’est senti dégradé au moment où la porte s’est refermée devant lui. Pour en rester à notre village, comme on dit dans «Astérix le Gaulois», j’ai ainsi croisé une équipe comblée cette année au rez-de-chaussée d’Art/Basel, toujours plus prisé que le premier étage. C’est celle des Ceysson, qui furent aux Bains, et qui ont maintenant essaimé de New York à Luxembourg. Les Ceysson-Bénétière envisagent même de revenir à Genève, qui se situe pourtant aujourd’hui en terres sinistrées… Cela dit, ils ne se trouvent pas encore aux premières loges à la Messe. Le parcours commence toujours par le stand de la Fondation Beyeler, puis celui des Nahmad (Helly Nahmad, dissident, se retrouvant cette année un peu plus loin). Chez les Nahmad, j’ai vu Kandinsky, Matisse, Bacon, Tanguy, Morandi, Modigliani, et je dois en avoir oublié. Pendant une semaine, Art/Basel tient du gigantesque musée, où les œuvres auraient été accrochées dans le désordre…
Un seul Genevois
Traditionnellement, le rez-de-chaussée abrite les poids lourds de l’art moderne et contemporain. Cette fois, il semble pourtant y avoir eu des rocades. Continua de San Giminiano, la galerie «faisant» le plus de foires au monde, Marian Goodman, Eva Presenhuber ou Nathalie Obaldia se retrouvent du coup en haut de l’escalier. Non loin de Skopia, l’unique Genevois survivant. C’est dire le niveau supposé de la manifestation. Mais Art/Basel devient d’autant plus incontournable (pour une fois, c’est vrai!) que l’antenne parisienne de la foire au Grand Palais éphémère va faire le ménage. Il y aura 60 pour-cent d’élus en moins qu’au temps de la FIAC. Une manière comme une autre de s’imposer au moment où le salon suisse se voit attaqué en Asie. La Frieze va avoir une édition à Séoul et Tokyo connaîtra son Gendaï dès juillet 2023. Comme si on avait besoin d’une foire de plus, même au plus haut niveau! Ma consœur Roxana Azimi rappelait il y a quelques jours dans «Le Monde» qu’il existe 400 foires sur la Planète, ce qui donne presque la nausée.

Et que voit-on dans Art/Basel, où un visiteur normal sature au bout de cent galeries accrochées presque à l’identique (avec un soupçon de couleur tout de même cette fois sur les cimaises au milieu des «white cubes»)? De tout, dans le genre mode et énorme. Chic ou vulgaire du moment que c’est très cher. Certains restent dans un mouvement artistique comme Nagy, qui montre Klimt, Schiele, Otto Dix et curieusement le Genevois Emile Chambon. Maggiore s’est offert le luxe de ne proposer que des œuvres de Giorgio Morandi. Avant tout des paysages. Bernard Jacobsen propose pour sa part des natures mortes, avec une avalanche de Georges Braque de la fin. Autrement, les choses se font un peu par affinités nationales. Plutôt français chez Applicat-Prazan. Résolument italien au Scudo de Vérone. Haut de gamme pour Gagosian, qui s’est cette fois offert le luxe de ne plus mettre de cartels. Les amateurs se voient priés de tout savoir. Ou alors ils demandent. Mais il faut à ce niveau de prix avoir des couilles en or pour cela…
D’Armleder à Balthus
Certains artistes se retrouvent chaque année un peu partout. Il y a bien sûr des tournes. Cette fois, j’ai vu beaucoup de John Armleder, qui semble avoir produit de nouvelles coulées pleines de diamantine. Alex Katz, qui n’est plus tout jeune (95 ans), couvre de nombreux murs avec ses compositions figuratives ultra-plates. Picasso, surtout celui des dernières années, semble s’être multiplié. Il y a aussi beaucoup de Jean-Michel Basquiat, le plus curieux demeurant son énorme «Duck» figuratif de 1986 présenté par Acquavella. Autre surprise, un grand dessin de Balthus, peintre par ailleurs peu représenté à Art/Basel. Montré par Di Donna, il possède de quoi faire hurler à la fois les féministes et les mères de famille américaines. Mais peut-être que mon esprit embrumé par la fatigue a vu au niveau de l’entrejambe de la fillette des choses qui n’y sont pas…

C’est en effet l’épuisement après trois heures de piétinement. Evitez les Louboutin. Préférez les sneakers de Balenciaga. Il faut dire que la foire principale n’est pas entourée que par Art Unlimited et Design Miami Basel, dont je viens de vous parler. Il y a la June Art Fair, 90B, Riehenstrasse, près de chez les Beyeler. Volta Basel, qui loge maintenant Elsässerstarsse. La Liste Art Fair, qui se cache dans la Messe même. Photo Basel au Volkshaus. Les Swiss Awards pour l’art et le design ont aussi trouvé une place dans la Messe. Pour ce qui est de la fréquentation du public, j’en doute un peu. Un long parcours dans la ville propose en prime une trentaine d’installations ou de sculptures en plein air. J’ai reçu un courriel m’annonçant une petite foire d’art tribal près de la cathédrale. Bailly Beurret & Widmer présente les œuvres, en majorité helvétiques, que la maison vendra un de ces jours aux enchères. Les musées de la cité présentent leurs nouvelles expositions. Je vous parlerai bientôt de «Picasso-Le Greco» au Kunstmuseum. Et ce n’est sans doute pas tout! Impossible d’avaler tout cela. Et, pour ce qui est de la digestion, il n’existe pas encore de bicarbonate en matière culturelle. C’est plus ou moins promis. Je me mets dès aujourd’hui à la diète.
Pratique
Art/Basel, Messe, Bâle, du 16 au 19 juin. Site www.artbasel.com Ouvert de 11h à 19h. Mieux vaut réserver son billet par internet. Il y a un stand pour les acheter physiquement devant la gare de Bâle.
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Marché de l’art – Art/Basel bat des mains. Les Américains sont là!
Les galeries sont au nombre de 289. Le public sature dès la centième. Tout coûte très cher, mais c’est ça qui est bon! Ma visite de mardi.