
Le 14 septembre 2019, les toilettes réalisées en or massif par Maurizio Cattelan disparaissaient du château de Blenheim, en Angleterre. La noble demeure n’avait pas connu d’événement aussi sensationnel depuis la naissance de Winston Churchill dans une de ses dépendances le 30 novembre 1874. La presse mondiale entière a parlé de ce vol, qui unissait pour une fois la haute noblesse, le métal précieux et l’art contemporain. Tout s’est cependant perdu en conjectures depuis. A ma connaissance ce trône de 103 kilos, intitulé «America», n’a jamais été retrouvé. Il s’est sans doute vu transformé en lingots, ce qui me semble évidemment moins utile en cas de besoin pressant.
La lettre de La Palatine
L’œuvre en question se retrouve comme de juste à la page 132 de «Toilettes, Un monde fabuleux» d’Arnaud Goumand. Elle ouvre le chapitre «Inspiration». La chose forme une des attractions de ce «beau livre», qui commence dans la préhistoire pour finir aujourd’hui. Il s’agit pour l’auteur de traiter toutes les civilisations. Elles ont bien dû trouver un moyen discret d’éliminer ce qui a été ingéré. Or un énorme tabou entoure partout les excréments. Notez que Goumand ne fait ici aucune différence entre l’urine et la merde. Il me semble pourtant que la première passe mieux, si j’ose dire, que la seconde. On peut pisser collectivement. Les enfants s’amusent d’ailleurs (ou du moins s’amusaient) à voir qui enverrait son jet le plus loin. Uriner tient donc à l’occasion de l’acte social, alors que la défécation exige une certaine intimité. Avec les périphrases que cela suppose pour demander l’endroit où se nichent les lieux… Il fallait être la princesse Palatine, belle-sœur (par ailleurs fort érudite) de Louis XIV, pour envoyer à sa tante l’électrice Sophie de Hanovre, sa célèbre lettre sur la manière de chier à Fontainebleau, «où les rues sont pleines de merde».

Où les choses ont-elles au fait commencé? Il y a les Indiens, qui se sont lancés il y a des millénaires. Ou les Crétois. Arnaud Goumand débute en fait par les Romains. Ces organisateurs-nés devaient de se pencher sur la question. Il en subsiste des vestiges archéologiques jusque dans les actuelles ruines de Turquie et de Grande-Bretagne. Le Moyen Age, qu’on dit si crasseux, n’a jamais cessé de songer aux fins dernières de la nourriture. Le livre montre ainsi le bâtiment des latrines de l’abbaye de Royaumont situé, pudeur exige, aussi loin que possible de l’église. Les Anglais ont beaucoup réfléchi plus tard afin de rendre l’expulsion plus simple et plus hygiénique. Sir John Harington, filleul d’Elizabeth Ière, a inventé la chasse d’eau en 1597. Elle mettra du temps à s’imposer partout. Dans mon enfance, les WC se résumaient toujours dans les campagnes à une cabane au bout du jardin, dont les effluves se répandaient au loin (ce qui évitait d’avoir à les signaler). Celle-ci demeurait donc encore là un siècle et demi après l’apparition de la cuvette «The Venerable», que la firme britannique Crapper édite encore à l’intention des arrière-trains les plus traditionnels.

Mais il fallait aussi sortir du monde occidental. Arnaud Goumand promène ainsi son lecteur du Japon, où la propreté joue un rôle énorme, jusqu’aux pays arabes gouvernés jusqu’aux WC par les principes coraniques. Prière de se nettoyer ici de la main gauche. Celle qui peut jouer chez nous un concerto de Ravel (1). Une large perspective se voit également ouverte en direction de la Norvège moderne, qui a voulu des «gestes architecturaux» pour ses dix-huit nouvelles routes panoramiques. Chacun de ces «précieux édicules», pour reprendre le titre d’un livre de la psychanalyste Claude Maillard paru à La Jeune Parque en 1967, s’est ainsi retrouvé griffé. Il s’intègre admirablement au paysage. Pas besoin de construire des tours immenses à 300 millions de dollars pour faire grand! Je vous rappelle à tout hasard que l’œuvre d’art la plus iconique du XXe siècle, exposée pour la première fois en 1917, demeure le «Fontaine» de Marcel Duchamp. Or cette fontaine, dont on ne boira du coup plus l’eau, n’était autre qu’un urinoir industriel.

Supposé pouvoir se mettre entre toutes les mains, l’ouvrage reste dans l’usage initial qu’il faut faire des WC, des chalets d’aisance ou des pissotières. En voie de disparition comme le rhinocéros blanc ou le tigre du Bengale, ces dernières ont en effet couvert d’autres commerces comme ceux de la chair ou celui de la drogue. Mais c’est une autre histoire, que nous raconte si bien (pour la première d’entre elles) Marc Martin dans «Les Tasses», paru en 2019 chez Agua. Notez qu’il subsiste tout de même quelques-uns de ces lieux plus ou moins clos. J’ai récemment vu que Berne avait restauré celui qui enserre en pleine ville de ses plaques métalliques sombres une tour médiévale. Un monument historique, sans doute!
(1) Je veux bien sûr parler du «Concerto pour la main gauche», composé en 1931 pour un pianiste devenu manchot.
Pratique
«Toilettes, Un monde fabuleux», d’Arnaud Goumand aux Editions Lapérouse, 224 pages très illustrées.

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Beau livre – Arnaud Goumand raconte en images les lieux d’aisances
L’histoire des toilettes publiques et privées se voit racontée depuis l’Antiquité. Le sujet inspire aujourd’hui les architectes, notamment norvégiens.