
On a beaucoup écrit sur certaines villes. Rome en fait partie, tout comme Venise. La promenade dans Rome est presque devenue un exercice littéraire. Il s’agit de faire aussi bien que ses illustres prédécesseurs. Ceux-ci ont pourtant affirmé, non sans coquetterie, que traduire en mots la seule cité qui soit «éternelle» restait impossible. Le sentiment vient tout compliquer. En 1817 déjà, Stendhal conseillait au voyageur de se laisser guider par ses émotions. «Je dirais aux voyageurs: en arrivant à Rome, ne vous laissez empoisonner par aucun avis.» Voilà qui n’a pas empêché l’auteur de «La chartreuse de Parme» de donner les siens…
Un auteur prolifique
C’est Pascal Bonafoux, auteur cultivé, qui offre aujourd’hui son «Guide anachronique de Rome», où l’Histoire joue pourtant un grand rôle. Ville palimpseste, l’actuelle capitale italienne se lit à la manière d’une stratigraphie. Il suffit de visiter l’un de ses églises. Sous les couches renaissante et baroque se cachent le Moyen-Age, puis une Antiquité de plus en plus lointaine. Je vous ai sans doute déjà raconté avoir visité, sous un cinéma alors en activité, deux citernes romaines où l’eau coulait en cascadant dans de profonds sous-sols. Je n’ai jamais réussi à retrouver l’endroit, situé près du Corso. La salle obscure a peut-être fermé. Mais il ne s’agit pas là d’un mirage, même si Rome possède quelque chose de magique.

Revenons à Pascal Bonafoux. A 74 ans, l’homme a derrière lui quantité d’ouvrages, portant généralement sur l’histoire de l’art. Beaucoup des plus anciens ont paru à Genève aux défuntes éditions Skira, dont la lointaine descendance se situe depuis 1996 à Milan. C’est un spécialiste de l’autoportrait. Sa connaissance de Rome lui vient d’avoir été en 1980-1981 pensionnaire à la Villa Médicis. Un lieu hautement recommandable. Il s’agit d’un excellent départ pour des itinéraires hors des sentiers battus. Cela dit, la métropole n’offre plus rien de rustique, comme c’était le cas jusqu’à l’unification de 1870. La campagne restait alors en ville, avec des villas immenses entourées de parcs, dont certaines se verront alors sacrifiées. Le lecteur les retrouvera dans un chapitre nostalgique. Toute vision agreste n’était pourtant pas encore perdue vers 1930. Alberto Moravia a confié à Pascal Bonafoux avoir vu dans son enfance des troupeaux sur la Piazza Navona. Là même où il n’y a plus aujourd’hui que des hordes de touristes…
«Je dirais aux voyageurs: en arrivant à Rome, ne vous laissez empoisonner par aucun avis.»
Les chapitres restent très courts dans ce «Guide anachronique», où le lecteur se retrouve volontiers avec Montaigne, qui habita la ville au XVIe siècle. Il aura comme autres cicérones le président des Brosses (entre autres seigneur de Pregny et de Chambésy), qui la décrivit si bien dans des lettres écrites vers 1740. Ou Goethe, qui séjourna dans la Ville éternelle en 1786-1787. Ces derniers s’intéressaient prioritairement aux ruines, qui ont survécu, ou à la magnifique campagne environnante, devenue en revanche une hideuse banlieue. Le Vatican joue bien sûr son rôle dans cet ouvrage gentiment irrévérencieux. Il faut dire qu’au fil des siècles, il a su ne jamais perdre sa mauvaise réputation. Pascal Bonafoux se demande donc (et il ne reste pas le seul!) si Jean-Paul Ier, qui resta pape moins d’un mois, n’a pas été empoisonné en 1978. On avait bien achevé à coups de marteau son lointain prédécesseur Jean VIII en 882…
L’abricot et le blanc
J’arrête là mon propos sur ce livre, dont la couverture s’orne comme il se doit d’une photo tirée du film «Vacances romaines» de 1953. On circulait alors plus aisément en Vespa qu’aujourd’hui. Cela dit, devenue culturellement très provinciale, la ville a su se récupérer sur le plan patrimonial. Elle a même changé de couleur depuis mon premier passage, au début des années 1960. Les façades étaient alors d’un abricot très mûr. Elles sont aujourd’hui blanches, couleur apparemment baroque. Mais le blanc peine à le rester longtemps, même si la circulation tend à devenir moins anarchique…
Pratique
«Guide anachronique de Rome», de Pascal Bonafoux, aux Editions Arléa, 134 pages.
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Livre – Arléa sort le «Guide anachronique de Rome»
Le texte est de Pascal Bonafoux, qui cite beaucoup Montaigne, Stendhal, Goethe ou le président des Brosses. Une lecture cultivée, mais agréable.