
On se rend normalement à Compostelle avec ses deux pieds. A genoux peut-être si l’on est Polonais ou Américain du Sud, régions où la piété populaire se veut plus spectaculaire. Mais pas en vélo. Ni a fortiori en auto. C’est pourtant ce pèlerinage sacrilège qu’ont accompli depuis Genève (ville de parpaillots il est vrai!) la photographe Aline Kundig et Isabelle Piaget. Il en ressort aujourd’hui la brève exposition «Pompistes, Manifeste et Saint Jacques de CompoShell», présentée à andata ritorno. Une vieille idée du galeriste Joseph Farine, qui y pensait depuis vingt ans.
Une histoire de coquille
La chose joue naturellement sur les mots, comme le confirme Aline Kundig. «Il s’agissait de faire le parcours en automobile en allant de station Shell en station Shell». Pourquoi précisément cette marque-là, même si la publicité disait dans mon enfance: «C’est Shell que j’aime»? Mais à cause de la coquille, bien sûr! Une coquille Saint-Jacques (1). Le saint est vénéré à Compostelle depuis le IXe siècle, moment où fut découvert là son tombeau. Miraculeusement, cela va de soi. On sait que dès cette époque les dévots se rendirent au Nord d’une Espagne encore en partie colonisée par les Maures. Il existait plusieurs routes officielles cheminant à travers l’Europe, qui finissaient par converger. L’une d’elles passait du reste par Genève, catholique jusqu’en 1536. Les pèlerins avaient adopté le coquillage comme signe de ralliement. Un vieux reste païen. Cette coque magique protégeait depuis l’Antiquité les humains des maladies et de la sorcellerie…
«Nous sommes parties de Genève après avoir méticuleusement repéré sur des cartes les lieux où se trouvaient des garages Shell.»
Mais revenons au voyage, qui s’est déroulé l’an dernier. «Nous sommes parties de Genève après avoir méticuleusement repéré sur des cartes les lieux où se trouvaient des garages Shell.» Il n’y en avait pas tant que cela. «Nous en avons trouvé vingt-six. Un signe. Le livre dont nous entendions reprendre le schéma était celui d’Ed Rusha de 1963 intitulé «Twenty Six Gasoline Station». Avouez que saint Jacques, dans sa grande miséricorde, acceptait de s’associer au projet! «Toutes les stations n’ont cependant pas été faciles à trouver. Le GPS ne se montre pas toujours aussi précis qu’on le pense. Nous sommes ainsi arrivées une fois en plein champ.»
Une architecture mythique
Les images qui en ressortent dans l’exposition aujourd’hui curatée par Frédéric Elkaïm sont celles, à la Edward Hopper, des stations-service. Une architecture banale, pauvre même, mais devenue mythique. Ces photos se voient accompagnées par d’autres clichés montrant des objets anciens liés à la benzine, sans rapport obligatoire avec Shell. Il y a aussi un film, voulu érotique. Pompier, pompe, pompiste, tout cela peut véhiculer des visions assez charnelles. La chose se découvre en jouant les voyeurs (ou en voyeuses) à travers un oculus. «Interdit aux moins de 18 ans». Les visiteurs plus jeunes devront donc se contenter de regarder ce qu’ils trouvent sans trop de mal sur le Net. Du bien plus épicé, cela dit en passant. Disons que l’essence permet ici d’aller à l’essentiel!
(1) Avant de s’intéresser à l’or noir, Shell faisait au XIXe siècle de l’import-export, amenant notamment en Europe des coquillages destinés à fabriquer de menus objets.
Pratique
«Pompistes, Saint Jacques de CompoShell», andata ritorno, 37, rue du Stand, Genève, jusqu’au 7 mai. Tél. 078 882 84 39, site www.andataritornolab.ch Ouvert du mercredi au samedi de 14 à 18h. Livre «CompoShell» d’Aline Kundig et Joseph Farine, pages non numérotées.

David Nicolas Parel présente aux Bastions son travail en noir et blanc sur les secouristes, «Les témoins». A voir d’urgence!
C’est la dernière minute! Enfin, disons les heures ultimes… Le Parc des Bastions accueille jusqu’à dimanche soir une nouvelle exposition de photographies. Elle offre comme les autres ici présentées un caractère nettement social. «Les témoins» de David Nicolas Parel offrent un vrai, bon reportage. Quelque chose de produit sur le long terme. Le Genevois d’adoption a passé trois cents nuits avec les ambulanciers de Swiss Ambulance Rescue. Avant et pendant la pandémie, qui a tout compliqué en mars 2020. Son projet initial n’a pourtant pas été accepté sans mal, comme l’explique sur un panneau le texte signé par notre ministre cantonal de la santé Mauro Poggia. Parel aurait pu gêner les secouristes. Ou alors jouer les voyeurs.
Texte minimal
Rien de tout cela à l’arrivée. Les images en noir et blanc savent montrer les actions des secouristes ni de trop près, ce qui eut été perturbant, ni de trop loin, ce qui eut rendu la chose froide et impersonnelle. Le cadrage et l’éclairage évitent tout esthétisme, sans adopter pour autant un côté gris, granuleux et finalement assez moche se voulant «vrai». Il y a accord entre le sujet et le traitement. Le noir et blanc s’imposait selon moi comme une évidence. Du coup, les textes restent peu nombreux sur les panneaux mobiles posés du côté place Neuve. Le passant saura juste qu’une dame âgée a absolument voulu entrer sur ses pieds à l’hôpital. Il y allait de sa dignité. Que de jeunes réfugiés deviennent facilement suicidaires. Que certains patients sont en quelque sorte des habitués, comme il peut y en avoir dans les cafés. Le public connaît enfin les motivations des secouristes. La plupart d’entre eux ne peuvent vivre que sous adrénaline.

Ce beau travail suit pour son auteur de 42 ans celui sur le culturisme amateur, qui avait notamment donné lieu au film «Body» en 2015. Parel a aussi travaillé sur les coulisses des théâtres. L’Annécien, qui a commencé sa carrière en exerçant un nombre incroyable de petits métiers, a complété le reportage actuel par deux créations cinématographiques dont «Le journal d’une ambulancière» en 2021. Voilà. Je vous ai (presque) tout dit. Il ne vous reste plus maintenant qu’à vous rendre aux Bastions. C’est visible jusqu’au 1er mai, le jour titulaire du travail et du muguet, tant que le soleil brille.
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Expositions à Genève – Andata ritorno part sur le chemin de CompoShell
La galerie propose une exposition gentiment sacrilège. Aline Kundig et Isabelle Piaget sont parties rejoindre Saint Jacques en automobile.