
«C’est la première fois que j’expose de la sculpture figurative.» Joseph Farine a pourtant derrière lui largement plus de trois cents propositions dans sa galerie andata.ritorno. Il montre ainsi aujourd’hui Jean-Marie Borgeaud, qu’il avait déjà présenté en 2005. Mais il s’agissait alors de peinture, avec de petits paysages à l’huile. Or cette fois son double espace de la rue du Stand contient bien des statues et des hauts-reliefs. En terre cuite, bien entendu. Le mode habituel du Genevois. On sait que les sculpteurs se divisent en deux races. Il y a ceux qui taillent, et donc enlèvent de la matière. Et ceux qui modèlent, et par conséquent en ajoutent. Il existe du coup ceux qui agissent avec une arme (le ciseau) et ceux caressant l’œuvre de leurs mains.
Une troisième dimension
Le travail de la terre, pour lequel les amateurs connaissent aujourd’hui Jean-Marie Borgeaud, constitue une seconde vocation pour l’homme. Né en 1954, diplômé de l’ESAV (actuelle HEAD) en 1978, l’homme a bel et bien commencé par la peinture. Mais cette dernière l’a incomplètement satisfait à la longue. Il lui fallait la troisième dimension, et sans doute un travail plus manuel. Sans poser tout à fait ses pinceaux, l’artiste a donc commencé le modelage à 39 ans, en 1993. Ses pratiques sont restées artisanales. Borgeaud construit chez lui à Presinge un four personnalisé autour de ses plus grandes pièces, un peu plus hautes que nature. La fameuse «part du feu» va en effet les réduire à leur taille réelle, qui peut rester considérable. On se souvient ainsi des œuvres que le Genevois a proposées dans le sous-sol du Musée Ariana en 2014. Ou chez Lionel Latham à la Corraterie en 2016.

Ces sculptures n’ont souvent ni pieds, ni têtes. Borgeaud participe de cette esthétique du fragment qui, née de la vision des vestiges lacunaires de l’Antiquité gréco-romaine, s’est imposée depuis Auguste Rodin. Au spectateur d’imaginer! La partie doit suggérer le tout. Incomplètes, les pièces s’acceptent aussi imparfaites. La terre porte à sa surface du noir de fumée. Elle exhibe ses cicatrices. Ses accidents. Elle n’a pas honte de ses traces de vie. L’ensemble suggère ainsi un art très charnel. Cuite, la terre prend en plus souvent la couleur de la peau.
Grès et porcelaine
Si la grande salle d’andata.ritorno abrite les pièces en ronde-bosse, la petite accueille les reliefs. Un savant ménage de grès et de porcelaine, cuit à haute température. Mille deux cent cinquante degrés… Il y a là un grouillement de figurations au bord du fantastique, même s’il semble permis de voir là des réminiscences de mythologies. Les pièces se voient bien sûr proposées individuellement à la vente. Mais pour l’instant elles s’alignent comme les métopes d’un temple dont on ne connaîtrait pas le dédicataire. Il n’y a pas la seule part du feu chez Borgeaud. Il existe aussi chez lui celle du mystère.
Pratique
«Jean-Marie Borgeaud, Sculptures terre», andata.ritorno laboratoire d’art contemporain, 37, rue du Stand, Genève, jusqu’au 23 avril. Tél. 078 882 84 39, site www.andataritorno.lab.ch Ouvert du mercredi au samedi de 14h à 18h.

A voir également aux Bains genevois. Farah Atassi chez Xippas. Erik Boulatov chez Skopia.
Restons dans les galeries. Deux présentations à signaler en passant aux Bains genevois. Dans son espace de la rue du Vieux-Billard, Xippas présente ainsi Farah Atassi. Une artiste qui monte, sur le plan médiatique et commercial en tout cas. Née à Bruxelles en 1981, d’origine syrienne, la femme est aujourd’hui avant tout représentée par Almine Rech. Un poids lourd dans le monde des galeries. L’artiste produit peu, ce qui fait monter les enchères. On connaît Farah par ses grandes toiles, où elle mélange habilement vocabulaire abstrait et compositions figuratives. Comme cela, tout le monde au moins est content. La suite présentée à Genève s’intitule «Le repos des danseuses». Il est permis d’y voir une allusion à Edgar Degas. L’ensemble date de 2021. Certains aimeront, d’autres pas cet art qui fait des clins d’œil appuyés tant à Matisse qu’à Picasso. Attention, l’exposition se termine le samedi 2 avril. Site www.xippas.com

Rue des Vieux-Grenadiers, Skopia revient pour sa part à Erik Boulatov. Un double contretemps. L’exposition aurait dû avoir lieu en janvier au moment d’un Artgenève repoussé. Il y a eu quelques jours avant le vernissage l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Né en 1933, Boulatov sort d’un milieu proche du monde le plus communiste. Il est devenu dissident au moment de ses études, alors que les avant-gardes se voyaient bannies d’URSS. L’homme joue du lettrage, comme dans les années 1920. Il y mêle parfois des images fortes, tirées de l’histoire de l’art. Il développe aussi une production figurative classique, comme l’a aussi montré Pierre-Henri Jaccaud chez Skopia. Resté en Russie, l’homme produit pourtant peu de pièces. Nous retrouvons cette fois aux cimaises de grandes compositions lettristes donnant une impression à la fois d’écrasante puissance et de profondeur. L’exposition dure jusqu’au 30 avril. Site www.skopia.ch
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Galeries genevoises – Andata.ritorno expose le sculpteur Jean-Marie Borgeaud
Le Genevois, qui a commencé par la peinture, travaille la terre depuis 1993. Il propose ses statues tronquées et des hauts-reliefs chez Joseph Farine.