Alors que vous commenciez à vous habituer à dire "non merci" quand on vous proposait d'investir dans une ICO, voilà qu'arrive une nouvelle manière de vous délester de vos économies: les STO, ou "Security Token Offering".
Si on est optimiste, on pourrait penser que c'est bon signe, que les petits malins se rendent compte que le bouchon a été poussé un peu trop loin et que ça risque de finir par la case prison. Et qu'à force de mensonges et fausses promesses, la mayonnaise ne prend plus, et les naïfs commencent à se méfier.
Il apparaissait donc logique de passer à la prochaine étape. Les STO seraient donc une version plus "sérieuse" des ICO, dans laquelle les jetons sont clairement identifiés comme des "securities", des titres donc, des parts de la société émettrice, similaires à des actions.
Cette évolution permettrait de laisser derrière soi les escroqueries les plus grossières et les promesses impossibles à tenir, et d'établir des nouvelles règles et permettre aux leaders de s'affirmer.
Mais si on est pessimiste, on craindra au contraire justement que les petites arnaques d'amateurs sont en train de se professionnaliser et vont maintenant toucher encore plus de monde, indirectement.
Pour mieux apprécier la situation actuelle, petit rappel chronologique accéléré: tout commence avec la révolution de Bitcoin, et l'idée simple mais géniale de la Blockchain qui répartit la confiance à travers le réseau et sécurise ses transactions. Cette nouvelle technologie inspire les geeks, dont les blockchains alternatives voient le jour, proposant des fonctionnalités nouvelles. Tout le monde y va ensuite de sa propre blockchain. On s'emballe, on exagère, on fait des promesses farfelues qu'on ne pourra pas tenir.
Puis, le prix du Bitcoin augmentant, le FOMO s'installe , et les charlatans se précipitent pour offrir aux crédules une opportunité de s'enrichir facilement sur des jetons sans valeur qu'ils présentent comme des améliorations de Bitcoin. C'est l'escalade aux ICO les plus abracadabrantes dans lesquelles les investisseurs du dimanche jettent leurs économies sans réaliser qu'ils font en réalité des donations sans contrepartie.
Alors, les autorités financières nationales d'un peu partout — à commencer par la Suisse — se réveillent et décident de mettre de l'ordre dans tout ça, en rappelant et en adaptant légèrement les anciennes règles qui s'appliquaient déjà aux marchés financiers traditionnels.
On reproche aux émetteurs de jetons de vouloir contourner les régulations sur l'émission de titres et s'enrichir en vendant des "actions déguisées" sans valeur. Les startups protègent leurs ICO en proposant soudain une distinction quelque peu théorique et artificielle entre les "utility tokens" et les "security tokens" ( lire l'article ).
La situation actuelle est paradoxale parce que d'un côté on trouve les émetteurs de jetons prêts à vendre monts et merveilles, et les organes de régulations qui mettent en place des règles et des directives pour orienter cette tendance dans la bonne direction, et de l'autre on constate que la grande majorité des investisseurs ne sont en fait que des joueurs à court terme ne s'intéressant qu'au jeton, qu'ils veulent vendre dès que possible, et non au long terme de la technologie.
La pseudo-mode des utility tokens n'a pas pris jusqu'ici, ceux-ci reposant sur des promesses le plus souvent bidon et non une réelle utilité.
Finalement, les cours de quasiment tous les jetons et crypto-monnaies alternatives ont misérablement chuté, et leur activité (nombre et volume de transactions) également, sans signal d'un espoir de remontée prochaine.
L'incrédulité et le doute s'installent, et on revient à des fondamentaux auxquels on est plus habitués. Les investisseurs veulent spéculer sur les variations de cours des titres, alors on met au contraire maintenant l'accent sur les "security tokens".
Comme une couche de peinture fraîche censée tout résoudre, comme d'habitude, ces jetons-titres ne sont en fait qu'une version digitale des actions traditionnelles (qui sont elles-mêmes déjà digitales), à la sauce "Blockchain" pour attirer les curieux. On doit par contre maintenant suivre les règles financières établies, et la barrière pour les émetteurs de jetons est sensiblement relevée.
L'intérêt (théorique) principal des ICO était l'accès universel non régulé et planétaire à une nouvelle forme de bourse d'échange et d'investissement dans des technologies, celles-ci sont maintenant petit à petit remplacées par une nouvelle forme proche d'une version "light" des IPO traditionnelles opérées par les banques, les désormais fameuses STO, "Security Token Offering".
Mais ces STO ne sont pas réellement une évolution de maturité des ICO, mais plutôt un retour en arrière vers quelque chose existant déjà, qu'on aura quelque peu modernisé. On est passé de la plume au stylo à bille, mais le principe reste semblable aux cunéiformes sur tablettes d'argile.
Les STO ne sont pas une révolution grandiose, au mieux c'est l'acceptation officielle et l'appropriation de la Blockchain par le secteur de la finance établi. C'est déjà un grand progrès si on compare avec ce qui se disait il n'y a pas si longtemps.
Dans un souci de confort et de facilité, on aura mis de côté les ambitions et opportunités technologiques des crypto-actifs et de la Blockchain, et on aura réduit tout ça à sa forme la plus basique sur le cours de laquelle il est facile de spéculer. Les crypto-actifs, dont on réalisait encore il y a quelques mois le potentiel technologique et sociétal gigantesque, ne sont à nouveau perçus que comme des jetons de casino ou des actions qu'on achète en pariant sur leur hausse.
Un récent exemple qui illustre cette tendance est Swissquote qui vient d'annoncer le pilotage de l'ICO d'une jeune pousse issue de l'EPFL, dont ils vendront les jetons. Présentés louablement comme des "utility tokens" qui donneront accès à du temps de travail des machines, le but ultime est bien évidemment d'offrir aux clients de Swissquote l'opportunité de spéculer sur la volatilité du cours, comme ils le feraient avec des titres ou des monnaies étrangères.
Jetons d'utilité utilisés comme jetons d'investissement qu'ils ne sont pas vraiment, la confusion reste habillement entretenue.
Ces jetons ne représentent pas des parts du capital de la startup, et ne seront vraisemblablement pas exportables hors du portefeuille Swissquote.
Alternant avancées, stagnation, et reculs, l'évolution de l'univers de Bitcoin et de la Blockchain rappelle celle des vagues sur une plage, et ne peut être réellement appréciée qu'à long terme.
C'est une évolution normale, et il ne faut ni s'inquiéter ni se lamenter. Historiquement, les révolutions technologiques effraient les populations autant que les industries établies, qui préfèrent donc se rabattre sur leurs habitudes rassurantes.
Rappelons que Bitcoin et la Blockchain n'ont été créés qu'il y a 10 ans à peine. En attendant qu'ils deviennent incontournables à tous les niveaux de nos sociétés, savourons le spectacle patient de leur développement en profondeur, sans se laisser distraire par la superficialité des dénominations et des acronymes à la mode.
J'attends vos réponses, commentaires, et questions via Twitter @ZLOK
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.
Les STO, la nouvelle mode après les ICO