S’imaginer qu’une technologie peut être simplement décomposée et répliquée sans comprendre son mécanisme, ni son contexte, mène souvent à une erreur de raisonnement plus générale, nommée “non sequitur”.
Exemple d’une telle erreur: “Si je suis à Genève, je suis en Suisse. Je suis en Suisse, donc je suis à Genève.” - - De la même manière, certains pensent qu’il suffit de créer une Blockchain privée pour que le crypto-actif obtenu soit automatiquement révolutionnaire et novateur. Ils s’imaginent souvent que ce nouveau produit sera aussi plus attractif car “sécurisé” par leur organisme privé. - - Cela donne lieu à pléthore d’ICOs farfelues et fantaisistes, mais aussi des projets qui se voudraient très sérieux parce qu’impliquant des organismes étatiques, mais eux-aussi passant complètement à côté de ce qui est réellement important. - - Plus simplement: “Tout ce qui brille n’est pas or”. - - Dans la 1ère partie de cette série sur la fameuse “Crypto Nation” du Conseiller Fédéral Johann Schneider-Ammann, j’entamais une réflexion sur la manière dont la Suisse entra dans le XXe siècle en dématérialisant l’argent à travers les services de la Poste. L’expérience nous montra que cette évolution, mise en place relativement simplement, eut un impact en profondeur, et transforma la monnaie et la société tout entière. - - Pour (re)lire ce billet: - “Comme une lettre à la poste” - Construction d’une Bitcoin-Nation - - Dans cette 2ème partie, j’examine les fausses questions qui se posent quant à la direction et les mesures à prendre pour apprivoiser l’avenir de ces technologies, à un niveau national. - - On entend beaucoup parler récemment de trois voies à explorer: d’abord les fameuses ICOs au financement via une émission de jetons, puis la création d’un e-Franc “stable” par l’État, et enfin la délégation à des entreprises d’émettre leurs propres crypto-monnaies nationales. - - Bien que différentes, et ayant certains mérites, ces trois approches ont en commun de vouloir réinventer la roue, et n’arrivent donc à convaincre complètement, car elles ignorent les bases fondamentales requises. - - 1. Les ICOs - - Golem hybride entre financement participatif et émission d’actions au porteur, j’ai déjà expliqué en détails mon point de vue sur leurs dérives et le manque de crédibilité qui caractérisent la plupart d’entre elles, à travers plusieurs billets: - - - Crypto-actifs: mieux comprendre les ICOs - - Dérives marketing: les différences entre Ripple, les ICOs, et Bitcoin - - Bulle des ICO, le début de la fin - - Malheureusement, en s’imposant soudainement comme un moyen rapide de s’enrichir en contournant les régulations, le phénomène ICO a court-circuité la conversation et obligé la FINMA, les cantons, et les banques à se positionner et à parer au plus pressé, pour tenter de profiter de l’aubaine et attirer les investissements, tout en prenant le moins de risques possible, en cas de retour de bâton éventuel. - - C’est une évolution chaotique et dangereuse, car leur multiplication exponentielle et l’absence de résultats tangibles, même pour les plus prospères, suscitent une méfiance compréhensible quant à leur viabilité comme pilier d’une future “Crypto Nation”. - - Paradoxalement, l’intérêt que leur portent soudain les médias et les gouvernements peut donner l’impression d’une validation de leur part, et encourage la surenchère des charlatans qui apparaissent maintenant légitimes… - - La construction d’une “Crypto Nation” est bien liée à l’attrait de talents qui viendront construire et nourrir cette nouvelle industrie, mais comme je l’aborderai plus bas, ce n’est certainement pas à travers la création de nombreuses nouvelles ICOs que la Suisse attirera ces talents. - - 2. La création d’un e-Franc “stable” par l’État - - Suite à l’euphorie de 2017, ce début d’année voit le cours de Bitcoin et de l’ensemble des crypto-actifs en général subir une forte correction bienvenue, et la tendance semble évoluer vers la proposition d’une création de crypto-monnaies nationales, qui se caractériseraient en particulier par leur stabilité, étant directement liées au CHF. - - Les avis sont partagés, et la Banque Nationale Suisse est pour l’instant réticente à s’engager dans une telle initiative. D’autant que, comme nous l’aura rappelé la votation “Monnaie pleine” récemment, le Franc suisse est déjà très largement “virtuel” et déconnecté de la BNS, qui ne bénéficierait donc en rien ou presque à un passage au tout digital. Les technologies de la Blockchain dans leur état actuel ne convainquent pas la Banque Nationale, qui les trouve trop “primitives” et ne voit pas l’intérêt de les adopter pour l’instant. - - 3. L’émission de crypto-monnaies nationales privées - - Pourtant, l’idée d’un e-franc séduit certaines entreprises privées comme par exemple le groupe SIX, qui traite déjà justement plusieurs millions de transactions par cartes chaque jour, et fut à l’origine du système de transferts via smartphones Paymit, fusionné ensuite avec Twint de Postfinance pour mieux faire face aux nouvelles alternatives de paiement comme Apple Pay. - - Le groupe SIX appartient à 130 banques nationales et étrangères, qui en sont aussi les principaux utilisateurs de ses services. Remplacer le cash par un système complètement digital leur serait évidemment très bénéfique, et Romeo Lacher, le président du groupe, encourageait dans le Financial Times en début d’année la BNS à lancer sa propre crypto-monnaie. - - Il n’est pas fantaisiste d’imaginer dans un proche avenir que le groupe SIX, qui gère aussi la Bourse Suisse, puisse se retrouver “mandaté” par la Confédération pour mettre en place, émettre, et gérer une crypto-monnaie fixée au Franc suisse. - - Mais qu’il soit émis par la BNS ou un ensemble de banques pour le compte de celle-ci, un tel e-Franc n’apporterait rien de nouveau, et n’aurait quasiment aucun avantage, par rapport au CHF actuel. - - Car ce qui fait l’attrait d’un crypto-actif comme Bitcoin c’est justement sa non-appartenance à un pays spécifique, qui le fait ressembler à l’or plutôt qu’à une monnaie nationale, avec justement comme principal avantage d’être planétaire. - - Créer un “e-franc” purement helvétique équivaudrait à vouloir concurrencer Google en créant un moteur de recherche qui n’indexerait que les sites hébergés en Suisse. Ou vouloir s’attaquer à Facebook avec un réseau social qui ne fonctionnerait que si on habite en Suisse. Ces deux services pourraient évidemment avoir un intérêt et des avantages, et méritent peut-être de voir le jour, mais ils ne pourront en aucun cas rivaliser globalement avec des sites à portée planétaire. - - Le réseau WIR unit déjà 60’000 acteurs à travers toute la Suisse, mais la révolution crypto, comme celle d’Internet avant elle, est globale. - - Ce n’est pas en créant un e-franc que la Suisse va s’imposer sur la scène crypto internationale, mais c’est au contraire en ouvrant ses portes et en accompagnant une industrie déjà vivante, globale et nomade, à la recherche d’une nation d’accueil. Construire cette position dominante lui permettra ensuite de mieux s’approprier les prochaines avancées technologiques, et d’écrire les règles de cette nouvelle économie. - - Ne pas se tromper de priorités, ne pas encourager les divagations au détriment de l’innovation, comprendre ce qui existe et attirer les éléments créatifs d’un écosystème sain et fertile, c’est justement la clef de la création d’une nation crypto influente. - - On sait que les technologies liées à Internet évoluent et ne se limitent pas à leurs premières applications. Aux débuts du courrier électronique, on n’envisageait pas encore le téléchargement de musiques et de films sur des smartphones quelques années plus tard. De la même manière, les investissements en monnaies digitales ne sont que la première application d’un écosystème destiné à devenir beaucoup plus complexe et diversifié. - - De nouvelles technologies liées à l’économie crypto vont continuer à tout bouleverser de manière exponentielle dans les années qui viennent, et un minimum de bon sens et de discernement seront requis pour garder la tête froide et se rappeler les fondamentaux qui ont initialement rendu ces technologies attirantes. - - Dans la troisième et dernière partie de cet article, je détaillerai ces fondamentaux, ce qui les rend irremplaçables, et la manière dont la Suisse devrait les approcher favorablement, en s’inspirant de son expérience avec le Service des chèques et virements postaux, afin de construire une réelle “Bitcoin Nation” tournée vers l’avenir. -
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"L’arbre qui cache la forêt - Construction d’une Bitcoin-Nation (2e partie)