Il y a bien des années de cela, à une époque où internet en était à ses balbutiements, nous étions en pleine euphorie boursière et rien ne laissait présager ce qui allait nous arriver dans les semaines qui suivraient l’avènement de la théorie du chauffeur de taxi.
Facile la bourse
En ce temps-là, c’était simple de gagner de l’argent. Vous aviez deux solutions: choisir par chance une société qui allait changer son nom pour devenir une «point-com», ou lancer une fléchette sur la page des cotations du Wall Street Journal et acheter au hasard.
Ensuite, il vous restait à appeler un copain qui travaillait dans une banque et lui dire que la société en question «allait bientôt changer son nom en point-com» et que vous seul étiez au courant.
Normalement, une bonne rumeur suffisait à faire monter le titre de 50% (au minimum).
Les vieux adages
C’est alors que j’eus la chance de rencontrer un vieux gourou boursier au fond d’une grotte proche de Wall Street qui m’avait dit «quand ton chauffeur de taxi ou ton coiffeur vient te faire des recommandations boursières, il est temps de tout vendre».
Bien sûr, je n’ai pas vendu, parce qu’en ce temps-là, je savais que j’étais fort, beau et intelligent et que j’avais enfin craqué le code de la bourse qui me permettrait de gagner de l’argent facilement et à tous les coups.
Comme Michael Douglas dans Wall Street et comme Leonardo DiCaprio dans Le Loup de Wall Street. Dans quelques années, je me voyais enfin rouler avec l’Aston Martin DB5 de Daniel Craig.
Les terrasses
En ce mois de mars 2000 alors que j’étais sur une terrasse, sans masque, sans distanciation sociale et avec même (Ô folie) la perspective d’aller manger au restaurant, le jeune homme qui faisait le service s’approche de moi et me dit: «Tu es dans la finance toi?» – ce à quoi je lui réponds oui en souriant, pensant qu’il allait me demander des conseils.
C’est alors qu’il me dIt: «J’ai un tuyau pour toi; il faut absolument que tu achètes du Xcelera! C’est un coup sûr.»
Aaaahhhh, le fameux «c’est un coup sûr» qui fait rêver tous les traders. Eh bien figurez-vous que je n’ai même pas été capable de me rappeler ce que m’avait dit le vieux gourou de Wall Street sur le fait qu’il fallait que je me méfie des avis des taxis et des coiffeurs! Pour ma défense, il n’était ni l’un ni l’autre.
Alors non seulement je ne me suis pas méfié, mais en plus j’ai acheté un peu de Xcelera, juste pour voir. Le titre était alors au plus haut de tous les temps. Il s’est empressé de redescendre à zéro en moins de temps qu’il ne faut pour dire «Bear Market».
Tout ça pour dire que je me suis juré de ne pas oublier cette anecdote et de me méfier comme de la peste des avis des garçons de café et du reste du monde. Avec le temps, j’ai appris que je préférais m’en vouloir à moi, plutôt qu’avoir des envies de meurtre sur le type qui me sert mon plat du jour. Mais surtout, comme disait Yoda: «Se souvenir tu dois, ne pas oublier il faut.»
«Cette fois, c’est différent»
Autant vous dire que de nos jours, en l’an de grâce du Covid 2021, je ne cesse de me poser des questions. Je guette le moindre signe qui me dirait que tout cela devient n’importe quoi. Je suis bien conscient que 2021 n’a rien à voir avec l’an 2000. Que les sociétés qui ne gagnaient pas un centime en gagnent nettement plus aujourd’hui. Que la croissance technologique n’est plus la même. En gros, cette fois c’est différent.
Oui, mais le «cette fois c’est différent» est également un signal boursier qui veut dire «faites gaffe quand même». Alors je fais gaffe, j’ai arrêté de me couper les cheveux, je prends les transports publics. Quant aux garçons de café, ils ne courent pas tellement les rues actuellement. C’est alors qu’une connaissance m’a dit que «ses copains de foot du week-end» voulaient quitter leurs emplois pour se lancer dans le trading à plein temps.
Depuis, je ne dors plus et j’apprends à couper les cheveux.
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Le retour du chauffeur de taxi et du coiffeur