La dérive des dérivés, épisode 3
«Warren Buffett l’avait dit: «Les produits dérivés sont des armes de destruction massive»
Il y a encore dix jours, le marché frétillait de joie à l’idée de battre des records historiques toutes les 24 heures, les investisseurs ne se posaient pas la question de savoir si ce que nous vivions était réel ou pas. L’argumentaire était pourtant facile: liquidités abondantes, banques centrales prêtes à tout pour nous soutenir, technologie en folie, taux à zéro – voire plus bas – et «home office», qui est une nouvelle révolution.
Et puis soudainement, tout s’est arrêté. Sans que l’on puisse expliquer pourquoi. Alors que le marché venait de battre un nouveau record, que Tesla venait de franchir des niveaux jamais vus ni même espérés, voilà que l’orchestre a arrêté de jouer et que le marché a commencé à baisser comme il était monté: vite, fort, violemment. Sans explication. Soudainement, les acheteurs avaient disparu.
Comme au casino
En général, quand les bourses mondiales s’effondrent en silence, sans aucune raison particulière, c’est qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de Wall Street – que ça commence à sentir le poisson pas frais, mais qu’on ne sait pas trop d’où vient l’odeur. En l’occurrence, ce n’était pas exactement un poisson, parce que ça vit dans l’eau mais que ça accouche sans faire des œufs.
Le responsable de l’effondrement momentané de tout ce qui était lié à la techno (plus deux ou trois autres trucs au passage) était une baleine japonaise. Il semblait plutôt normal que les Japonais en prennent plein la figure à force de les pêcher pour en faire des produits de beauté, mais en l’occurrence, et dans ce cas précis, il ne s’agissait pas d’un cétacé. C’est un fonds d’investissement gigantesque adossé à la société Softbank qui aurait mis le feu aux marchés des dérivés en achetant des quantités astronomiques de calls sur tout ce qui était technologie de près ou de loin. Et comme d’habitude, quand on crée des turbulences haussières sur les bourses en manipulant massivement ces petites choses délicates que l’on appelle des «calls», ça a tendance à mal finir. D’où l’effondrement de valeurs comme Tesla qui a même réussi à repasser en «bear market» en l’espace de trois jours. Et en dehors de toute la technologie qui s’est fait laminer en quelques jours, cette histoire a ressorti tous les oiseaux de mauvais augure qui se sont empressés de venir nous annoncer la fin du monde. Encore une fois.
On n’apprend rien et on oublie tout
Au-delà cette nouvelle baisse surprise qui a de quoi donner des sueurs froides et faire remonter de mauvais souvenirs, on peut se demander si nous allons apprendre un jour. En effet, à l’heure où je vous parle, les marchés tentent un rebond et essaient de se remettre de la claque qu’ils viennent de prendre. Mais on a tendance à oublier qu’à chaque fois que les marchés plongent à cause des dérivés, ça a tendance à mal finir. Très mal finir. Warren Buffett l’avait dit: «Les produits dérivés sont des armes de destruction massive» – et même si d’aucuns d’entre nous ont tendance à penser qu’il est «has been» du haut de ses 90 ans, on peut lui reconnaître qu’il n’a pas eu complètement tort ces dernières années et que, donc, sa citation fait du sens.
Et puis, si l’on se souvient un peu, en 1998 le hedge fund LTCM nous avait explosé au visage alors qu’il ne pouvait, ne devait pas perdre. UBS avait failli y laisser sa chemise avec bon nombre de ses confrères. C’était l’épisode 1 – on s’en était remis. Puis en 2008, on a eu droit aux subprimes – là aussi, montages abracadabrantesques de produits dérivés qui ont presque détruit le système financier. Là encore, UBS a failli y perdre sa chemise, mais elle n’était de loin pas la seule – au dernier décompte, 465 banques ont fait faillite en 2008, Lehman Brothers en tête. C’était l’épisode 2, qui aura duré plusieurs saisons. En conclusion, on espère juste que l’affaire de la baleine ne sera pas l’épisode 3 de la saga des dérivés, sinon on n’aura rien appris du passé. Ce qui, malheureusement, ne serait pas une surprise.