Etre ennuyeux n’est pas si mal…
Je ne me lasse jamais de ce compliment que l’on me fait parfois à l’étranger après un discours: «C’est formidable: je croyais tous les Suisses ennuyeux…» Bien entendu, je me confonds en excuses en promettant d’essayer d’être pire la prochaine fois…
Mais cette réputation d’être ennuyeux nous colle à la peau. C’est vrai que nous n’avons pas la réputation d’être des marrants ou des boute-en-train. L’humour suisse ne passe pas non plus pour le plus léger du monde.
Certains s’offusquent en disant qu’en fait nous sommes sérieux. D’accord, nous sommes sérieusement ennuyeux… Et pourtant, ce côté austère fait partie de notre compétitivité. Le calvinisme qui a pétri notre histoire nous pousse à la discrétion genre passe-muraille. En Suisse, la richesse est discrète et le succès effacé. Toutes ces qualités conviennent parfaitement bien à notre compétitivité initiale, celle des banques et des assurances.
Personnellement, j’aime bien que ma banque soit ennuyeuse. En fait, j’ai plutôt tendance à m’inquiéter quand elle me propose des produits exotiques. Quant à mes assurances, je ne suis pas sûr qu’un goût prononcé du risque pour de nouveaux services me rassure beaucoup. Bref, l’ennui (pardon le sérieux) me conforte.
La Suisse est compétitive
Evidemment, il faut innover. La Suisse s’en sort passablement bien dans ce domaine. Nous sommes les premiers dans l’index pour l’innovation globale de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle ainsi que dans le nombre de Prix Nobel scientifiques par personne. Nous sommes aussi parmi les meilleurs pour le nombre de brevets par habitant.
Néanmoins, sans la capacité de transformer toutes ces innovations en produits, mieux, moins chers et plus rapidement que les autres, tout cela ne sert à rien.
En fait, 90% de la compétitivité réside dans l’excellence de l’exécution. Par exemple, quand je m’installe confortablement dans un avion avant le décollage, je me prends souvent à penser: «Pourvu que le pilote n’ait aucun sens de l’innovation, pourvu qu’il ne veuille pas nous montrer tout ce qu’il peut faire avec son nouvel appareil…»
Même histoire pour les trains: nous voulons qu’ils soient ponctuels (nous avons d’ailleurs la réputation d’être le pays des trains «à l’heure»…) et qu’ils suivent le même parcours. Ces qualités un peu tristes ont quand même fait de nous le pays dont les ingénieurs sont réputés dans le monde entier.
Nous sommes tombés sur la tête
Ma certitude que l’ennui fait partie de notre succès fut pourtant ébranlé récemment. D’abord, il y eut le formidable succès de Swatch. Que l’on fasse de l’argent avec des montres hors de prix et ultraprécises, je veux bien. Mais qu’on y arrive en vendant du plastique phosphorescent… chapeau!
Puis il y eut Nespresso. Théoriquement, cela n’aurait pas dû marcher. Vendre de manière exclusive et sophistiquée des capsules jetables de café qui ne marchent que dans quelques machines… Et oser demander à un acteur hollywoodien d’en faire la publicité…
Pas de doute, nous étions tombés sur la tête. Et cela continue. Le plus formidable projet de recherche scientifique de ces dernières années – le Human Brain Project – sort de l’EPFL. Grâce à lui, nous avons une chance d’être les premiers à développer un modèle virtuel du cerveau. Ce faisant, la Suisse pourrait aussi devenir un leader mondial de l’informatique de demain en posant les bases de l’ordinateur neuromorphique.
On est bien loin des yodels, du «Ranz des vaches», et de la Suisse «boîte de chocolats» qui fait le délice des touristes. Parfois, je regrette un peu la Suisse ronronnante et ennuyeuse de jadis. Mais, heureusement, il nous reste les politiciens…