Avez-vous vu Spartacus? Dans ce film de Stanley Kubrick, le héros de la révolte des esclaves joué par Kirk Douglas ne veut pas enrôler dans sa troupe le poète, incarné par Tony Curtis. A quoi peut donc bien servir un artiste dans une bataille? Puis la veille de l’assaut, celui qui ne sert à rien chante pour les hommes terrorisés par ce qui les attend: ces derniers pleurent, portés par une émotion commune, et des ressources considérables se font jour. La motivation, l’envie de gagner avec bravoure ou de perdre avec panache. Un goût d’absolu que seule procure l’émotion. Bien des secteurs économiques suisses restent immatures du point de vue émotionnel: s’ils étaient des enfants, ils auraient cinq ans, sept tout au plus. Prenez la banque et la presse par exemple. Les deux sombrent – pas Bilan rassurez-vous – parce qu’ils sont prisonniers d’un état d’esprit qui se nomme la «qualité». A cause de cette fichue qualité, ces acteurs économiques se parent de leur bon droit, restent sur leur quant-à-soi et s’étiolent, persuadés d’être dans le juste alors que leur client leur demande autre chose. Souvenez-vous de Spartacus: ce sont les sentiments qui ont fait gagner les esclaves, pas seulement la qualité de leur entraînement ou de leur équipement. L’autre exemple à suivre vient de l’horlogerie suisse. Dans les années 70, cette dernière a failli mourir car les montres, c’était justement à l’époque un domaine 100% qualité, une occupation d’ingénieur. Les entreprises du secteur ne se souciaient que d’une chose, que tout fonctionne bien et longtemps. Acheter une montre, c’était le problème du client. Jusqu’à l’arrivée des produits à quartz japonais, plus fiables, moins chers, des marqueurs d’une génération qui ont balayé l’horlogerie suisse sur leur passage. Et puis un petit gars est arrivé, un Libanais d’origine que les pontes du secteur, en place depuis des générations, regardaient de travers. Et ce dernier a eu une inspiration loufoque: à partir de toutes ces usines en faillite, de ces parcs de machines-outils en jachère, de ces patelins pas possibles où travaillent les horlogers, quelque chose d’unique pouvait naître: une émotion. Nicolas Hayek a ainsi créé voilà bientôt trente ans la Swatch à partir d’un désastre. Un produit que le monde entier a adopté parce qu’il était beau, sympa et qu’il donnait accès à un style de vie. Bref, une marque prenait vie en créant une émotion. Ah j’oubliais, bien sûr, la montre de «M. Hayek» regorgeait de qualités, mais c’était le minimum qu’elle devait à ses clients. Et toute une industrie s’est depuis reconstruite, qui occupe aujourd’hui la place de numéro 1. Les banques ne sont peut-être pas assez mal en point pour laisser un outsider arriver avec des idées complètement farfelues pour bousculer leur industrie séculaire. La presse de qualité, elle, a sûrement moins de réserves pour tenir. Elle peut encore faire comme les producteurs de laine en Grande-Bretagne quand les vêtements en coton arrivés d’Inde ont cassé leur marché. Le lobby de ces derniers a fait passer une loi en 1700 qui obligeait les citoyens britanniques décédés à être enterrés uniquement habillés avec de la laine. Chers lecteurs, promettez-moi que si je vous oblige à prendre pour votre dernier voyage un abonnement à Bilan, vous viendrez m’achever dans mon bureau, sans délai. Belles Fêtes à vous.
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La bataille des émotions