Cette crise sociale part d’un fait économique concret: le revenu disponible des ménages français a baissé en moyenne de 500 euros depuis 2008 en raison des diverses politiques sociales et fiscales. Les prestations sociales ont été rabotées puis gelées pour combler le déficit. La hausse de la taxe sur le carburant vient couronner une décennie de pression fiscale à la hausse. Depuis 2009, le produit fiscal a augmenté de 30% en France, alors que la masse salariale progressait de 15% à peine. Taxes locales, impôts sur le revenu des personnes physiques, contribution sociale généralisée et TVA pour les consommateurs se sont alourdis sur la décennie.
Or, quand on coupe dans la «main gauche» de l’Etat, celle qui redistribue, on observe fatalement, une décennie plus tard, que la somme ainsi économisée s’est transférée vers la «main droite» de l’Etat, celle de la répression (sécurité, justice, police, armée, prison). Ce qui est fort logique: quand les citoyens reçoivent moins d’aides publiques, ils ont moins à perdre. Violence et revendications se manifestent. Quand les inégalités de revenus et de chances se creusent à l’excès, les électeurs qui craignent de dégringoler dans l’échelle sociale tendent à soutenir davantage une justice répressive plutôt que préventive, davantage de peines d’enfermement que de sanctions socio-éducatives, et le dialogue social laisse place à un discours répressif de l’Etat. La population carcérale en France est en hausse constante, ainsi que la durée de détention. Prendre à l’Etat redistributif pour donner à l’Etat répressif est un signal de déclin démocratique, selon le sociologue français Loïc Wacquant ( Les prisons de la misère , 1999). Professeur à l’Université de Californie à Berkeley, ce spécialiste décrit les processus de criminalisation de la misère et comment l’hypercarcéralisation (il a étudié le cas des Etats-Unis) découle d’un retrait préalable des protections sociales de l’Etat.
Mais réprimer, c’est ce qui coûte le plus cher. Depuis 2012, les dépenses sécuritaires de l’Hexagone sont montées en flèche, aidées bien sûr par la vague d’attentats terroristes sur sol français. Mais ce dispositif risque à présent de se retourner contre les revendications sociales venues de la base. Comme l’avait pressenti Loïc Wacquant il y a vingt ans, «partout en Europe se fait sentir la tentation de s’appuyer sur les institutions policières et pénitentiaires pour juguler les désordres engendrés par le chômage de masse, l’imposition du salariat précaire et le rétrécissement de la protection sociale».
Se pose alors une question: les dirigeants des démocraties occidentales ont-ils encore le sens de l’intérêt commun? Le président français, qui a levé ses 10 millions d’euros de fonds de campagne auprès de hauts dirigeants bancaires et d’investisseurs privés, peut-il défendre le commun des Français, parler au nom de l’intérêt général? Alors qu’il a mis un an et demi à baisser la taxe d’habitation – immédiatement annulée par la taxe sur les carburants – il a mis à peine sept mois pour baisser les impôts des 0,01% les plus riches et des investisseurs en bourse (ISF et PFU). Fin 2019, estime le magazine Capital , les 2% de Français les plus aisés auront capté 42% des gains générés par la politique macronienne. Aujourd’hui, en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis, il est vital que l’Etat veille à ne pas se disqualifier définitivement en devenant l’outil du transfert du produit du travail collectif et des impôts du plus grand nombre vers des intérêts sectoriels et oligarchiques.
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Criminaliser la misère, non
Le mouvement des Gilets Jaunes en France, auquel le ministre de l’Intérieur a opposé l’impératif d’ordre et de sécurité, et auquel le président Macron a répondu par un triple «Honte à ceux qui… !», doit nous interroger sur l’équilibre de nos démocraties.