Les batailles acharnées que livrent des sociétés comme Apple, Google, IBM, Microsoft ou Amazon par hordes d'avocats interposés au nom du respect de leur propriété intellectuelle n'ont plus rien à envier aux épiques combats de la mythologie scandinave. L'an dernier, plus de la moitié des procès en matière de brevets aux Etats-Unis impliquaient d'ailleurs des " Patent Trolls " (chasseurs de brevets en français, mais vous conviendrez que l'effet est moins saisissant).
Un Patent Troll n'emploie aucun ingénieur et ne commercialise aucun produit qui s'appuie sur un brevet. Il en acquiert pourtant une multitude, de qualité souvent médiocre, dont la validité n'a pas été remise en cause devant les tribunaux et qui couvrent en général une méthode commerciale ou les caractéristiques d'un logiciel. Fort de cet arsenal qui n'a pas été testé au combat, le Patent Troll va systématiquement contacter les utilisateurs d'une technologie similaire à celle visée dans les brevets qu'il détient (des coffee shops pour des brevets sur la technologie wifi par exemple) et brandir la menace d'un procès coûteux pour leur extorquer le paiement de licences exorbitantes.
La menace produit en général son effet, car les tribunaux bloquent assez facilement le commercialisation des produits incriminés, le coût d'un procès est astronomique (entre 3 et 10 millions de dollars) et les dommages-intérêts punitifs faramineux (on se souvient du milliard de dollars octroyé par un jury à Apple contre Samsung l'été dernier). Ainsi, RIM, fabricant du célèbre BlackBerry, a-t-il dû par exemple débourser plus de 600 millions de dollars en 2006 en faveur d'un Troll pour continuer à commercialiser ses produits.
Pour contrer ce phénomène, un projet de loi vient d'être soumis au législateur américain: le SHIELD Act (pour Saving High-Tech Innovators from Egregious Legal Disputes Act –il fallait le trouver…). Présenté comme un progrès majeur dans la réforme nécessaire du droit des brevets, ce projet vise pourtant essentiellement à faire payer au Patent Troll l'entier des coûts d'un procès en contrefaçon qu'il aurait perdu - principe déjà consacré en procédure civile suisse. Il ne s'attaque pas en revanche à d'autres problèmes tout aussi importants du droit des brevets, par exemple leur prolifération sans véritable contrôle de la qualité des inventions –du fait d'ailleurs principalement de sociétés "légitimes" (IBM a par exemple déposé plus de 5000 brevets en 2012).
La stratégie de ces sociétés – qualifiées par certains d'ogres - consiste généralement à contrer les attaques d'un concurrent par la signature d'accords complexes de licences croisées avec ses propres brevets. Une approche qui ne séduit pas les Trolls ; pour eux, c'est l'argent qui peut être obtenu par des licences extorquées sous la pression qui compte, pas la conclusion d'accords commerciaux.
Une telle stratégie implique surtout de disposer d'un portefeuille étendu de brevets comme monnaie d'échange. Et c'est bien là un des problèmes que le SHIELD Act ne résoudra pas: les jeunes entreprises – et je pense en particulier aux nombreuses startups suisses dans le domaine du logiciel qui cherchent à s'étendre aux Etats-Unis – ne détiennent pas suffisamment de brevets pour monnayer leur survie, si elles sont menacées d'un procès.
Or, quelle différence y a-t-il à se faire rançonner par un troll plutôt que par un ogre ?
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Entre trolls et ogres: les startups en péril ?