La première transparence a été fiscale et a entraîné un recul des avoirs offshore: la Suisse est passée en 15 ans de 35% de part de marché à 25%. Il n’aura pas fallu longtemps pour que la deuxième vague, inévitable, survienne : la transparence des prix.
Quelle ne fut pas ma surprise en ouvrant mon journal quotidien pour y trouver une comparaison des tarifs de courtage en ligne en Suisse. Sur 9 courtiers en ligne et banques traditionnelles évalués par Moneyland.ch, les écarts de tarif vont de 1 à 4.5 ; pour un investissement de 60'000 francs, l’économie annuelle maximum est ainsi de 2.5% sur les avoirs investis. Pour mémoire, les performances d’un portefeuille en francs suisses oscillaient en 2016 entre 1.3 et 1.66% selon l’indice IBO .
2.5% d'économie versus 1.3% de performance
Ce qui m’a surpris n’est pas tant l’écart que le fait d’en parler dans un quotidien suisse.
L’Europe y est plus habituée. L’obligation de communication sur les prix y est inscrite dans la loi. Une loi qui donne aussi le droit de changer de banque simplement et gratuitement, fixant même un délai de 22 jours maximum en France, 7 en Angleterre.
Alors certes, la comparaison peut paraître plus orientée sur les banques de détail et les clients dits Affluent que sur le Private Banking. Mais on parle de tarifs de courtage, le même courtage que proposent les banques privées et qui représente toujours une source significative de leurs revenus.
Pour un observateur qui s’intéresse aux signaux faibles qui doucement, tranquillement, amènent le changement dans une industrie, cela ne peut laisser indifférent.
Un vent de transparence souffle. La communication est désormais ouverte dans la presse sur un sujet qui n’est plus tabou. Les acteurs se profilent. Les lignes ont déjà bougé en Europe et aux États-Unis, elles bougeront en Suisse. Cela ne peut laisser indifférent ni les clients, ni les banques, ni les start-up FinTech, quel que soit le niveau de fortune.
Certaines de ces start-up arrivent d’ailleurs avec une proposition qui fera date : des tarifs de courtage aussi peu chers que… la gratuité, tel RobinHood.com . On peut difficilement faire plus bas. Mise à jour de mai 2018 sur CNBC au sujet de RobinHood .
On ne s’en rend pas trop compte en Suisse, voire en Europe, mais le courtage en ligne apparu au tournant du troisième millénaire a été une révolution aux États-Unis (on se souvient d’e-Trade et Charles Schwab qui sont d’ailleurs depuis devenus des banques). Une transaction y coute aujourd’hui entre 5 et 10$, quel que soit le volume acheté, car dans le monde digital, acheter pour un million d’actions ou cent mille revient strictement au même. Acheter et vendre des options y coute 75 centimes par contrat. 75 centimes. Pas 1.5% du volume de transaction.
D'une manière ou d'une autre, tôt ou tard, cela touchera toutes les catégories de clients, depuis la banque de détail jusqu'à la banque privée.
Même si l’on pense que les clients fortunés ou ultra-fortunés ne se préoccupent pas du prix, tous ont un conseiller de confiance à partir d’un certain niveau de fortune. Et ces conseillers ne manquent pas de s’intéresser au prix payé, ne serait-ce que pour démontrer leur valeur ajoutée (gérants indépendants, family office, multi family office, conseillers stratégiques, etc.). Leur pouvoir de négociation augmentant, la suite logique est une négociation sur le prix. Les banques cèderont, pour gagner un client et des avoirs. Car rares sont les banques qui mesurent le coût d’acquisition d’un client et la profitabilité bottom-line d’une relation à court, moyen et long terme.
Dans un environnement traditionnellement peu transparent, il est toujours facile pour un client de réclamer un « 0.5% all-in » parce que « c’est ce que votre concurrent me propose ». C’est sans fin et entraine fatalement une guerre des prix. Cette guerre a déjà commencé d'ailleurs de manière discrète, larvée et non maîtrisée, via les exceptions tarifaires, en particulier dans le segment de clients ultra-fortunés qui se comporte comme une clientèle professionnelle. Comme l’écrit ironiquement un Pricing Manager d’une banque privée : « Mon métier est un métier d’exception ! ».
Les effets néfastes d’une guerre des prix
Les exceptions tarifaires vont aller en s’amplifiant. Ces exceptions ne sont rien d’autre qu’un coût commercial caché . On a coupé et on coupe encore beaucoup de coûts dans les banques. Qui songe à réduire ce coût-là ?
Si la seule réponse des banques est de céder à la tentation de la guerre des prix, leur seule marge de manœuvre sera de réduire les coûts. Mais le problème est qu’une industrie qui s’engage dans cette voie, le plus souvent faute d’innovation, ne peut bientôt plus en sortir, car il y aura toujours un concurrent pour surenchérir à la baisse. C’est une spirale infernale qui tire tous les acteurs du marché vers le bas.
Ceci a déjà été observé dans l’aérien ou les télécoms. L’aérien, où les possibilités d’innovation client sont limitées (au fond, le seul produit à vendre est de faire voyager un client d’un point A à un point B avec plus ou moins de confort), ne doit son salut qu’à la consolidation et aux accords de partage de route, mais le Return On Equity de l’industrie reste parmi les plus faibles et met du temps à se redresser.
Personne ne ressort gagnant d’une guerre des prix. Pas même d’ailleurs les clients si elle est poussée à l’extrême, puisque sans marge, une industrie ne peut plus ni innover, ni maintenir son niveau de service.
Alors que faire ?
Il existe un autre choix.
La première étape est de comprendre ses coûts (jusqu’au niveau de chaque client), son prix en comparaison avec la concurrence et/ou entre clients de même profil et la valeur apportée au client (performance des investissements ajustée des risques, et services non boursiers). C’est une première base qui permet d’équilibrer la négociation et de rechercher une relation gagnant-gagnant. Chaque partie a tout intérêt à ce que l’autre se sente à l'aise avec le prix payé, pour continuer la relation et garantir un service de haute qualité.
Mais surtout, on peut choisir de redéfinir son offre en collant aux besoins réels du client. On peut devenir une vraie industrie du service. Le segment Professional Services est parmi les industries au plus haut niveau de Return On Equity.
La Suisse possède de nombreux atouts extraordinaires créés depuis 200 ans dans la gestion de fortune qu’on ne peut si facilement lui enlever. Si elle joue la carte du coût le plus bas, elle perdra. Si elle manque de transparence ou pratique des prix qui ne se justifient plus, elle perdra également.
La stratégie de l’excellence
Mais si elle se présente comme le centre d’excellence qu’elle est dans la gestion de patrimoine pour des clients sophistiqués, qu’elle en assure la consolidation, l’ingénierie financière, la protection, le conseil (au sens du conseil patrimonial et non pas du seul conseil en investissement ou de la distribution de produits), toutes classes d’actifs confondues, y compris les investissements directs, tout en maîtrisant les règles internationales, quelle autre place financière peut vraiment rivaliser ?
En fait, chaque place internationale aura sa carte à jouer, pour accéder à certains talents en matière de performance, à certains actifs, à certaines zones géographiques. Les places financières deviennent ainsi elles-mêmes des produits.
Mais qui est assez bien placé pour se positionner au-dessus de la mêlée et assurer un rôle stratégique de consolidation et de conseil ?
Soudain, la Suisse deviendrait le centre d’excellence qui oriente vers le meilleur produit et prestataire et négocie les tarifs pour ses clients, au lieu de les subir. Le meilleur avocat de ses clients. Leur partenaire de confiance.
Elle pourra dès lors pratiquer une tarification équilibrée basée sur la valeur ajoutée que perçoit le client. Celui-ci en retour sera moins enclin à négocier, car on ne négocie pas avec son partenaire de confiance.
Parler de service et non de transaction, de client et non de distribution de produit, de coût réel d’une relation client, de Life Time Value , et de juste prix à pratiquer dans une logique gagnant-gagnant, est le défi à relever pour le développement profitable à long terme de l’industrie de la gestion de fortune.
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Banques Privées: le vrai prix de la transparence