Qu'est-ce qui fait mal aux yeux, quisemble toujours la même chose (même si ce n'est pas le cas) et paraît tout de même un peu démodé? Je vous donne vite la réponse. Ils'agit d'un tableau de Victor Vasarely. Le Hongrois de Paris revientcependant en grâce, comme il y a quelques années ses contemporainsGeorges Mathieu ou Bernard Buffet. Idem pour des designers dontPierre Paulin et Roger Tallon. Les «sixties» à la françaiseopèrent leur retour. Il y a bien sûr là des sous-entendus commerciaux.Il semble pourtant permis d'avoir aujourd'hui la nostalgie de jours plus heureux,même si les gens se plaignaient alors déjà. La France reste depuistoujours un pays de mécontents.
Né en 1906, Vasarely a marqué lesannées 60 et 70 de ses géométries colorées. Il s'est alorsretrouvé mis à toutes les sauces, ce qui le ravissait d'ailleurs.Ses motifs pouvaient se décliner sous toutes les formes et danstoutes les dimensions. Elles allaient de la pochette de disque, quireprenait son format favori, le carré, à la façade entièred'immeuble. Signe des temps, celle conçue en 1972 pour RTL à la rueBayard a disparu début 2018. Un hasard de l'histoire, à moins qu'ilne s'agisse d'une mésaventure des ondes. On ne s'évanouit pas commeça dans la nature quand on revient sous les projecteurs del'actualité. Il devient du coup permis de penser que la dite façade,formée de ronds concentriques, ne s'est pas perdue pour tout le monde.
A Beaubourg depuis 1977
Vasarely semblait en fin de course,même s'il n'est mort qu'en 1997, lors de l'ouverture en 1977 duCentre Pompidou. Un lieu qui accueille aujourd'hui sa rétrospectiveau sixième étage. Il signait alors un portrait du défuntprésident, qui avait voulu Beaubourg. Une effigie faite de lamellesnoires et blanches. Elle reste d'ailleurs suspendue dans le hall,même si plus personne ne la regarde. Notons qu'en cette même année1977, Claude Pompidou, la veuve, offrait un Vasarely tiré de la collection familiale au Centre. Un geste symbolique. Cette dame decaractère entendait donner la preuve des goûts contemporains ducouple, qui avait tout de même fait éventrer un quartier historiquede Paris afin d'installer la grosse machine de Renzo Piano et de RichardRoger. Un acte sans doute impossible de nos jours. Mais Pompidou,avant de mourir du cancer en 1974, ne songeait-il pas une autorouteNord-Sud coupant la capitale en deux? On a eu chaud tandis qu'ildevenait froid.

Le fameux tableau donné par ClaudePompidou se retrouve bien sûr dans l'exposition actuelle, qui vientaprès celle du Musée Thyssen de Madrid en juin-septembre 2018.Montée par Michel Gauthier et Arnauld Pierre, celle-ci couvre lacarrière entière de l'homme, depuis ses débuts comme publicitaire dans laHongrie du Régent Horthy (l'un des premiers régimes fascistes). Ily a ainsi des prêts de Budapest, où Vasarely a fondé en 1987 sonsecond musée après celui d'Aix en 1976. Le visiteur note la façondont il passe assez vite d'une figuration synthétisée aux premièreformes d'abstraction. Il suffit de penser aux «Zèbres»s'incorporant l'un dans l'autre. Ils me font penser auxcréations, pourtant très différentes d'esprit, de son aînénéerlandais Maurits Cornelis Escher (1898-1972). Il seraitintéressant d'illustrer une fois leurs parcours en regard.
Une dissidence au sein de l'abstraction
A ce moment-là, Vasarely se trouve déjà à Paris, où il a débarqué en 1930. Il continue àtravailler pour plusieurs agences en tant que graphiste. Son activitéde peintre demeure parallèle. Le débutant donne peu de tableauxavant la fin des années 40. Aucune couleur encore. L'homme restefidèle au noir et au blanc, qui trahissent sa principale activité.Mais déjà, son abstraction bouge. C'est la grande rupture avec lavision rigide d'un Piet Mondrian ou des Français Jean Gorin,Marcelle Cahn ou César Domela. Il y a une dissidence. Lescommissaires parlent à mon avis justement de «dérèglementmaniériste par rapport à un art rationnel comme celui du Bauhaus».Naturalisé en 1961, le Hongrois propose des formes de jeux. Ils'agit pour lui de créer l'illusion d'une troisième dimension,alors que les disciples de Mondrian restaient ascétiquement liésau principe des surfaces planes. Vasarely va multiplier les impressionsd'excroissances. C'est comme si des boules étaient venues faireexploser ses alignements de carrés ou de ronds bien sages.
Vasarely vise avec ces fantaisies àdonner un art ludique et populaire. L'artiste aime à se fairepiller. Vulgariser. Diffuser. Pour lui, le monde entier devrait finir parressembler à une des ses toiles, avec des couleurs franches et joyeuses. Il se retrouve ainsi en adéquation avec une époqueoptimiste, dont le couturier vedette se nomme André Courrèges. Pourimiter les œuvres originales, les gens n'ont qu'à s'amuser avec desronds et des carrés vers, rouges, jaunes ou bleus qu'ils peuventacheter en kits. Il y a là, comme le rappellent Michel Gauthier etArnauld Pierre, un «espéranto visuel». Des «énergiesabstraites». On parlait plutôt à l'époque, je me souviens, d'«opart». Avec surtout rien de figuratif. Il suffit de regarder la salle àmanger de la Deutsche Bank de Francfort, pieusement reconstituée auCentre Pompidou. Aucun rapport avec le «flower power» qui sedessinait de Londres à San Francisco, les deux capitales «in» dumoment.
Rêveries cosmiques
Evidemment, tout ne reste pas aussisimple, voire simpliste. Il y a aussi des «rêveries cosmiques»chez Vasarely. Elles font l'objet de la dernière salle, plongéedans le noir, alors que les années 1960 se voulaient toutes blanches.Le cosmos a fini par rejoindre la science-fiction chez l'homme.«Vasarely est un moderniste qui a foi dans la science.» D'accord.Il l'adapte néanmoins à son credo pictural. L'homme a créé unsystème trop au point pour le bousculer. C'est de la grande «déco», ilne faut pas l'oublier! Il ne suffit pas de brandir le micro et lemacro-cosmos et d'invoquer la physique pure pour modifier la donne. Tout cela reste bien gentil, mais devient à lalongue un peu fatiguant. Le Hongrois a du reste connu une totaleéclipse après 1980. Autant dire qu'il était alors devenu une vieillelune. Fallait-il le tirer avec autant d'insistance de l'ombre?
Pratique
«Vasarely», Centre Pompidou, placeGeorges-Pompidou, Paris, jusqu'au 6 mai. Tél. 00331 44 78 12 33,site www.centrepompidou.fr Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 11h à 21h.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.
Attention les yeux! Vasarely revient en grâce. Le Centre Pompidou l'expose en gloire
Le Hongrois avait marqué les années 1960 et 1970 avec ses jeux de couleurs abstraits. Puis la mode avait passé, même s'il n'est mort qu'en 1997. Beaubourg s'offre aujourd'hui la totale.