Vingt ans. C'est le temps d'un cheminement de vie. Il s'agit aussi pour Georges d'un itinéraire urbain. Il a - commencé, après une enfance en campagne genevoise, par un tour des squats genevois de 17 à 19 ans - (Adrien Lachenal, Délices, rue de Bâle, rue de Berne, Cornavin), puis en appartement (Allobroges) pour se - terminer dans une boutique fixe de la rue des Rois. Avec toutes les transformations physiques que cela suppose - aussi. Les témoins d'une vie antérieure me décrivent l'homme avec une crête d’iroquois. Il y a bien longtemps - que celle-ci a disparu. Plus rien. J'avoue même ne jamais l'avoir connue. C’était avant Tribe Hole.
«Quand j'ai commencé, les piercings restaient confinés aux milieux marginaux, j’ai beaucoup flirté avec l’interdit, - l’extrême, l’anticonformiste, le politiquement incorrect, quitte à m’en brûler les doigts. C’était avant.», explique - Georges. «Ils sortaient du milieu punk, ou alors tendance SM.» On était dans les années 1990. Ce qui se - pratique aujourd'hui couramment dans un établissement ayant pignon sur rue gardait quelque chose de - mystérieux. On devait connaître la personne qui. Ou celui qui avait le nom de cette personne. Une sorte de - chaîne humaine semi clandestine. «Il fallait faire partie du milieu.» Et je ne parle pas des implants ou des - scarifications, qui demeuraient dans les limbes! «J'ai commencé par me percer moi-même. Puis j'ai percé les - autres. J'ai réalisé qu'il existait une demande.» Elle se situait alors parmi les proches et le bouche à oreilles a - suivi. Une fille a demandé un piercing à Georges. «En 1996, à 17 ans, j'étais derrière l'aiguille.»
Un précurseur oublié
Georges se lançait, mais il ne s'agissait pas d'un pionnier local. «J'ai repris le flambeau d'Olivier. Il travaillait rue - de l'Industrie depuis la première moitié des années 1990.» Georges allait chez lui, en partie pour acheter des - bijoux. «C'était à la fois un centre d'information et un shop alternatif. « Le dépôt 83 ». Grâce à Olivier, je savais - tout sur le mouvement «straight edge». Il s'agissait là d'un mouvement prônant le rejet de toute forme de - drogue, d'alcool, de sexe sans lendemain. A l’encontre du mouvement punk, plus dionysiaque et - autodestructeur, le straight edge était une voie plus en accord avec mes valeurs. Il valorisait aussi un mode de - vie vegan. La cause animale.» Mais il n'y avait pas que cela. Grâce à cet homme, qualifié de «mentor», Georges - a pu commander son premier matériel, avant des allers-retours réguliers à Londres et Brighton. «Olivier avait les - tuyaux.» Et un goût certain de la marginalité. «Il a tout arrêté lorsque le piercing est devenu tendance.»

Mais comment Georges vit-il cette évolution, ou plutôt cette explosion? «C'est comme tout. Pensez à Jean-Paul - Gaultier qui a fini par faire de la haute-couture! L'underground tend à se voir repris par les gens de mode - malheureusement. C’est un cycle. Il faut se réinventer perpétuellement.» Et abolir ici les grandes distances. En de - nombreuses matières, l'Europe se révèle en retard sur les Etats-Unis. «Gauntlet, le premier studio américain de - piercing a été créé en 1975 à Los Angeles. Et il faut bien se dire que c'était à l'époque la conclusion - commerciale d'un long processus.»
Accepter les changements
La chose n'offre pas que des désavantages. «Cette popularisation a été comme une chance de pouvoir vivre de - ce qui serait autrement demeuré une activité secondaire. Et accepter le changement de cette pratique marginale - vers le tout-public tendance.» Georges a su assumer la surprise. Avec des sentiments ambivalents, tout de - même. «D'un côté, bien sûr, j'ai la nostalgie d'une période où tout se faisait presque en cachette, hors des - sentiers battus. J'étais plus jeune.» De l'autre, il y a aujourd'hui la clientèle. «Je garde un immense plaisir à - travailler sur d'autres gens. Je les rassure. Je leur donne des conseils. Je le peux. Je sais de quoi je parle. J’ai - aussi reçu en 2005, la formation de Lukas Zpira qui m’a formé pour les opérations plus lourdes, comme la - scarification, les implants ou le tongue splitting. » Il y a aussi les intérêts annexes, comme la suspension, - pratiquée en petit groupe. «L'expérience du corps et des rites de passages ne s'est donc pas limitée au piercing - pour moi.»
Ce qui s'est en revanche gâté, ce sont les produits. «C'est le mauvais côté de la vulgarisation. Elle a amené à - produire des bijoux de mauvaise qualité, réalisés en masse dans les pays asiatiques.» Cette tendance se devait - de susciter à la fin une saine réaction. «Il y a de nouveau une demande d'anneaux et de boules créés avec des - matières nobles. Ils viennent essentiellement des Etats-Unis. Cela redonne sa valeur au piercing.» Certains - rares clients ont aussi besoin de pièces hors-norme. De gros «plugs» pour les oreilles, par exemple. Quatre - centimètres de diamètre et plus. Il a longtemps fallu dégoter des artisans peu pressés pour les réaliser. Souvent - mal. «Maintenant j'arrive à trouver à peu près tout sur des catalogues, eux aussi américains. Les demandes - exceptionnelles sont forcément celles qui m'intéressent le plus.»
Le temps d'Artamis
Après les squats, que j'ai énumérés plus haut, il y a eu Artamis, de 1999 à 2003, Un local loué 200.- par mois au - collectif Database, au-dessus du local de répétition de « Young Gods ». Un quartier alternatif aujourd'hui - disparu, remplacé par des immeubles faisant l'unanimité dans le mauvais sens. Horribles! Georges se trouve - depuis 2003 au 23, rue des Rois ("le 23 est aussi mon jour de naissance, à la Saint-Georges »). Il y a pris la - place de Xénomorphe, un endroit spécialisé dans les jeux de rôles, qui a voulu s'agrandir. «Ce n'était pas gagné - d'avance que d'obtenir une location dans une régie genevoise. Au loyer 6 fois supérieur au précédent. Sans - véritable salaire. Sans garanties. Sans aide financière. Avec les maigres économies faites durant des années.»
Reste que les choses ont bien marché et que Georges occupe depuis quelques années une deuxième arcade, - au 21. Une seconde aventure parallèle a commencé à Martigny dès 2006. Le tout sous le nom de Tribe Hole. - «Tribe gardait pour moi le sens de la tribu. J'ai toujours gardé une grande affection pour tout ce qui touche à la - tribu, la famille, aux mondes primitifs, à leurs cultes, rites et traditions. Surtout sa symbiose avec la nature. Des - indiens d’Amérique en passant par les tribus amazoniennes aux peuples d’une Europe pré-chrétienne plus - tribale; hellènes, celtes, germains, hyperboréens… ». Hole, c'est bien entendu le trou. Ornemental. La marque. - Définissant la tribu à laquelle on appartient. Le trou noir qui représente l’avenir mystérieux, inconnu…»
Deux logos pour le dire
Il fallait des logos pour dire tout cela, ou du moins le faire comprendre. «Sur l'un, qui est venu deux ans environ - après l'ouverture, il y a une croix ou cible, symbolisant la précision, avec un anneau de piercing (fer à cheval ou - « circular barbell »), une aiguille et un scalpel. On peut aussi y voir la croix des celtes, nos lointains ancêtres - vivant également en tribus avant leur christianisation. » Important, le scalpel... Le second logo voit trois anneaux - BCR (pour « Ball Closure Rings », anneau à fermeture à boule, les premiers bijoux dits de piercing avant que les - formes se diversifient) former un atome. «C'est quelque chose de plus rond, et du coup de moins agressif, aussi - symbole de la matière, ces matières, nobles ou moins, dont nous nous ornons pour raconter parfois notre - personnalité.» Faut-il voir là la normalisation d'un piercing devenu courant, même si Georges coupe aussi (mais - plus rarement) langues et peaux, et suspend?
« Parallèlement au développement de Tribe Hole, c’est un tout autre défi qui m’attend maintenant. La paternité. - Que j’ai fièrement acquise, il y a un an. Un Fils. Ma plus belle création. Faire rayonner et scintiller ma petite tribu - (et cette fois sans aiguilles, scalpels ni bijoux est mon objectif pour les deux décennies à venir au moins… »
Pratique
Tribe Hole, 23, rue des Rois, Genève. Tél. 022 328 25 44, site www.tribehole.com
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