
Disparu! Envolé! Charles-Edouard Duflon est mort à Genève le 8 mars. Avec lui disparaît non seulement un spécialiste reconnu des arts premiers, mais une figure originale du commerce d’art. Le quinquagénaire (il avait 53 ou 54 ans) tranchait en effet sur ses confrères. Dans un milieu souvent réservé, il déployait une exubérance lui servant de force de conviction. C’était un beau parleur, mais qui avait des choses à raconter.
La première fois que j’ai sans doute vu Charles-Edouard, il devait être tout jeune. Son beau-père Marcel de Schrywer avait ouvert un magasin de curiosités à la Grand-Rue. Toujours parmi nous, mais aujourd’hui très âgée, sa mère lui servait de flamboyante épouse. Installé alors à Cologny, le couple recevait. Marcel s’intéressait un peu à tous les domaines. Il picorait. Les antiquaires, alors assez nombreux chez nous, vendaient pour la plupart un peu de tout. Je dois cependant m’empresser de préciser que l’homme n’en vendait pas pour autant n’importe quoi. Ce qu’il proposait offrait toujours un côté personnel.
Une énorme bibliothèque
Charles-Edouard, qui lui a succédé dans la même arcade du 27, Grand-Rue, s’est pour sa part très vite dirigé du côté de l’Afrique, et surtout de l’Océanie. Des secteurs devenant peu à peu à la mode. La Galerie Témoin, devenue plus tard le Cabinet d’expertise Témoin, proposait dans un apparent désordre des objets de haut vol, parfois même magnifiques et vendus à des prix en conséquence. Repeinte en noir, la boutique avait sans doute l’air petite, avec une seule vitrine. Mais elle se doublait en sous-sol de réserves et surtout d’une fantastique bibliothèque spécialisée. Il y avait là, alignés dans des rayonnages, toutes sortes d’ouvrages récents mais aussi anciens. L’ensemble à portée de main! Mine de rien, Charles-Edouard travaillait beaucoup, organisant ça et là une exposition chez lui (1). Pas forcément d’art extra-européen, du reste. Certaines présentations se voyaient dictées par l’amitié. Pour que la chose ne dérape pas, il suffit d’avoir des amis intéressants!
L’homme faisait professionnellement cavalier seul, même s’il a un temps développé en partenariat avec un confrère à Berne une seconde adresse. Charles-Edouard n’a été qu’un membre fugitif de l’association Art en Vieille Ville (AVV). Je n’ai le souvenir de l’avoir vu exposer dans une aucune foire nationale ou internationale. Il ne figurait même pas, à Bruxelles ou à Paris, dans un «parcours des mondes» spécialisé. Le Genevois préférait travailler avec quelques clients, et voyager. Beaucoup voyager. C’était aussi ce qu’on appelle un bon vivant. On aurait jadis dit en Suisse romande qu’il avait «le gosier en pente». Chaque fois qu’on le croisait, le matin ou alors assez tard le soir, il fallait aller prendre un verre avec lui. Ce que j’ai très rarement fait. Nous étions pourtant voisins près de la place du Cirque.
Un Cabinet fantôme
Assez logiquement, Duflon a fini par faire de sa boutique une sorte de fantôme. Témoin n’était plus ouvert qu’exceptionnellement. Sur demande. Un écran, en vitrine, informait le passant en faisant défiler quelques images. Le propriétaire, qui devait pourtant sans doute payer un loyer important, jouait aux abonnés absents. Si l’on croisait Charles-Edouard, reconnaissable de loin à sa calvitie, c’était en ville. Ou alors sur une terrasse avec ses enfants. Deux couvées. Des adultes et des adolescents. Il faut dire que le monsieur aimait bien les dames. Un de ses amis m’a fait remarquer qu’il avait eu son AVC le jour de la Saint-Valentin, le 14 février, et qu’il était décédé la Journée des femmes, le 8 mars. Je pense que cette double coïncidence l’aurait amusé, si le grabataire avait encore été capable ne serait-ce que de réagir.
Charles-Edouard Duflon laisse donc une famille très éclatée. Un stock, sans doute important. Une vraie bibliothèque. Et beaucoup de bons souvenirs. Les gens évoquent aujourd’hui son culte de l’amitié. Sa fidélité en relations. Sa générosité. Bien réelle, cette dernière! Je viens de retrouver dans un tiroir un objet rare qu’il m’avait donné. C’est une grande boucle blanche, taillée dans un épais coquillage océanien. Il pensait à un bracelet. Le cerne creusé pour maintenir l’objet en place m’avait fait dire que le bijou me semblait destiné à une oreille. Il m’avait du coup déclaré que j’étais la seule personne à pouvoir l’enfiler un jour. Cadeau! Ce jour n’est malheureusement jamais arrivé.
(1) En Suisse aussi! J'ai le souvenir d'une magnifique exposition à la Maison d'Ailleurs d'Yverdon sur l'île de Pâques en 2011.
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Spécialiste de l'art océanien, le marchand Charles Edouard Duflon est mort à Genève
Le quinquagénaire occupait l'Espace Témoin, qui proposait de belles pièces... si le magasin était ouvert. L'homme travaillait en fait avec quelques grands clients.