
«Is lasagne a good thing to serve to your parents?» Franchement, je n’ai aucune réponse précise à ce délicat problème culinaire. «Chocolate melts in the sun». Ça,en revanche, je suis payé pour le savoir. Vous pensez, avec la chaleur en ce moment… Ces phrases et quelques mots isolés ponctuent l’exposition de Christian Robert-Tissot chez Joy de Rouvre, rue des Vieux-Grenadiers à Genève. La première présentation en solo de l’artiste dans sa ville natale depuis cinq ans et demi. Notez que l’homme boucle ainsi une boucle. La dernière fois, c’était déjà chez Joy, qui se trouvait alors à Carouge. Un baptême du feu pour la galeriste, qui ouvrait alors son premier espace. L’actuel accrochage était prêt depuis deux mois, caché derrière des vitres recouvertes à l’intérieur d’un plastique. La chose n’était pas faite pour déplaire à l’intéressé. «On est allé jusqu’au bout comme si nous allions ouvrir dans les temps. Cela m’a donné le temps de réfléchir à ce que je changerais éventuellement. Mais j’en suis resté à l’idée d’une seule œuvre par mur. Neuf parois, neuf pièces.»
Christian Robert-Tissot, on ne vous a plus vu à Genève ces dernières années. Cela ne signifie pas que vous n’ayez pas été présent ailleurs. - Non, et c’est heureux dans la mesure où je tends à ne peindre que dans le but précis d’une exposition. J’ai ainsi proposé des toiles chez Lange & Pult à Zurich comme à Auvernier près de Neuchâtel, où les Alémaniques ont ouvert un espace ayant la chance de se trouver tout près d’un excellent restaurant de poissons. Depuis quarante ans, je maintiens ainsi un rythme créatif assez constant. J’ai chaque année une, deux parfois même trois présentations. Je produis alors mes tableaux, en sachant qu’il s’agit là d’une pratique quotidienne où je travaillerais pas tous les jours. Je suis le cours des invitations et des incitations.
Christian Robert-Tissot. Photo Tribune de Genève.

Quarante ans, c’est un bail. Comment les choses ont-elles débuté? - Je suis né à Genève en 1960. J’ai donc 60 ans. J’ai commencé par présenter un dossier d’entrée à ce qui s’appelait alors l’ESAV (Ecole supérieure des arts visuels). Je montrais des films en super8, dont un portait sur l’exposition de la Villa Lullin qui présentait pour la première fois chez nous de la sculpture contemporaine en plein air. Silvie et Cherif Defraoui, qui allaient devenir mes professeurs, les ont regardé. Ils leur ont préféré ma peinture. Je suis donc entré en classe de peinture. Sans regrets. Un ami rentré de Bruxelles m’a révélé à quel point le cinéma constituait un travail d’équipe. Je ne suis pas du genre collectif. J’ai donc commencé à faire des toiles exécutées en une seule journée, comme il existe des œufs du jour. Mais là déjà, il n’y en avait déjà pas sept par semaine. Je m’y mettais selon mon humeur, sans protocole précis. C’était en quelques sorte un geste du quotidien.
Qui dit Robert-Tissot pense à des mots apposés en aplats sur une toile. - La première du genre date de 1987. J’ai avait mis les quatre lettres de TAXI, sans doute parce que j’en conduisais un la nuit pour vivre. J’ai en partie procédé à ce lettrage pour réagir à ce que faisaient les autres élèves autour de moi. On était en pleine époque néo-géo. Mais je me suis vite rendu compte que le texte dans la peinture m’intéressait au premier chef. Les quatre lettres de TAXI avaient dicté ma composition, mes formes et mes couleurs. Un texte ou un mot intervient dans tout ce qui touche à la peinture.
Un coin de la galerie de Joy de Rouvre. Photo Christian Robert-Tissot, Annik Wetter, Galerie Joy de Rouvre, Genève 2020.

Le texte, en Suisse, était alors le fait de Rémy Zaugg. - Il est venu en coup de vent à l’ESAV, et son passage ne m’a pas beaucoup marqué. Je m’intéressais davantage aux écritures de Lawrence Weiner ou du Japonais On Kawara, avec ses dates en blanc sur fond noir. L’essentiel restait cependant d’avoir découvert le mode me convenant. Aujourd’hui encore, je ne vois pas ce que je pourrais peindre d’autre que des mots. Quand je travaille au pochoir, j’ai pourtant l’impression de créer des monochromes. Je recouvre le tout de couleur. Les lettres n’apparaissent que lorsque j’enlève le chablon. Je n’ai rien contre la figuration, vous savez, mais elle m’intéresse chez les autres. Elle ne me correspond pas. L’important, pour moi, c’est de construire une vision n’ayant rien de contraignant. Un mot, un bout de phrase ne possèdent rien de visuellement figé. Il s’agit d’un support offert à l’imagination du spectateur. Je délivre moins des messages que des images.
Comment choisissez-vous les mots que vous allez garder? - Il s’agit pour moi de trouver ceux qui vont avec ce que je veux faire. Ils me vient ainsi des idées, que je consigne dans des carnets. Elles y restent un certain temps. Je les utilise, ou non. Disons que mon critère est d’avoir des mots aussi superficiels que l’est la peinture.
Chez Joy de Rouvre,vous présentez neuf tableaux comprenant chacun une grande toile et plusieurs fois la même en plus petites autour ou en dessous. Un peu comme les annonces collées dans la rue qui donnent une adresse ou un numéro de téléphone à détacher … - Je n’avais pas pensé à cela. Mais il y a de ça. Les amateurs peuvent acquérir le tout, ou seulement en prendre une partie. Dans ce dernier cas, je refais l'élément manquant à la demande. Il ne sera peut-être pas exactement de la même couleur. Je pose une limite. Le tableau n’existe au final qu’en deux exemplaires.
L’exposition porte un titre, «Probably Lost». - Je l’ai emprunté à une rétrospective vue il y a quelque années à la Fondation Beyeler. Elle était consacrée aux constructivistes russes. Pour Malévitch, il y avait à un endroit l’indication d’une œuvre manquante. Sans doute disparue à jamais. Le cartel disait «probably lost». Cela donnait l’idée du manque, de l’absence ou de la disparition. Des mots dont je me sens familier. Ce vide parlait à mon imaginaire.
La banque Lombard-Odier avec le mot Dimanche. Photo DR

Christian Robert-Tissot, pourquoi «Is lasagne a good thing to serve to your parents?» - C’est un énoncé absurde. La phrase s’évapore d’elle-même. J’ai ici introduit des évidences, des sottises et puis aussi des surprises que je qualifierais de presque inoxydables.
Quand vous ne peignez pas, que faites-vous? - J’enseigne à la HEAD genevoise. Un jour par semaine. J’introduis à une réflexion sur l’espace urbain. Cela correspond à une partie de mon travail. Depuis 1994, je me vois assez souvent invité à concourir. A l’inverse du «white cube», qui constitue l’espace de tous les possibles, il y a là un jeu constant avec les contraintes. Des restrictions imposées par le lieu. Des discussions avec des gens qu’il s’agit de convaincre. Il faut à chaque fois négocier.
Des exemples de vos réalisations dans l’espace public genevois… - Les pavés de la place du Molard. Des vitraux dans l’église en forme de boule construite par l’architecte Ugo Brunoni, rue de Lausanne. Des vitraux sans textes, je précise! Des plafonds au Collège de Candolle, qui est devenu une école de culture générale. Là, il m’a fallu beaucoup lutter. Le directeur ne voulait pas de moi. Sur le toit de la banque Lombard-Odier, à Plainpalais, j’ai installé un néon avec le mot «Dimanche». A Môtiers, où il y a épisodiquement des présentations éphémères de sculptures en plein air, j’ai créé dans une prairie le sigle du recyclage avec un désherbant.
A Plainpalais, les gens ont au départ cru à une publicité lumineuse… - Oui, mais c’était bien moi l’auteur du message. Si les gens ne l’ont pas compris, ou s’ils n’ont tout simplement pas vu qu’il y avait quelque chose sur le toit, ce n’est pas très grave.
Pratique
"Christian Robert-Tissot, Probably Lost", Galerie Joy de Rouvre, 2, rue des Vieux-Grenadiers, Genève, jusqu'en juillet. Tél. 079 614 50 55, site www.galeriejoyderouvre.ch Ouvert les mercredis, jeudis et vendredis de 11h à 18h, le samedi de 14h à 17h.
P.S. Ce texte est le 4000e de cette chronique commencée en 2013...
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Rien que des mots! Christian Robert-Tissot revient à Genève chez Joy de Rouvre
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