Mieux vaut tard que jamais. L'article aurait dû paraître avant. Mais, si par chance vous passez à Paris d'ici le 20 juillet, vous pourrez encore voir l'exposition que le Musée Maillol, fondé par la défunte Dina Vierny, consacre au trésor de San Gennaro. Une occasion unique de voir de près ce que les Napolitains laissent normalement regarder de loin. Avec leur saint, on touche en effet au magique et au sacré. Rappelons que son sang, conservé dans deux ampoules, se liquéfie trois fois par an. Un miracle, célébré comme tel. Le martyr serait en effet mort en 305, lors des persécutions ordonnées par l'empereur romain Dioclétien...
Pour lancer l'opération San Gennaro, en mars, le musée parisien n'a reculé devant rien. La publicité pourrait vanter un roman de Dan Drown: "Un pacte millénaire... Un mystère inexplicable..." Le contrat remonte en fait à 1527. Le saint était mort depuis douze siècles, et non pas "plus de deux mille ans" comme l'assure la publicité. Entre les éruptions volcaniques, les pestes et les invasions étrangères, la situation était alors catastrophique pour la seconde ville d'Europe, en ce qui concerne le nombre d'habitants. Il fallait faire quelque chose.
Un pacte entre un saint mort et des habitants vivants
La solution trouvée était extravagante. On imagina de signer un accord entre le saint, qui n'en pouvait mais, et les gens du pays. Contre sa protection, les Napolitains s'engageaient à lui bâtir une chapelle dans la cathédrale. Les gens de Messine avaient bien obtenu une lettre de la Madone allant dans le même sens. Que voulez-vous? Nous sommes dans ce qu'on nomme aujourd'hui, en prenant des pincettes, "la piété populaire". Celle que l'Eglise catholique réprouve depuis le concile Vatican II, tenu dans les années 1960. Un opprobre qui n'a pas empêché de fleurir dans les Pouilles, à la fin du siècle dernier, le culte d'un Padre Pio dûment stigmatisé.
Si l'accord date de 1527, les choses ont mis du temps à se matérialiser. La confrérie s'occupant du culte à San Gennaro ne date que de 1601. La chapelle s'est décorée plus tard encore. Il fallait l'orner dignement. C'est ainsi qu'ont été ciselés les très baroques bustes en argent, dont quinze ont accompli le voyage de Paris. Les plus anciens datent bien du XVIIe siècle, mais les petits derniers ont été coulés en plein XIXe, dans le même style. Souvent d'après des esquisses anciennes. A Naples, tout peut arriver. Surtout les changement de dynasties. Aux Bourbons d'Espagne avaient entre-temps succédé les Habsbourg autrichiens, avant que les premiers n'effectuent leur "come back". Puis il y avait eu le roi Joachim Murat, marié avec une sœur de Napoléon, et une seconde restauration..
Une débauche de diamants et d'émeraudes
Pendant ce temps, le trésor lui-même s'est lentement constitué, "aussi riche que ceux de la couronne d'Angleterre ou de France". Propriété des Napolitains, il a été formé de toutes sortes de dons. Des souverains voulaient s'acheter les bonnes grâces du peuple. En 1931, Umberto et Marie-José, la dame que les Genevois ont connu en exil à Merlinge, donnaient encore à San Gennaro un ciboire assez kitsch. Des anonymes se dépouillaient parallèlement, souvent à la suite d'un vœu exaucé par le "santo". Des boucles d'oreilles par-ci. Un bracelet par-là.
Avec tous ces diamants, ces émeraudes, ces perles et ces rubis ont pu se voir fabriqués deux objets faisant ici figure de clous du spectacle. Il s'agit d'abord d'une mitre rutilante, exécutée par l'orfèvre Matteo Treglia en 1713. Un couvre-chef plus scintillant qu'un sapin de Noël. L'autre joyau est l'énorme collier, destiné au saint. Un assemblage hétéroclite, réalisé entre 1679 et 1879. Il se révèle presque trop riche pour avoir l'air vrai. On dirait là une surenchère sur les bijoux haute couture d'un Christian Lacroix.
Prières et insultes
Scénographe invité, Hubert le Gall, a fait de son mieux pour aménager un lieu labyrinthique et ingrat. Il a plongé les salles dans la nuit. Un film apporte la note religieuse. Dans une ambiance de vaudou, des dévotes implorent le saint de bien vouloir liquéfier son sang, afin de répéter le miracle. Elles l'insultent s'il prend trop son temps. Néanmoins, ça marche, à la grande surprise de la science, qui en a pourtant vu d'autres avec le Saint Suaire de Turin. Oui, mais pas toujours! Les années de refus sont bien sûr jugées maléfiques. Il y aura une catastrophe. C'est sûr! Mais comme chacun sait, la vie napolitaine tient de la tragi-comédie.
Pratique
"Le trésor de Naples, Les joyaux de San Gennaro", Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, Paris, jusqu'au 20 juillet. Tél. 00331 42 22 59 58, site www.museemaillol.com Ouvert tous les jours de 10h30 à 19h, le vendredi jusqu'à 21h30. Photo (DR): Le fameux collier, destiné au saint et composé de bijoux récoltés durant deux siècles.
Prochaine chronique le mardi 8 juillet. Les meilleures (et les pires) expositions suisses à voir en ce moment.
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RELIGION / Paris expose le trésor de San Gennaro