
Je m’étais promis d’être le premier. Question de «standing». J’envisageais ainsi d’arriver à 11 heures pétantes au Musée Barbier-Mueller, rue Calvin. Notez que l’institution privée n’est pas la première de Suisse à se déconfiner. A Martigny, la Fondation Gianadda ouvrait une heure plus tôt, en ce lundi 11 mai. Mais je vous ai déjà parlé deux fois des «Chefs-d’œuvre suisses» appartenant à Christoph Blocher. La première à Winterthour. La seconde à Valais. Je pense honnêtement que cela peut suffire. Et puis, comment vous dire? J’éprouve un faible pour les «Barbus-Müller» exposés à Genève. Il y a l’originalité du sujet. La qualité de la présentation. Et soyons justes, l’étrangeté des œuvres, qui n’émanent de loin pas toutes d’Antoine Rabany, dit «le Zouave», mort en 1919.
J’ai finalement eu quelques minutes de retard. Un visiteur était arrivé avant moi. Un voisin, à ce qu’il paraît. Un homme qui aurait presque pu se présenter en robe de chambre et en pantoufles. J’étais le second. Notez que la porte du musée indique que la capacité tolérée est de dix personnes. Et j’avoue ne jamais avoir vu autant de monde à la fois dans ce temple des arts premiers, comme on dit maintenant. Sauf pour les vernissages et les conférences, bien entendu. Il a d’ailleurs fallu du temps pour que le troisième client se présente. J’avais déjà passé bien avant devant la caisse, aujourd’hui vitrée comme un guichet de banque, où l’on se voit prié de payer par carte. Cela dit, pour une petite pièce où ont été regroupées des pièces se rapprochant par la forme à celles du sculpteur brut, il n’y a place que pour un seul spectateur à la fois. Dommage! C’est le lieu le plus troublant de cette présentation. Comment un autodidacte auvergnat de la fin du XIXe siècle a-t-il pu s’apparenter sans le savoir à des anonymes du Vanuatu, d’Ethiopie, de Hawaï ou du Sépik, les artistes des Grandes Antilles exposés ayant en plus vécu entre le XIe et le XVe siècle?
La barbe en partage
Et puis, il y a le sous-sol, dont je ne vous avais pas encore entretenu, vu l’affluence de la soirée inaugurale! Laurence Mattet a eu l’excellente idée d’y regrouper des œuvres des collections pourvues de barbes, vraies, postiches ou supposées. Au départ, la directrice du musée pensait s’attaquer à un pari difficile, d’autant plus que la volonté était de montrer des pièces phares. Finalement pas. La commissaire avait l’embarras du choix. Qu’elles soient d’Afrique, d’Océanie ou d’ailleurs, les barbes concernent une grande partie de la statuaire. Un signe de pouvoir. «Du côté de la barbe est la toute puissance», dit-on du reste quelque part chez Molière (1). L’œil ne sait plus ce qu’il faut admirer en premier dans les petites caves voûtées, où le public doit se limiter à deux personnes. Les masques sont extraordinaires. Les statuettes également. Il y a des fonds de couleur là où il faut. Les projecteurs savent ce qu’ils doivent éclairer. On n’est jamais ici dans l’à-peu-près restant la norme même dans certains grands musées.
Le Barbier-Mueller n’en restera pas là. Il a bien travaillé durant le confinement. Des capsules sur les réseaux sociaux, renvoyant les intéressés à des informations complémentaires. La poursuite du numéro d’«Arts & Cultures» de 2020, dont le thème tournera autour de l’idée de sacré. Le gros numéro est actuellement sous presse. Il devrait sortir à la fin du mois. Notons que cette année il existera aussi en version numérique. Les temps changent. Il y a aussi les projets d’exposition. L’un doit encore se décanter. L’autre constituera une révélation dans la mesure où il s’agit d’une civilisation marginale n’ayant jamais fait l’objet de toute une manifestation. Dans ses dernières années, Jean-Paul Barbier-Mueller avait développé un intérêt particulier pour le Dong-Son, une culture vietnamienne antique dont les créations se retrouvent jusqu’en Indonésie. Il avait acquis in extremis quelques objets phares de cet univers du bronze. Les Genevois ont pu en voir quelques exemples à la Fondation Baur il y a quelques années. Ce sera pour 2021.
Un partage
Et voilà. Pendant plus d’une heure, je me suis retrouvé loin de la pandémie bien réelle comme de l’hystérie mondiale qu’elle a suscité, et que les médias comme les réseaux sociaux ne font qu’amplifier. Coronavirus, ras le bol! Je faisais aussi face à de vrais objets, dans leur matérialité et leur mystère. Un plaisir. Un soulagement. Car c’est bien vrai. Contrairement aux nouvelles idées reçues et développées ces derniers temps, tout n’apparaît pas remplaçable par des images de synthèse ou par les petits films un peu infantilisant envoyés par divers musées à longueur de courriels. Une visite d’exposition, pour les personnes intéressées s’entend, tient effectivement de l’échange. Du partage. De la confrontation. C’est un travail de collaboration entre l’œuvre et le visiteur, avec des fluides qui passent. Ou qui ne passent pas. Ici, le courant électrise, surtout avec les objets africains ou océaniens du bas. Il faut dire que certains sont sans doute pourvus de charges magiques. Il n’y a donc plus qu’à tomber sous le charme.
(1) C’est dans «L’école des femmes».
N.B. Avouez que j’ai de la chance. Il y a de nouveau des musées. Les expositions s’entrouvrent. Imaginez ce que ce serait si je m’occupais de danse, de théâtre, d’opéra ou de musique en général! Il se recréera toujours des injustices. Il ne fait pas bon en ce moment de faire partie des «arts vivants». Dans les arts pas tout à fait morts, je pourrais même ajouter le cinéma.
Pratique
«LesBarbus-Müller», Musée Barbier-Mueller, 10, rue Calvin, Genève, jusqu’au 27 septembre (prolongation possible). Tél. 022 312 02 70,site www.barbier-mueller.ch Ouvert tous les jours de 11h à 17h. Pour l’article de base, paru en mars www.bilan.ch/opinions/etienne-dumont/le-musee-barbier-muller-presente-a-nouveau-les-barbus-muller-affaire-elucidee
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Qu'est-ce que cela fait de retourner dans un musée après le confinement?
Lundi 11 mai, à 11 heures, j'étais à Genève au Musée Barbier-Mueller, le premier à rouvrir en ville de Genève. Eh bien une oeuvre d'art, c'est autre chose qu'une capsule! -