
C’est une habitude. Mieux que cela, un rituel. Chaque printemps, je rencontre Jean Terrier pour un bilan de l’année écoulée. L’archéologue cantonal genevois fait pour moi le tour des chantiers en ville et dans le canton. Il y a les nouveautés, si j’ose dire, mais aussi la poursuite de travaux de longue haleine. Cela peut en effet durer, même si notre cité n’a plus connu de fouilles aussi interminables (mais fructueuses) que celles de la cathédrale. Des décennies sous la direction de Charles Bonnet, le prédécesseur de Jean Terrier, toujours actif au Soudan! Cette fois, nous ne nous sommes pas vus, même masqués, Jean Terrier et moi. Tout s’est passé par téléphone. Mais la discussion se révèle au point avec un homme qui en arrive aujourd’hui à sa dernière année d’exercice avant la retraite… ou des fouilles ailleurs. Je rappelle que Jean Terrier a beaucoup travaillé parallèlement en Albanie. «Toujours sur le médiéval, qui est ma spécialité et fait l’objet de mon enseignement à l’Université de Genève.» Des cours qui arrivent eux aussi à leur fin.
Jean Terrier, que s’est-il passé en 2019? - Que s’est-il passé en 2019… Je dirai de l’essentiel s’est une nouvelle fois situé à Vuillonnex, près de Bernex. C’est là que se trouvait Saint Mathieu, l’église d'un décanat regroupant plusieurs paroisses. Il y avait ainsi huit décanats dans le diocèse de Genève. L’église a tenu bon du temps des Carolingiens, soit depuis le IXe siècle, jusqu’à la Réforme. Nous avions déjà beaucoup travaillé, et publié naguère sur le site. Sans penser pouvoir aller plus loin. Mais vous savez que Bernex connaît aujourd’hui un important développement démographique. Un énorme projet immobilier va se réaliser. Nous avions la possibilité d’intervenir en amont.
Comment les choses se sont-elles passées? - Nous avons œuvré sur une parcelle de 100 mètres sur 50 environ. A peu près 5000 mètres carrés. Il y avait là un cimetière médiéval plus des habitations, ou plutôt leurs traces. Comme il s’agissait de maisons de bois, nous n’avons retrouvé que trous de piliers dans le sol. Des sortes d’empreintes en négatif. Il y avait aussi des fosses creusées dans le sol. Fermées par des bouchons d’argile, elles servaient de silo pour les céréales, versées par les paysans sous forme d’impôt. La dîme. Blé et froment se voyaient ainsi conservés au frais et à l’abri des rongeurs.
Que subsistera-t-il de tout cela? - Rien. Nous avons documenté la recherche. Le contact avec la commune et les promoteurs s’est cependant révélé bon. Nous allons vers un marquage au sol du site. C’est bien. Nous avons aussi trouvé au sud de la parcelle fouillée les restes d’une voie romaine. Celle qui menait au bac de Chancy. Elle aussi se verra recouverte, pour protéger ce qui en reste, avec une indication au sol explicitée par un panneau historique.
Autre chose dans la région? - Oui. De l’autre côté de l’autoroute, à 500 ou 600 mètres, s’étend une vaste champ. C’est là qu’est prévue une ferme agro-urbaine. Nous avons pratiqué des sondages. Fructueux. Un autre tronçon de la voie romaine est apparu. Il comporte plusieurs niveaux stratifiés. La preuve d’un très long usage. La couche la plus ancienne se révèle celte. Elle remonte au Ve siècle avant Jésus-Christ. C’était pour l’époque une voie large. Environ quatre mètres. Puis les Romains et les chrétiens sont venus. Le Moyen Age a continué à utiliser la route. L’artère a disparu, sans qu’on puisse fixer la date, avant 1730. Ces travaux et ceux de Vuillonnex ont mobilisé une bonne partie de notre petite équipe. Là, il restera de notre intervention quelques chose. Il devrait y avoir dans la ferme gérée par l’État et la commune de Bernex une petite exposition archéologique.
Fouilles de Vuillonnex. La partie cimetière. Photo Service d'archéologie, Etat de Genève.

Et en ville? - Nous avons réalisé un certain nombre d’intervention dans le tissu urbain, contrairement à 2018 qui avait été une année sans. Il y a d’abord le Conservatoire de Musique, en plein travaux. Il a été érigé au milieu du XIXe siècle sur l’emplacement dégagé par des fortifications arasées. En descendant dans le sol, à gauche par rapport à la façade, nous avons exhumé des vestiges sous formes de pavages en «têtes de chat». Il y avait aussi les restes d’une guérite en bois. Le tout remonte au XVIIe siècle. La guérite permettait de surveiller les allées et venues de la Porte Neuve,l ’une des trois issues de la ville. Du moins à ce que l’on croyait! Une quatrième, secrète celle-là, est apparue à l’improviste dans le parc des Bastions, non loin du Palais Eynard. Derrière une zone végétale dense nous avons trouvé une belle porte, assez grande (deux mètres vingt de large, trois de haut) en pierres de Seyssel. Personne n’en avait connaissance.
Dans une des galeries souterraines de Genève. Photo Tribune de Genève.

D’autres trouvailles en matière de fortifications? - Oui, toujours pour la période tardive, je dois citer au niveau boulevard Helvétique-rue de l’Athénée une galerie souterraine de contre-mine du XVIIIe siècle. Vous savez que sous les énormes bastions genevois se trouvaient d’innombrables passages très bien construits, dont nous ne possédons plus le plan. Il en existait des kilomètres. Certains tronçons réapparaissent occasionnellement lors de chantiers. Celui-ci s’est révélé en très bon état. Il faudrait vraiment le garder intact. Mais l’idée a été entendue. Il existe aujourd’hui un projet de loi pour classer et conserver ce patrimoine en sous-sol.
Vous êtes maintenant confinés. Est-ce là une gêne grave? - Oui et non. Nous parlions depuis des années de publications laissées en plans. C’est le moment de reprendre nos notes et nos documentations graphiques afin d’en faire quelque chose. Depuis l’an dernier, nous avons la chance d’occuper à Versoix le domaine de La Bécassine. Un endroit assez vaste pour pouvoir y travailler très loin les uns des autres au besoin. Nous venions de publier un ouvrage de 111 pages. Il liste nos travaux de 2016 à 2018. Nous avons encore à intégrer 2019 et à rattraper certains dossiers. Ce temps de réflexion n’est finalement pas malvenu.
Reste encore à voir avec Jean Terrier où en est le musée archéologique prévu à Saint-Antoine. C’est une case plus bas dans le déroulé de cette chronique.
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Que s'est-il passé sur le plan archéologique à Genève en 2019, Jean Terrier?
Le plus gros chantier s'est situé à Bernex, en amont de travaux de construction. Le service cantonal est aussi intervenu en ville là où il y avait des restes de fortifications.