Que découvrir comme expositions cet automne dans les recoins de Venise?
Il y a souvent une présentation inattendue au coin de la rue. Non annoncée, ou presque, sur les sites. Voici du contemporain en marge de la Biennale et de l'historique.

James Lee Byars dans une petite église méconnue. Une rencontre réussie.
Crédits: PhilipsJe vous l'ai déjà raconté cent fois.
Mais répéter ne fait jamais de mal. Venise constitue cet été la
ville où il se passe le plus de choses en Europe sur le plan des
expositions. Art contemporain surtout. La Biennale a servi de
détonateur, même s'il elle ne fait vraiment pas «boom» (ni
«pschitt» non plus d'ailleurs) en 2019. Il se niche ainsi des
accrochages dans les endroits les plus plus imprévus, pour ne pas
dire les plus improbables. Souvent, ces présentations restent
gratuites. Il suffit d'entrer quand la porte est ouverte. Il existe en
principe des horaires, mais ceux-ci sont à mon avis parfois donnés
à titre indicatif. Voici donc quatre choses vues lors de récentes
pérégrinations à travers la ville.
«The Death of James Lee Byars» à la
Chiesa du Santa Maria della Visitazione. Il y a deux ans, un énorme
machin doré, tenant à la fois de l'obélisque et du godemiché, se
trouvait Campo San Vio. Il s'agissait de la reconstitution d'une
œuvre de l'Américain James Lee Byars. Cette recréation se voyait
gardée jour et nuit, comme si elle était vraiment faite du précieux
métal. Cette année, en «événement collatéral» à la Biennale,
le collectionneur Walter Vanhaerents propose une pièce monumentale
lui appartenant dans une petite église de la Fondamenta Zattere ai
Gesuati, en face de la Giudecca. Conçue en 1994, alors que l'artiste
se savait condamné par le cancer, elle se compose d'une demi chambre
aux murs dorés, avec un cercueil au sol. Eternel et incorruptible,
l'or se retrouve souvent lié à la mort. Cette installation
impressionnante se voit soulignée par une partition musicale
commandée à Zad Moultaka. Le visiteur distingue le canal miroitant
dans le lointain. Il remarque l'accord profond de l’œuvre avec le
superbe plafond de bois peint de la Renaissance. L'ensemble fait sens
par rapport à trop d'oeuvre actuelles, parachutées n'importe où sans la cité . Une réussite totale (jusqu'au
24 novembre, www.veniceartfactory.org)

«Psalm» Edmund de Waal» à l'Ateneo
Veteto et au Museo Ebraico di Venezia. On connaît bien l'artiste
anglais, né en 1964. L'homme s'adonne avant tout à la céramique.
Il a commencé comme tout le monde par produire de la vaisselle bon
marché. Il conçoit aujourd'hui des installations ressemblant aux
tableaux de Morandi. Elles coûtent chacune une fortune. L'artiste est né
d'un père occupant une haute fonction dans l'église anglicane et
d'une mère juive liée aux Ephrussi. Le grand écart. Il a opté par
ses racines israélites, d'où la double exposition actuelle. La plus
marquante est celle dans l'Ateneo Veneto, à côté de La Fenice.
Dans ce lieu rarement visible, au beau décor peint des années 1600,
le Britannique a installé une bibliothèque dans une sorte de
caisson. Elle est vouée, entre quelques vitrines de céramique, aux
livres des écrivains en exil. Théoriquement, tous les pays
devraient se voir représentés, la Suisse figurant avec un ouvrage
de Regina Ullmann. En fait, la représentation se révèle très
inégale, les titres de certains auteurs comme Hannah Arendt ou
Walter Benjamin se voyant nettement surreprésentés. Il y a
manifestement exil et exil. Vous ne trouverez d'ailleurs ici que des
gens sérieux (jusqu’au 29 septembre, www.psalmvenice.org)

«Rothko in Lampedusa» au Palazzo
Querini. S'il y avait un concours pour l'affiche la plus illisible de
l'année, celle-ci pourrait postuler. S'il s'agissait de décerner un
trophée au lieu le plus difficile à trouver, le Querini (qu'il ne
fait pas confondre avec le nettement plus célèbre Pallazo
Querini-Stampagnila) aurait toutes ses chances. Le lieu me semble en
plus ouvert tous les 32 du mois. Il se trouve dans la Calle Lunga San
Barnaba reliant l'église de ce nom à San Sebastiano. Organisée
sous l'égide de l'Agence pour les réfugiés de l'ONU, l'exposition
traite le problème sans pathos. Un certain nombre d'artistes
reconnus se sont vus conviés par la Fondation Ugo et Olga Levi, qui
anime cet espace. Ils vont d'Ai Weiwei à Abel Abdemessed en passant
par Artur Zmijewski. Chacun d'eux a donné une création qu'il a
voulue forte. Je vous décris ainsi le Christian Boltanski. Dans une
chambre obscure, il y a une mer faite de sacs métallisés or, comme
on en donne pour les premiers secours. Une ampoule lumineuse oscille
dans la salle, à l'image d'un falot tempête. Cela produit un choc. Y
a-t-il une issue de secours? Pour le cinéaste d'animation iranien
Majid Adin, la liberté se symbolise au final par un papillon. Et
comme on sait que ceux-ci sont aujourd'hui en voie de disparition...
(jusqu'au 24 novembre, www.veniceartfactory.org)

«Francesco Morosini, Ultimo eroe della
Serenissima, fra storia e mito» au Museo Correr. En 1619, naissait
un étonnant personnage, qui allait jouer un rôle clef dans la
République. Orphelin de mère à un an (son père avait noyé sa
mère), il adopte très jeune la carrière des armes. Ce sera l'homme
des batailles navales, à une époque où les Turcs gagnent encore du
terrain sur la chrétienté. S'il doit finalement céder la Crète, en traitant sans
l'accord du Sénat, il arrive ensuite à reconquérir la Grèce, que
l'on appelait alors la Morée. C'est à cause d'une de ses
canonnades intempestives, en 1687, qu'explosa le Parthénon sur l'Acropole.
Morosini deviendra doge, sans cesser pour autant de jouer les matamores.
Il mourra ainsi loin en 1694 de sa patrie. L'exposition, dans la
bibliothèque du Correr, regroupe des papiers familiaux, sauvés de
la dispersion à la fin du XIXe siècle, plus quelques portraits,
deux bustes (dont un magnifique marbre de Filippo Parodi) et des
souvenirs personnels. Le plus étrange est sa chatte Nini, momifiée dans une boîte murale avec sa souris (1) C'est macabre en diable! (jusqu'au 31 octobre, www.visitmuse.it, Le Museo
Correr présente en outre Chria Dynys, «Sabra, Beauty Is
Everywhere, jusqu'au 24 novembre.)
(1) Le livre de prières, avec pistolet incorporé, n'est pas mal non plus. On se croirait chez James Bond!