Quand Yves Klein donnait une conférence sur "L'évolution de l'art vers l'immatériel"
Allia sort le texte d'une longue conférence donnée par l'artiste à la Sorbonne en 1959. Klein y parle des sujets le préoccupant en finissant sur les architectures de l'air.

Le célèbre portrait d'Yves, teinté de bleu Klein.
Crédits: Photo tirée du site yvesklein.comLe 9 juin 1959, Yves Klein donne une conférence à la Sorbonne. Il a 31 ans. L’artiste reste pour le moins contesté. Sa galeriste Iris Clert, qui l'introduit au public, le comprend du reste bien. «Je dois avouer que lorsque j’ai vu pour la première fois ses tableaux, j’ai été sidérée. J’ai voulu d’abord penser à un énorme canular.» La Grecque se situe pourtant à la pointe de l’avant-garde tout comme son aînée Colette Allendy, qui représentait avant elle le Niçois.
Difficile de connaître la réaction du public de l’intellectuel aréopage de 1959. Il y a bien une photo en ouverture du petit livre qu’Allia a consacré à l’édition de ce texte rare. Elle montre l’intervenant à son pupitre, les mains sur les hanches. Les auditeurs restent soigneusement invisibles. Ils sont pourtant en train de subir une longue intervention brassant beaucoup d’air et d’idées. Il n’y a pas de sujet unique, même si Klein est supposé traiter de «L’évolution de l’art vers l’immatériel», et ce à l’époque où l’immatériel restait un concept encore flou. Au fil des pages, le liseur (qui a l’avantage sur l’auditeur de pouvoir reprendre une phrase ou d’interrompre sa lecture) saute ainsi d’un thème au suivant. Il y a l’évocation du travail et des recherches avec une récente exposition anversoise, où l’artiste ne montre rien. La chose l’amène à la constitution d’un Centre de la sensibilité, où Jean Tinguely serait notamment professeur de sculpture. Les personnes présentes entendent ensuite un discours sur le bleu. La couleur de l’immatériel.
Murs d'eau et de feu
Ce n’est bien sûr pas fini. Après la proposition d’édifier des murs d’eau et de feu vient le rappel de la «Symphonie monoton». Une seule note, portée sur quarante minutes. Puis ce sont, après des digressions économiques, les architectures de l’air. Un point central pour celui dont l’histoire de l’art moderne a retenu le saut dans le vide. Tout se termine avec un hommage de Klein à son complice, l’architecte Werner Ruhnau avec qui il a collaboré au théâtre de Gesellkirchen. Le conférencier fait de l’homme une sorte d’alter ego, alors que l’Allemand ne fera plus guère parler de lui jusqu’à sa mort nonagénaire en 2015.
Dire que le texte se lit difficilement n’est que le prénom. Le lecteur doit s’accrocher en utilisant ce qu’il sait de Klein et de sa création. Le peintre (appelons-le comme cela) s’étonne du reste de la rapidité de sa radicalisation en quatre ans. Il ne sait pas, en 1959, qu’il a tout d’un homme pressé. Trois ans plus tard, ce novateur sera mort. Crise cardiaque à 34 ans. Sa trajectoire fait du coup penser à celle, presque simultanée, de Piero Manzoni, disparu à 29 ans en 1963. Un autre bousculeur de traditions séculaires. Tous deux posent la même question à leurs survivants. Que seraient-ils devenus après être allé aussi loin, s’ils avaient par chance (ou par malchance) duré plus longtemps? Cela dit, pour beaucoup, l’œuvre de Klein se limite de nos jours à ses toiles et à ses objets, si possible trempés dans du bleu. L’environnement intellectuel que restitue ce petit livre a disparu. Un Klein n'est plus qu'un auteur de créations valant commercialement très cher.
Pratique
«L’évolution de l’art vers l’immatériel» d’Yves Klein, aux Editions Allia, 60 pages. Sortie le 3 septembre.