Quand les musées américains vendent aux enchères. La "deaccession", mode d'emploi
Depuis toujours, les institutions américaines achètent et vendent. Elles sont en général privées. En Europe règne en revanche toujours le principe d'inaliénabilité.

Le Norman Rockwell acquis dans une vente de musée par George Lucas.
Crédits: Succession Norman Rockwell, SEPS.C’est quoi, cet animal-là? Très simple, du moins en apparence. Le «deaccessionning», aux Etats-Unis, constitue un acte par lequel une institution publique (en principe un musée) se sépare d’une pièce de ses collections. Il existe des garde-fous, même si la plupart des institutions concernées demeurent privées. L’American Alliance of Museums et l’Association of Art Museum Directors ont édicté des règles. En principe, une telle cession ne peut se faire que pour modifier la collection. La somme récoltée sert donc exclusivement à acheter d’autres œuvres. Notez que cette notion tend à voler en éclats. Il se voit de plus en plus souvent envisagé qu’une entité menacée dans sa survie puisse procéder à des aliénations massives. Et l’on sait qu’un musée sur trois (au moins!) se retrouve aujourd’hui dans le rouge vif outre Atlantique sans pouvoir compter sur des aides publiques...
Les conservateurs ont donc toujours reçu, acheté et vendu. Certains ont hélas suivi les évolutions du goût, dispersant à bas prix et acquérant cher. Il y a eu des choix malheureux. Aujourd’hui, la tendance irait plutôt à la «diversité», née du politiquement correct. On se sépare d’un chef-d’œuvre valant quelques dizaines de millions de dollars pour acheter davantage de tableaux et de sculptures provenant de minorités et surtout de femmes (les deux choses n’étant pas incompatibles). Dans ces conditions, il faut admettre qu’une institution muséale devient représentative, et non plus qualitative. Une onde sismique est ainsi née en février 2019 par l’annonce simultanée de trois musées importants (le Guggenheim, le San Francisco et le MoMA) de se sépare respectivement d’un Rothko, d’un Zao Wou-ki et d’un Kirchner dans de tels buts.
De Detroit à Pittsfield
Pour ce qui est des aides à la survie, il y a eu bien sûr le cas déjà lointain de Detroit. La Ville était en faillite, et le prestigieux musée local relevait curieusement (pour les USA s’entend) de la Municipalité. Un sauvetage a été entrepris, mais par de riches particuliers. En 2018, le Berkshire Museum de Pittsfield a vendu vingt œuvres pour environ 53 millions de dollars, dont un Norman Rockwell anecdotique racheté par George Lucas. C’était ça ou la clôture. En revanche, quand l’Albright-Knox Art Gallery de Buffalo a décidé de bazarder aux enchères ses départements anciens en 2007 (Rome, la Chine…), c’était par changement de politique générale. Il voulait se concentrer sur l’art contemporain. Garder le reste semblait «un luxe» à son directeur d’alors.
Et en Europe? Eh bien, il existe en général un principe d’inaliénabilité. Il faudrait bien sûr analyser cas par cas. Le Kunsthaus de Zurich, qui relève du Kunstverein, a ainsi vendu jadis un vilain Renoir pour acheter une œuvre en une vingtaine de parties de Baselitz. Il y a quelques années, le maire de Venise avait proposé de vendre un Klimt et un Chagall de la Ca’Pesaro pour rembourser des dettes de la Ville, immédiatement tancé par le ministre de la Culture. L’Angleterre ne présente pas encore Dieu merci de cas d’école, même si ses musées demeurent en principe dirigés par un conseil de «trustees». La France reste très à cheval sur l’inaliénabilité, même si Emmanuel Macron a fait des promesses solennelles à l’Afrique. Mais il s’agit là de restitutions. Genève a ainsi rendu naguère ou ou deux têtes Maori. Dans notre cité, du moins pour le moment, tout ce qui est accepté par un musée y reste définitivement. La chose pose des problèmes quand il s’agit du don, ou du legs d’une collection entière. Faut-il tout prendre pour avoir deux ou trois bonnes choses? La réponse actuelle serait plutôt non. Pour des motifs d’encombrement… comme au Mobilier National parisien.