Je devais aller à Besançon, qui n'estpas au bout du monde. Le Musée des beaux-arts et d'archéologie y arouvert ses portes cet hiver après d'interminables travaux. Rien de plussimple, apparemment. C'était compter sans l'actuel systèmeferroviaire français. Peu de communications. Aucune directe, cela vade soi, avec un réseau en étoile centré sur Paris. La pire liaison supposait de passer par Aix-les-Bains et de remonterpar Bourg-en-Bresse en empruntant deux trains et un bus. Un trajet depassé six heures. Y aller depuis Paris m'arrêtait à Besançon TGV,d'où une navette assez rare me menait à Besançon-Viotte, qui ne sesitue bien entendu pas au centre ville. Bref, j'ai renoncé. Idempour Montargis. Le Musée Girodet y est aussi sorti de réfection.Peu de TER. Surtout des RER. Mais comment prendre un billet RERdepuis Genève, quand on reste un infirme de la débrouillardiseinformatique?
Ces deux anecdotes illustrentune modification des données de base. Hors des trains à grandevitesse, plus de salut! On parle beaucoup, à propos de nos voisins, d'un pays à deux vitesses. La SNCF aura réussi la prouesse de prouver sa réalité au propre comme au figuré. Metz, en Lorraine, se situaitjadis au diable vauvert de la capitale. Un train y rouleaujourd'hui à passé 300 kilomètres heure en quatre-vingts minutes.C'est devenu une destination pour la journée. L'antenne de Pompidouse situe en plus à quelques encablures de la fabuleuse garenéo-romane voulue vers 1900 par l'empereur Guillaume II (1). Enrevanche, aller d'Arles à Aix-en-Provence suppose de remonterjusqu'à Valence, voire Lyon. Et mieux vaut éviter, pour Aix comme pour Valence, de se retrouver perdu dans leurs gares TGV en pleine cambrousse.Vous allez ensuite perdre un temps fou, et ce dans les deux sens. Il existe heureusement un autobus, privé, entre Arles et Aix. Maisattention! La dernière fois que je l'ai emprunté, il avait changéde lieu de stationnement et son chauffeur n'acceptait d'être payéque sans avoir à rendre de la monnaie. Une chose devenue rare, apparemment, que l'argent liquide!
La jungle de l'automatisation
Cela dit, prendre un billet à un vraiguichet abritant un employé en chair et en os devient toujours plusproblématique à force de suppressions. C'était déjà le cas en Grande-Bretagne, où ilfaut déjà depuis longtemps se battre pour se trouver un chemin enjonglant entre trois compagnies privées. Cela devient celui desPays-Bas, qui ont tout automatisé. C'est toujours davantage celui dela France, qui ferme parallèlement ses bureaux d'information. Il n'yen a plus un seul à Paris, gare du Nord, là où débarquent lesHollandais, les Belges, les Allemands et les Anglais. On y pousseofficiellement les clients potentiels à utiliser "les renseignementstrouvables sur Internet". Pour cela, il faudrait au moins un systèmesimple. On ne peut pas dire que ce soit le fort de la SNCF, où toutn'est que tarification diversifiée et exceptions multiples. Le toutsaupoudré de grèves, annoncées au non. Rail-Sud fait ainsi trèsfort l'été dans la suppression de trains.
Vous me direz que votre ordinateur peuttout suppléer. Je dirai oui, pour ce qui est des TGV. Au-delàcommence l'ère (ou l'aire) des incertitudes. Comment passer sanstrop de mal du point A au point B? Jusqu'au 15 décembre de l'annéedernière, il existait bien une boutique SNCF à Genève, souventbondée. Elle a été supprimée, comme beaucoup de points de venteparisiens. En principe pour des raisons de budget. Là aussi, onpousse le public vers le virtuel. Ou l'abandon. Arrive toujours lemoment où l'usager finit par se demander si le jeu en vaut lachandelle. Ai-je vraiment envie dans mon cas de voir telle ou telle exposition? Ilsurgit par ailleurs de réelles impossibilités. La France n'en finitplus de fermer des petites lignes. J'ai récemment lu que 540kilomètres de rails déficitaires (et mal entretenus, voire mêmedangereux à ce que révèlent certaines enquêtes) risquaient encore depasser à la trappe, ainsi qu'une cinquantaine de gares. Bus oucovoiturages les remplaceraient. Bonjour le tourisme!
Euro-incompatibilités
Le tout se voit bien sûr présentéavec cet extraordinaire sentiment de supériorité des élitesfrançaises comme un progrès. Il y a le même océan de prétentionsque pour le super métro parisien promis pour les Jeux olympiques de 2024. Enattendant, la RATP ressemble souvent à une poubelle, avec sesstations semi éventrées où aucun ouvrier ne semble jamais travailler. A côté, le «tube» londonien(très cher, il est vrai, et sans guichets avec employés) ou lemétro milanais (bon marché) font vraiment très chic. Et puis il ya les incohérences! La France soumet depuis quelques mois lesentrées sur les quais de gare de chemin de fer à des codes sur les billets, alors que les Italiensont un employé pour accomplir le même travail. Et bien j'ai découvert que les billets imprudemment acquis par mes soinsauprès des CFF (2) avaient bien le fameux code inscrit, mais qu'iln'était pas euro-compatible! Autant dire que la porte ne s'ouvre passans intervention humaine. Sauf pour le Paris-Genève, après des semaines de protestations des usagers.
Ce que je vous raconte là peut semblerincongru dans une chronique vouée aux beaux-arts. En fait, pas tantque ça. Si on a renoncé comme moi aux avions à cause des délaisd'embarquement et de l'éloignement toujours plus grands desaéroports par rapport aux villes d'arrivée (et je ne parle pas de l'écologie), il ne reste que letrain. Je ne conduis pas. Et du reste que faire d'une voiture àl'arrivée? Ce sont donc les réseaux ferroviaires qui dictent bien ce que je verrai, ou ce que je ne verrai pas. Quellessont les villes «simples» et les autres. Les éliminées, parconséquent. En Italie, où le réseau reste dense, ce sont lesprésences sur les grandes lignes. Milan, Brescia, Vérone demeurentfaciles d'accès. C'est sur la ligne Genève-Venise. Mantoue serévèle plus compliquée, comme Bergame. Trente exige vraimentun gros effort. Il faut une exposition exceptionnelle pour m'yrendre. Mais là au moins, il y a des guichets, des informations et même des billetteries volantes sur les quais. Cinq sur ceux de Milan. Merci les privés! Vivement des privés en France! Merci Italtreno, la firme aujourd'hui contrôlé par des Américains!
Limitations volontaires
La cartographie du possible se dessine et se modifie ainsi sans cesse. L'intérêt d'une manifestationse subordonne à un certain confort et une rapidité de voyage certaine. Je me montre plus exigeant pour le Louvre de Lens, à cause du TGV rare et dela marche en rase campagne, que pour Pompidou-Metz. Aux Pays-Bas, jeme contente désormais d'Amsterdam. En Grande-Bretagne, je ne sorsplus de Londres. Finalement le système suisse, simple mais cher, possède du bon. Sauf en été, où les retards se multiplient pour cause de travaux. Chez nous, on pousse parfois jusqu'à l'absurde le goût de la perfection. Mais je suis au moins presque sûr d'arriver partout, même si c'est avecun car jaune de la poste. Comme quoi notre Poste sert encore àquelque chose, le reste de ses prestations n'étant plus ce qu'il était...
Cela dit, la France commence si ce n'est à réagir, du moins à râler. Deux heures, voire davantage, d'attente pour avoir au guichet un employé au bord de la crise de nerfs (et on le comprend!), c'est trop. Le 8 juillet, "Le Monde" publiait ainsi son enquête sur "la colère" des voyageurs, traités comme des chiens. Oh, une enquête mesurée... Il s'agissait de ne fâcher personne, dans ce pays à bout de souffle où les syndicats gardent un pouvoir sinon réel du moins symbolique. Il n'y est ainsi pas question dans les articles des grèves de l'an dernier, qui ont pourtant fini par aliéner la sympathie des Français pour leur cheminots. Ceux-ci font pourtant figure de privilégiés dans l'actuel paysage social de nos voisins. Mais pourquoi le journal s'attaquerait-il finalement aux seuls chemins de fer, alors que nos voisins d'outre Jura doivent se battre quotidiennement contre un système administratif semblant avoir associé Ubu et Kafka? Plus Orwell. Un billet de TGV ne s'obtient plus qu'en donnant son nom, son prénom, sa date de naissance, son adresse mail et son numéro de portable. Portable français, of course!
Une histoire belge pour finir
Je terminerai sur une note plus légère. Elle est belge. Je suis allé voir ce printemps les expositions de Bruxelles, dont je vous ai du reste parlé. Le billet Thalys vaut de Paris à Bruxelles-Sud. Il faut donc un second ticket pour les deux kilomètres séparant Bruxelles-Sud de Bruxelles-Central. J'ai trouvé sur place la billetterie en chantier pour "mieux vous servir", mais par la suite. Les bornes avaient été déplacées par les travaux. Le métro se révélait très indirect. J'ai fini par dénicher une guérite prévue pour les informations. L'employé m'a dit: "Il y a un train dans trois minutes. A votre place je sauterais de dedans." Ce que j'ai fait. Au retour, j'ai visé une borne à Bruxelles-Central. Un reste d'honnêteté. Paiement d'un euro et quelque possible par seule carte de crédit. Je la mets. Message: "vous avez mis votre carte trop tôt." Je la remets et j'attends quelques secondes. "Votre temps pour payer est écoulé", a cette fois dit la machine. J'ai donc sauté dans le train une seconde fois. Cela dit, je continuera à voir les expositions de Bozar et du Musée des beaux-arts.
(1) Metz a été allemande de 1870 à1918. - (2) Les CFF ne vendent plus de billets TER que pour la région avoisinante. Grenoble mais pas Valence, par exemple. La SNCF a voulu récupérer ce domaine. Les CFF envoient du coup les acheteurs réfractaires à l'ordinateur se ravitailler à Annemasse!
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