En art comme dans la religioncatholique, l'alpha rejoint parfois l'oméga. Beaubourg présenteainsi depuis le 8 mai «Préhistoire, Un énigme moderne» au sixièmeétage. C'est l'occasion pour ce lieu voué en principe à lacréation actuelle de renouer avec les origines. En cette année2019, où les médias parlent de fin du monde dès que le thermomètremonte, il a semblé bon de regarder les débuts et d'opérer des rapprochements avec aujourd'hui. Un aujourd'hui large. L'aire contemporaine couverte par cette manifestation conçue par Rémi Labrusse, MariaStavrinaki et l'omniprésente Cécile Debray concerne la fin du XIXesiècle, l'intégralité du XXe et le début du XXIe. Il fallaitbien un siècle et pas mal de poussières pour contrebalancer descentaines de milliers d'années...
Cela dit, le propos tenu reste avant toutesthétique. «En quoi la préhistoire (mot inventé vers 1870)correspond-elle à des attentes modernes?» On reconnaît ici cetteidée souvent horripilante de «présentisme», caractéristique del'historien d'art de notre époque. Le passé n'existe pour lui plusqu'en fonction du présent. Ce dernier se voit donc projeté, avec sesfantasmes, sur des périodes parfois très anciennes. Noscontemporains devraient du coup, je suppose, s'y retrouver sans peine. On leur a facilité la tâche. Avant,c'était un peu comme maintenant. Tout cela reste hélas simpliste. Voiresimplet. Mais c'est comme ça. Les artistes actuels ont de plus acquis de nosjours un statut de chamanes. Ils font les choses d'instinct. Abracadabra! Et les voilà en phase avec l'homme de Cro-Magnon, voirel'australopithèque!
Klee et le crâne des Eyzies
Le début du parcours se révèle pourtant saisissant. Le visiteur se trouve plongé dans le noir. La nuit destemps, je présume. Il n'y a dans un vaste espace que deux choses. Lapremière, posée dans une vitrine éclairée par un projecteurhollywoodien, est un crâne des Eyzies, daté par la science àenviron 28 000 ans avant notre ère. La seconde un petit tableau dePaul Klee de 1933 intitulé «Die Zeit». Autrement dit «le temps».Après cette mise en condition, le public passe dans une salle,blanche cette fois, où la géologie joue son rôle. Ce sont desfalaises dessinées ou gravées par Odilon Redon. Des roches peintespar Paul Cézanne, lié à l'archéologue Antoine-Fortuné Marion.Trois toiles superbes de l'Aixois, je dois dire. Il s'agit alors de montrer «l'épaisseur dutemps». Des couches et des couches pétrifiées. Depuis que Buffon aosé le dire, avec quelques précautions au XVIIIe siècle, leslibres penseurs savent la Terre est bien plus vieille que les petitsmillénaires proposés par la Bible.

La suite va donc montrer des animauxayant vécu il y a des centaines de millions d'années. Des fossilesaussi bien qu'une scène du «Monde perdu» de 1925, tourné avec desdinosaures animés par Willis O'Brien. Des «dinos» promis à un belavenir dans l'imagination populaire... Mais il y a aussi là de lapeinture. Excellente, je dois dire. Et trop peu connue. Lescommissaires proposent une gigantesque toile de l'Anglais GrahamSutherland. D'étonnantes compositions surréalisantes d'AlbertoSavinio, le frère de Giorgio de Chirico. Plus quelques Max Ernst quien imposent. Il faut bien rassurer son monde en lui offrant des nomsqu'il connaît déjà. Suit dans un passage sombre la célébrissime«Vénus de Lespugne» (- 23 000 ans avant Jésus-Christ), découverteen 1922 dans la Haute-Garonne. Une œuvre clef que bien des gensn'ont jamais vue auparavant de leurs yeux.
Abus de transversalité
Jusque là, tout va bien. Le parcours acommencé très fort. Sans une fausse note. La suite se révèlehélas plus faible. A force de transversalité, un mot que les hommeset les femmes en charge de la culture prononcent aujourd'hui trop souvent, tout finit par se retrouver avec (un peu) n'importequoi. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas ensuite des chosesremarquables. Mais l'exposition cesse de «fonctionner», pourreprendre un mot affreux. Je suis tout a fait d'accord pourrapprocher une installation de pierre en forme de cercle de l'AnglaisRichard Long, né en 1945, d'un petit tableau de l'Allemand CasparDavid Friedrich représentant un dolmen aujourd'hui disparu. Noussommes dans la même thématique. Il y a les deux fois une évocation.Mais fallait-il vraiment projeter «Les mains négatives» deMarguerite Duras (1979), un des ses moins bons films pour autantqu'il y en ait de bons? Et cela sous le seul prétexte que les hommesde la préhistoire ont mis de la peinture rouge sur leurs mains pouren laisser l'empreinte en blanc sur les parois des grottes? C'est, aupropre comme au figuré grotesque.

Les problèmes de ce genre finissentpar se multiplier, comme si la messe était dite dès les premièressalles. Et pourquoi avoir donné à mi course, éclairée par desvitres confiées au peintre Miquel Barceló, la chronologie desdécouvertes du monde préhistorique, qui aurait dû venir avant mêmele début? C'est se moquer du client. Celui-ci a le droit desavoir d'emblée de quoi il retourne. La fin laisse enfin perplexe,d'autant plus qu'il y a un manifeste problème d'échelle. Les œuvrescontemporaines tendent à devenir toujours plus grandes, alors queles production préhistoriques demeurent souvent minuscules. Elledeviennent du coup des faire-valoir. Reste que certaines des pièces contemporaines choisies ne valent pas grand chose. L'immense installation des frèresJake et Dinos Chapman (né respectivement en 1966 et 1962), avec desjouets en formes de sauriens, m'a semblé l'une des pièces les plusfaibles d'un duo par ailleurs talentueux. Heureusement, aprèsune séquence de «King-Kong» (dans sa version originelle de 1933bien sûr), c'est fini!
Pratique
«Préhistoire, Une énigme moderne»,Centre Beaubourg, 1, place Georges-Pompidou, Paris, jusqu'au 16septembre. Tél. 00331 44 78 12 33, site www.centrepompidou.fr Ouvert tous les jours sauf mardi de 11h, nocturne le jeudi jusqu'à23h.
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Pour Beaubourg, la préhistoire constitue une énigme moderne
L'exposition parisienne illustre la manière dont les âges les plus anciens ont pu influencer les artistes depuis la fin du XIXe siècle, de Cézanne aux frères Chapman.