Certains journaux se spécialisent dans«l'art de vivre». La chose suppose en général de gros moyens poursi possible bien vivre. Il s'agit comme toujours dans la presse d'uneinvitation à dépenser. Que voulez-vous? Vivre suppose la tentationde le faire au dessus de ses moyens. Ici, la dépense se limite à 20euros tout ronds. Davantage bien sûr si vous avez le malheur depayer en francs suite. Il faut bien que les diffuseurs se sucrent unpeu, et même beaucoup. Eux aussi ont besoin de vivre.
De quoi s'agit-il? Du dernier livre deFrédéric Beigbeder, ou plutôt de sa «compil», comme on dit chezles derniers disquaires. L'ex-enfant terrible des lettres françaises(à 53 ans, la prime jeunesse est terminée depuis belle lurette) aréuni là 99 chroniques, publiées un peu partout au fil du temps.99, comme son roman le plus célèbre, qui parle d'un temps où l'oncomptait encore en francs. Autrement dit la préhistoire. J'avoue dureste que je n'avais pas aimé, mais pas aimé du tout ce bouquinaffreusement mode et inutilement provocateur. Comme les fictions quiont suivi, du reste (notez que je me suis arrêté assez tôt). Pourmoi Beigbeder est aussi romancier que le fut Françoise Giroud. Ils'agit comme elle d'un chroniqueur. A chacun son pré carré, mêmes'il faut ici changer de sujet à tout bout de champ.
Un combat de chaque instant
L'ouvrage actuel porte un joli titre«La frivolité est une chose sérieuse». «Je défends sûrementquelque chose, mais j'ignore quoi. La légèreté est un combat dechaque instant.» C'est son éditrice qui lui a trouvé le titre, etfinalement une raison sinon de vivre du moins d'écrire. Celui qui acommencé par les mondanités en a vite découvert l'inanité, ce quil'a jamais empêché d'y participer. «J'avais du mal à prendre ausérieux ce qui ne l'était pas.» De là à tout prendre à lablague, il n'y avait qu'un pas. Notez que Frédéric n'a pas été leseul à le franchir. Dans le genre iconoclaste, Patrick Besson estmême allé plus loin que lui dans ses billets. Du reste Patrickn'est lui non plus pas toujours un bon romancier, du moins quand il ycroit un peu trop. La légèreté n'épargne pas forcément de lalourdeur.
Piochant dans ses archives, dont ledésordre me rassure, Frédéric parle donc un peu de tout dans cegros livre en se mettant joyeusement à la première personne dusingulier. On est témoin ou on l'est pas. Et puis les gens frivolesn'ont pas cette sotte et vaine ambition à la neutralitéqu'affichent les «vrais» journalistes. Ils donnent leur point devue sur ce qu'ils ont effectivement vu. On s'amuse quand Frédéric évoqueMlle Rihanna, saint le Clézio, la crise littéraire ou le braquage du Ritz. On s'agace unpeu quand il dit du bien de gens dont on pense du mal. L'homme abeau prétendre cracher dans la soupe, ses crachats restent trop bienélevé. Il fait semblant de sortir des clous, mais un deses pieds au moins reste dans le passage piétonnier. C'estgénéralement les cas des enfants terribles, même après leurretour d'âge. Ils prévoient tout de même la suite.
Avant, pendant et après
Mais il y a aussi du sérieux chezBeigbeder, et c'est là que les choses se gâtent. L'écrivain nousavait déjà fait le coup de la réflexion après le 11 septembreavec un roman qui s'appelait, si mes souvenirs sont bons (ils sontbons, j'ai vérifié) «Windows on the World». Ici, il date seschronique d'avant, de pendant et d'après le 13 novembre 2015. Lesattentats. Un Hiroshima à la française (1). «J'ai découvert quelquechose de fondamental. Je croyais que j’étais superficiel alors quej'étais un auteur engagé. Je pensais m'amuser, alors que je pensaistout court. Je croyais m'autodétruire alors que je défendais unecivilisation.» Bref à la «honte d'être vide» (mais pourquoil'être au fait, alors que la plupart des humains le sont?) a succédéle sentiment qu'il tenait à un certain nombre de choses. Comme j'ytiens aussi, je vous parle en bonne logique de de gros bouquin.Beigbeder vante «le monde ancien». Cela suppose l'amour du papier,le refus des réseaux sociaux, la haine de la digitalisation, le goûtdes vraies salles de cinéma, le besoin parler aux gens directement.«Le président du Monde Nouveau a intitulé son manifeste«Révolution». Si le mien ne s'intitule pas «Résistance», c'estque j'ai davantage que lui le sens du ridicule.» Et voilà!
Sachez donc que si vous buvez trop, sivous sortez trop tard ou si vous ne suivez que peu l'actualité, vousn'êtes pas fichu (notez que je n'aime ni boire ni sortir). Vous êtesun résistant. Bonne nouvelle. C'est tout de même plus confortablede pouvoir le manifester ainsi que dans la clandestinité pendant lesguerres. On a moins peur et on a moins froid. La frivolité restetout de même un luxe. Notez que le sérieux en constitue aussi un à l'heure actuelle...
Pratique
«La frivolité est une chosesérieuse», de Frédéric Beigbeder, aux Editions de l'Observatoire,382 pages.
(1) La phrase est faite pour choquer! Il y a eu abus verbal il y a trois ans.
P.S.Un certain nombre de lecteurs m'ont demandé comment accéder auxarticles anciens de cette chronique, le site n'indiquant de manièreclaire que les sept dernières contributions avec ma photo. C'esttrès simple. Il suffit de cliquer sur mon nom en faut de l'article.La liste apparaît alors, en allant du plus récent au plus ancien.
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Pour Frédéric Beigbeder, "La frivolité est une affaire sérieuse"
L'ex-enfant terrible réunit 99 de ses chroniques anciennes. Il sait maintenant qu'il défend un ancien monde mis à mal par la digitalisation et la virtualisation. Il faut leur résister.