La Collection Bührle arrive à Paris,et ce sont les remous habituels. L'ensemble du Zurichois d'adoptionne saurait être que sulfureux. Dans un article de «La GazetteDrouot» comportant des erreurs (1), Sarah Hugounenq indique que«plusieurs institutions parisiennes se sont montrées frileuses àl'idée de l'accueillir.» Le Musée Maillol aurait fini paraccepter, parce que privé. Tonitruant dans «Le Monde» comme s'ilétait en chaire, Philippe Dagen explique pour sa part qu'il auraitbien aimé pouvoir parler d'art, mais que la personnalité del'amateur l'en empêche. L'article est titré«collectionneur-spoliateur». Il faut préciser que ce monsieur, enseignant et critique, a supervisé la thèse d'Emmanuelle Polacksur «Le marché de l'art sous l'Occupation, 1940-1944» dont jeparle une case plus bas dans le déroulé de cette chronique. Ceprofesseur de morale, cet indigné patenté ne pouvait pas laisser passer cette occasion deprêcher pour sa paroisse. Les spoliations.
Je vais par conséquent rouvrir ledossier pour la centième fois. La dernière, c'était il y a deuxans lorsque des tableaux Bührle, pas toujours les mêmes d'ailleurs,avaient été présentés par l'Hermitage de Lausanne. Né Allemand,ancien étudiant en histoire de l'art, l'homme avait épousé lafille d'un gros industriel. Il s'était révélé bon en innovationet surtout en affaires. Venu diriger une filiale suisse, l'immigréavait transformé une paisible entreprise métallurgique en redoutable fabriqued'armement, qu'il finira par racheter. Oerlikon-Bührle ravitaillerala France ou l'Angleterre avant de se concentrer sur l'Allemagnenazie, avec l'aval du Conseil fédéral. La neutralité coûte cher.Après 1945, alors que Bührle avait centuplé sa fortune, il semettra au service des Etats-Unis. Itinéraire connu. C'est un celuid'un «marchand de mort». Nous sommes d'accord. Reste à savoir sile scandale consiste à vendre des armes ou à les acheter.
Une passion longtemps en sourdine
Bührle a longtemps mis de côté sapassion, bien réelle, pour la peinture. Ses premiers achatsremontent à la fin des années 1930, quand il avait atteint laquarantaine. Le marché de l'art restait atone sous le coup de laCrise. Il y avait énormément à vendre. Les nazis allaientbrouiller les cartes en lâchant sur le marché des tableaux saisis àdes familles juives, ou simplement décrochés des muséesgermaniques. Après guerre, Bührle devra rendre treize toiles jugéesspoliées. Il proposera aux propriétaires légitimes de lesracheter. Neuf œuvres revinrent ainsi entre ses mains. De l'argentfrais faisait du bien à la fin des années 1940. Maillol exposeainsi la correspondance entre Bührle et ce Paul Rosenberg à qui lemusée a du reste dédié en 2017 une exposition intitulée «21, ruede La Boétie». Le marchand y accepte de lui revendre lamerveilleuse «Femme au corset rouge» de Corot. Mais pas le bouquetde fleurs de Manet. Le tableau préféré de Madame Bührle. Il y aun pataquès sur la somme à verser pour le Corot. Rosenberg prend lafaute sur lui. Il a ferré un nouveau client. Les deux hommes ferontplus tard des affaires ensemble.

Bührle va énormément acheter audébut des années 1950. Jusqu'à cent tableaux par an. L'actuelleFondation, créée en 1960, n'en abrite qu'une petite partie,complétée par un legs récent de son fils Dieter. Impossible dedire qu'il n'existe pas un goût Bührle. Il ne va pas toujours versla facilité. «Le suicidé» de Manet aurait eu de la peine àtrouver un autre acquéreur à l'époque. Ses Renoir, à commencerpar «La petite Irène» ne sont jamais des Renoir de série. «Legarçon au gilet rouge» de Cézanne constitue le chef-d’œuvred'une suite de variations sur ce thème. Quand il réalisera en 1953que Picasso est finalement un grand artiste, Bührle s'offrira«L'Italienne» au cubisme coloré de 1917. Une composition trèsintellectuelle. Il la complétera, comme souvent, par une toile dejeunesse, datée 1901. Le Zurichois aimait bien montrer d'oùsortent les grands peintres.
Un héritage divisé
En 1956, Bührle meurt d'une crisecardiaque à 66 ans. Sans testament précis. Sa collection était enpleine mutation. D'un côté, il descendait vers les modernes. Del'autre, il remontait aux anciens, vus comme des précurseurs.Guardi, mais aussi Frans Hals, Ingres ou même un primitif allemand des années 1420.Il s'agit d'un ensemble inachevé, que se divisent la veuve, le filset la fille. Ils créeront plus tard la fondation qu'ils doterontd'un tiers des œuvres, le reste demeurant chez eux (2). Il y a eu depuisdes ventes, mais aussi des achats. Et donc des changements. ChristianBührle demeure aujourd'hui un amateur actif. Autant dire que laCollection Bührle, qu'ont pu voir les Zurichois deux ans après samort dans l'aile du Kunsthaus financée par l'industriel, a en partiedisparu.

Ce qui en subsiste est éblouissant.Lukas Gloor sait gérer cet ensemble, qui rejoindra en 2021 leKunsthaus. La mort des enfants a facilité les choses. Hortensen'aimait pas qu'on fouille dans le passé paternel. Il le fallaitcependant. Les archives supposées disparues existaient dans ungrenier. On peut dire qu'avant la tournée accomplie par unesoixantaine de chefs-d’œuvre (il y en a 57 au Musée Maillol) toutce qui a pu se voir éclairci l'a été par l'équipe formée parGloor. C'est là le paradoxe. Les collections suspectes ont mieux étéétudiées que les autres. Je songe à celle d'Eduard von der Heydtau Museum Rietberg de Zurich. Ici, quatre œuvres spoliées sur 1600.Je viens de vous en parler. Je pense bien sûr également au trésor des Gurlitt. Reste qu'ici aussi on ne pourra jamais tout savoir.
Un véritable oeil
Vous pouvez donc voir l'âme en paix auMusée Maillol, dans une jolie présentation et avec une salle dedocumentation (3), les Manet et les Monet, les Vlaminck et les Derain(fauves, bien entendu!), les Sisley et les Cézanne, les Van Gogh etles Gauguin, les Picasso et les Braque. Vous ne découvrirez(presque) rien de faible. Le visiteur sent ici l’œil. Cet œilqu'il ne suffit pas d'être milliardaire pour acquérir. Cela dit,devenir milliardaire n'a rien de simple non plus...
(1) La pire étant de dire que lafondation est donnée au Kunsthaus, alors qu'il s'agit d'un dépôt àlong terme obtenu de haute lutte. - (2) Il y avait aussi un important ensemble de sculptures gothiques. - (3) Un film permet aussi d'entre laconférence prononcée par Bührle à Zurich en 1954. Il s'agit deson seul texte sur la collection, ici dit par un comédien.
Pratique
«La Collection Bührle, Manet, Degas,Renoir, Monet, Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Modigliani, Picasso»,Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, Paris, jusqu'au 21 juillet.Tél. 0033142 22 59 58. site www.museemaillol.com Ouvert tous les jours de 10h30 à 18h30, le vendredi jusqu'à 20h30.
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Polémique. Le Musée Maillol présente à Paris 57 tableaux de la Fondation Bührle
C'est toujours la même histoire! Le Zurichois d'adoption garde son étiquette de marchand d'armes des nazis. Les tableaux proposés, de Manet à Picasso, sont superbes. Il y a la documentation voulue. Mais...