Tiens! Un revenant. Il y avait longtemps que l'on n'avait plus revu Bernard Faucon, du moins sous nos latitudes. Le photographe a depuis longtemps interrompu sa production. Il "fait problème" de plus, comme on dit aujourd'hui. Montrer de jeunes garçons comporte désormais des risques. Il faut tenir compte de l'hystérie anti-pédophile, qui tourne à la chasse aux sorcières.
Revoici donc l'artiste, aujourd'hui âgé de 63 ans. Il réémerge à la galerie Patrick Gutknecht. L'opération s'effectuera en deux temps. L'un est immédiat, puisque le Genevois le présentera dès ce soir à Artgenève. Vernissage dès 17 heures. L'autre restera plus tardif. Le galeriste prépare un vaste accrochage pour mai. Avec présence de Faucon, cette fois. Un monsieur que je n'ai rencontré que par téléphone. Récit d'une conversation.
Bernard Faucon, on a l'impression que vous vous êtes fait très discret. - Ce n'est pourtant pas le cas. En Europe et surtout dans les pays proches, oui. Mais il faut dire que j'ai énormément exposé ici dans les années 70 et 80. J'en arrivais à une moyenne de deux vernissages par mois, alors que je produisais peu. Il m'a fallu aller plus loin. La Chine et le Japon, où le marché de la photographie s'ouvre enfin. Je reviendrai cependant en mars à la Galerie Vu de Paris, née de l'agence de presse créée par Christian Caujolle. J'y montrerai des pièces très anciennes. Elles remontent au temps où je ne mettais pas encore en scène.
Des mises en scène que vous avez arrêté de créer... - ...il y a déjà dix-huit ans. Je date en fait d'un temps révolu. Celui de la photographie rare, voire unique, et non pas du flux d'images. Mais cela dit, plusieurs raison concomitantes m'ont suggéré d'abandonner. D'abord, j'avais peur de me répéter. J'ai trop vu de confrères le faire. Mieux vaut s'interrompre en plein vol. J'ai annoncé ma décision en 1995, lors d'une exposition à Paris chez Yvon Lambert. Certaines gens ne m'ont pas cru. D'autres ont pensé que je les lâchais.
Et quelles sont les autres raisons? - Celle de sortir d'une image devenue omniprésente et sans but, comme je vous le disais plus tôt. Elle ne permet plus de croire en une photographie basée sur l'instant décisif. Pour chacune de mes mises en scènes, qui prenaient parfois des jours de réflexion et de mise en place, je prenais un seul cliché. Disons un ou deux, par mesure de sécurité. Je n'éditais pas ma production, dans le sens où le choix s'imposait de lui-même. Maintenant, on part à la pêche à la ligne à partir de milliers d'instantanés. La mise en scène avec des mannequins de vitrine, que j'ai plus tard mêlés à de véritables enfants, constituait pour moi une manière de sortir de la réalité afin de donner corps à une fonction.
D'autres motifs? - La lassitude... J'en avais assez de coltiner tout ce matériel dans des camionnettes pour planter mon décor dans la nature.
La montée puritaine a-t-elle influé sur votre départ? - Honnêtement, non. Mais je reconnais, avec le recul, que c'était le bon moment pour s'interrompre. Il n'est pour ainsi dire plus possible pour un photographe de travailler avec des gens très jeunes. Les enfants sont désormais réservés aux publicitaires. Sans doute parce que le but apparaît avouable, dans notre civilisation. Il s'agit, avec la pub', de faire acheter.
Qu'avez-vous fait ensuite? - J'ai développé le projet "Le plus beau jour de ma vie". Tout a commencé par hasard, au Maroc. Une amie m'a proposé de confier aux écoliers des appareils photo jetables pour qu'ils opèrent un seul jour donné. Je devais ensuite monter une exposition. Il y aurait un vernissage festif. L'aventure s'est si bien passée qu'elle a été répétée par la suite dans 25 pays.
Et maintenant? - Je suis une nouvelle idée depuis trois ans. Elle m'est un jour apparue comme une évidence. Je filme des routes, dans différents pays. Je pars ainsi demain pour le Pérou. Sur l'image mouvante, j'installe le récit de ma vie. C'est, au propre, un voyage autobiographique. Je ne sais pas encore la manière dont la chose finira par aboutir.
Avez-vous un travail alimentaire? - Non. Je vends mes photos. J'avais eu la bonne idée de m'en constituer un stock. J'en fais aussi retirer, toujours avec le procédé Fresson, mais la qualité des papiers se perd. J'ai très vite trouvé des collectionneurs. Christian Caujolle m'avait dit de m'y préparer dans les années 70, en numérotant mes épreuves. Je trouvais la chose loufoque. Il n 'existait pas vraiment de marché à l'époque. Et puis, je fais des livres. J'ai notamment un projet avec les Chinois. Là-bas, tout se voit immédiatement amplifié. Vous mettez un zéro au nombre d'exemplaire. Voire davantage.
Pratique
"Bernard Faucon, Mises en scène photographiques", Galerie Patrick Gutknecht, Artgenève, du 30 janvier au 2 février, vernissage le 29 janvier dès 17h. Palexpo, halle 1, stand G05, tél. 079 260 68 01, site www.gutknecht-gallery.com Artgeneve est ouvert de 12h à 20h. Photo (Bernard Faucon): une des images présentées par Patrick Gutknecht à Artgenève.
Prochaine chronique le jeudi 30 janvier. Visite à Artgenève. J'accomplis mon devoir.
P:S. Je me demandais il y a quelques semaines, si les Rencontres d'Arles auraient bien lieu en 2014. C'est oui. Je viens de recevoir le carton. Elles dureront du 7 juillet au 21 septembre. L'emblème animal de l'année est les cornes de cerf. Faut-il y voir une allusion à la Fondation Luma, par laquelle la manifestation s'est fait cocufier?
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PHOTO / Bernard Faucon survole Artgenève